Traduit de l'anglais par B.E, pour Etat d'Exception.


Des milliers d'Israéliens se sont rassemblés mardi soir sur la place Yitzhak Rabin à Tel Aviv, en soutien à Elor Azarya, le soldat filmé en train d'exécuter un palestinien gravement blessé le mois dernier.

Les manifestants criaient des slogans anti-Arabes et ont attaqué les personnes supposées être de gauche, ou des journalistes.

Quelques heures auparavant, le premier ministre israélien Benjamin Netanyahu appelait à la clémence en faveur du soldat.

Le reporter de Times of Israel, Judas Ari Gross, a tweeté qu'un activiste de B'Tselem, le groupe pour les droits de l'homme qui a diffusé la vidéo montrant l'exécution d'Abd al-Fattah al-Sharif par Azarya, a du être escorté en dehors de la place Rabin par la police afin de « protéger sa vie ».

Un journaliste attaqué

Le reporter David Sheen, un collaborateur de The Electronic Intifada, a été assailli par la foule puis s'est vu donner l'ordre de quitter la zone par la police après avoir été accusé de liens avec B'Tselem.


Sheen a rapporté à The Electronic Intifada qu'il était arrivé place Rabin avant que le rassemblement ne commence, alors que plusieurs centaines de personnes s'étaient déjà réunies. Certains lui ont demandé de les filmer avec leur pancarte en soutien d'Azarya.

Sheen ajoute qu'à ce moment précis, un homme lui demanda pourquoi il filmait. D'autres l'ont vite rejoint, criant à Sheen « Tu es de B'Tselem ? Dégage à Gaza ! ».

Sheen a déclaré être resté calme et avoir essayé de quitter la place, mais la foule de plus en plus excitée l'a suivi et a commencé à l'entourer et à le rouer de coups de pied.

Il fut alors agrippé par un officier de police et extrait de la place. La police lui confisqua sa caméra et le questionna. Après s'être présenté en tant que journaliste, on lui donna le choix de quitter les lieux ou de passer une nuit en prison. Sheen préféra alors partir, la police lui ayant rendu son matériel.

Dans les faits, Sheen observa que la police se comportait en complice de la foule, s'assurant d'évacuer les journalistes qui auraient pu couvrir ce qui s'était passé.

« L'attaque était effrayante » ajouta Sheen, « parce que je savais pertinemment que toute la foule était hostile et que personne ne viendrait s'interposer, cela aurait pu être bien plus grave, et personne n'aurait pu me sortir de là ».

Il a déclaré avoir été menacé lors d'autres rassemblements qu'il a couverts récemment, sans que cela ne prenne de telles proportions.

« Cela ne m'étonne pas que les gens en Israël montrent de la haine envers les journalistes », a déclaré Sheen.

« Pour eux, le problème ne réside pas dans l'action du soldat », ajoute-t-il. « Pour eux, le problème est dans l'exposition médiatique mondiale, qui fait pression sur le gouvernement afin de retirer tout support à ce soldat ».

« Mais cela m'a tout de même surpris de voir à quel point ces gens se sont vite transformés en une meute, la bave aux lèvres », a-t-il déclaré.

Parmi les chants entonnés par la foule, Sheen a relevé « Mort aux gauchistes » et « Elor Azarya est un héro, ramenez nous notre garçon ! ».

Une vidéo de l'agression sur Sheen a été postée sur Facebook par un utilisateur qui l'accuse d'être un cameraman de B'Tselem dont l'intention était de « provoquer » les manifestants. Sheen n'a aucun lien avec le groupe de défense des droits humains.

On a pu entendre des manifestants crier « Fils de p*** » ainsi que d'autres insultes.

« Tuez-les tous »

Un autre reporter indépendant, Dan Cohen, a tweeté que beaucoup dans la foule ont crié « Mort aux Arabes », un chant fréquemment entendu lors de rassemblements anti-Palestiniens.


Ahmad Tibi, député palestinien au parlement israélien, a posté une image d'une pancarte aperçue lors du rassemblement sur laquelle on peut lire « Tuez-les tous ».

Le rassemblement, auquel les parents d'Azarya se sont joints, était organisé par Sharon Gal, une journaliste et ancienne députée israélienne.

Plusieurs stars israéliennes de la musique étaient programmées sur place afin de divertir les participants, parmi lesquelles Moshik Afia, Maor Edri, Amos Elgali, ainsi que le rappeur Subliminal, reporte le site israélien Ynet.

Mais deux artistes, Eyal Golan et David D'Or, se sont retirés à la dernière minute par peur que le public n'interprète leur apparition comme étant une attaque envers l'armée israélienne, qui a été très vivement critiquée pour n'avoir pris aucune mesure contre Azarya.

« J'aurais aimé venir et chanter face à cette assemblée au nom de l'art, et personnellement en tant qu'artiste et qu'être humain » a déclaré Golan. « Cela dit, je suis navré de dire qu'il y'en a ici qui récupéreront ma présence pour des raisons politiques ».

« Je voulais juste montrer ma sympathie à la famille du soldat » a dit D'Or, « pas pour dire - Dieu nous en garde - quoique ce soit contre l'IDF [l'armée israélienne], ou son chef ».

Clémence

Le mois dernier, un sondage a montré que 57% du public israélien ne voit rien de mal dans les actions d'Azarya, 32% les supportant même ouvertement. Seulement 5% considèrent que tirer sur une personne blessée et immobilisée est un meurtre.


Cet appui provient même des plus hautes sphères du gouvernement israélien. Dans une déclaration aux médias quelques heures avant le rassemblement, le premier ministre Benjamin Netanyahu a demandé la clémence pour Azarya.

« En tant que père de soldat et que premier ministre, j'ai envie de le répéter : l'armée soutient ses soldats ».

« En tant que familier du système judiciaire militaire, je suis convaincu que la cour prendra en compte tous les éléments concernant cet incident. Nos soldats ne sont pas des meurtriers. Ils agissent contre des meurtriers, et j'espère que nous trouverons un compromis entre les faits et le contexte entourant cet événement », a ajouté le premier ministre.

La tentative de Netanyahu de préjuger de l'issue de tout procès est une tentative de surfer sur la vague de popularité affichée très vivement, et violemment, lors du rassemblement de Tel Aviv.

Auparavant, B'Tselem avait condamné les déclarations similaires émanant d'officiels israéliens comme envoyant des messages « vidant de leur sens les restrictions réglementaires en matière d'usage de la force, en particulier avec armes létales ».

Couverture

Abd al-Fattah al-Sharif et Ramzi al-Qasrawi, tous les deux âgés de 21 ans, ont été tués après avoir prétendument essayé d'attaquer des soldats de l'occupation israélienne dans la ville de Hébron, en Cisjordanie, le 24 mars 2016.

Le meurtre d'al-Sharif avait été filmé, montrant le jeune homme au sol, immobilisé, pendant qu'Azarya pointait son fusil d'assaut sur lui et lui tirait à bout portant directement vers la tête.

Le groupe palestinien pour les droits de l'homme, al-Haq, qui a enquêté sur l'incident, considère ces assassinats comme un crime de guerre, et a noté la complicité du personnel médical israélien et des autres personnes à proximité qui n'ont rien fait pour assister un al-Sharif blessé, avant qu'il ne soit abattu.

Al-Haq considère l'arrestation d'Azarya comme étant une mascarade afin de calmer l'opinion publique, notant que personne n'a été arrêté concernant la mort d'al-Qaswari, dont l'assassinat n'a pas été filmé.

« La détention du soldat par les autorités d'occupation n'est qu'une couverture du crime, pour montrer que l'Etat occupant a des lois fermes, et que ceux qui les violent sont punis » a déclaré al-Haq.

« L'arrestation d'un seul des soldats suggère que ce que l'autre soldat a fait n'est pas un crime, tout simplement parce qu'il n'a pas été filmé » a ajouté l'organisation.

Israël avait dans un premier temps annoncé qu'Azarya serait poursuivi pour meurtre, mais après la vague de soutien de l'opinion publique, les charges ont été ramenées à celle d'homicide.