Le ministre allemand des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier a critiqué «les solutions militaires» de l'OTAN. Pourquoi ses membres eux-mêmes se mettent à blâmer l'Alliance ? Le journaliste John Walsh cherche une explication. Les critiques de Frank-Walter Steinmeier sur l'attitude de l'OTAN est celle d'un homme qui observe un raz-de-marée destructeur rassemblant ses forces, similaire à ceux qui ont englouti son pays deux fois au cours du XXe siècle.

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© GooglePourquoi tant de troupes ?
«Nous ne devrions surtout pas aggraver la situation en envoyant des troupes... Quiconque croit qu'une parade symbolique de chars sur la frontière Est de l'alliance va garantir notre sécurité se trompe... Nous serions bien avisés de ne créer de prétextes pour renouveler une vieille confrontation. [Cela serait] fatal de ne rechercher que des solutions militaires et une politique de dissuasion», a déclaré le ministre allemand des Affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier, au sujet des récents exercices militaires de l'OTAN en Pologne et dans les pays baltes.

Ses craintes ne devraient pas être ignorées puisque ce sont celles d'un homme qui occupe un poste lui permettant de savoir ce que préparent les Etats-Unis. Ses paroles reflètent les craintes de plus en plus de gens à travers l'Eurasie, de la France au Japon.

Sous le prétexte de l'« endiguement », les Etats-Unis progressent continuellement dans leur nouvelle guerre froide avec la Russie et la Chine. Leur instrument en Occident est l'OTAN, et en Orient, le Japon et n'importe quel autre pays de valeur qui peut être englouti.

C'est une guerre froide qui ne cesse de s'intensifier, avec des guerres par procuration qui font rage dans l'Est de l'Ukraine et en Syrie et avec des confrontations en Mer de Chine méridionale. Il est de plus en plus probable que ces points sous haute tension vont s'embraser et déboucher sur un conflit militaire ouvert.

En Occident, ce conflit commencera en Europe de l'Est et en Russie, mais il ne s'arrêtera pas là. Tous les pays européens membres de l'OTAN se retrouveront sur la ligne de front. En Orient, le conflit aura lieu dans l'Ouest de l'océan pacifique, sur les côtes chinoises et sur les péninsules et les îles de la région, y compris le Japon, les Philippines et l'Indochine.

Dans tous les cas, les Etats-Unis seront séparés du front par un océan, « menant à distance » comme dirait Barack Obama, ou impliqués dans un « équilibre extraterritorial » selon certains « experts » en politique étrangère.

Peu importe quels seront les « vainqueurs » - toute l'Eurasie, de la France au Japon - sera dévastée. Peu importe le résultat, les Etats-Unis pourraient s'en sortir indemnes et dans ce sens « gagner » alors que toutes les nations eurasiennes seraient perdantes. Cela serait une Seconde Guerre mondiale, redux.

On peut deviner ce que cela signifie dans le cas d'un conflit économique en regardant l'actuelle petite guerre économique menée contre la Russie sous la forme de sanctions. Ces sanctions sont un coup pour la Russie et pour le reste de l'Europe. Les Etats-Unis n'en subissent pas les conséquences.

Il en irait de même pour un conflit militaire. Vous voulez savoir à quoi cela pourrait ressembler ? Regardez l'Est de l'Ukraine ! Toute l'Eurasie pourrait ressembler à cette pauvre nation dans le cas d'un conflit militaire impliquant les Etats-Unis et leurs alliés contre la Russie et la Chine. Que l'Eurasie soit prévenue !

Le but de l'élite de la politique étrangère américaine serait clairement de faire « perdre » la Russie et la Chine, mais même si elles « gagnaient », elles seraient très affaiblies, laissant ainsi la place de plus grande puissance économique et militaire du monde aux Etats-Unis, comme ce fut le cas en 1945.

L'Europe commence à se réveiller à ce sujet. Nous en avons la preuve avec le plaidoyer de Frank-Walter Steinmeier ci-dessus. Mais il n'y a pas que l'Allemagne qui s'inquiète. Le Sénat français souhaite mettre fin aux sanctions imposées à la Russie. Les hommes d'affaires de beaucoup de pays d'Europe occidentale, plus particulièrement allemands et italiens, les agriculteurs européens qui exportent vers la Russie et les entrepreneurs du secteur du tourisme en particulier en Turquie et en Bulgarie, souhaitent également mettre fin aux sanctions et aux exercices militaires. Les partis de droite veulent mettre fin à la domination de l'OTAN et de Bruxelles, toutes deux contrôlées par les Etats-Unis. Le Brexit n'est qu'un grondement de ce mécontentement.

Toutes ces nations sont de plus en plus conscientes du destin qui les attend si un conflit ouvert éclate avec la Russie. Le peuple allemand n'en veut certainement pas. De même, le peuple japonais se démène pour lutter contre les efforts des Etats-Unis pour entraîner le Japon dans un conflit avec la Chine. Tous ont en mémoire la dévastation qu'a entraînée la Seconde Guerre mondiale. Rappelons les chiffres, en d'autres termes le nombre de morts, parmi les principaux acteurs qui ont combattu lors de la Seconde Guerre mondiale :
L'Union soviétique : 27 000 000 (soit 14% de sa population) ;

La Chine : 17 000 000 (soit 3,5% de sa population) ;

L'Allemagne : 7 000 000 (soit 8,5% de sa population) ;

Le Japon : 2 800 000 (soit 4% de sa population).
En comparaison, les Etats-Unis, bien à l'abri de l'autre côté de l'océan, ont perdu 419 000 hommes (soit 0,32% de leur population) !

Et pour quelques autres pays qui se trouvaient sur le chemin des principaux adversaires :
La Yougoslavie : 1 500 000 (soit 9% de sa population)

La Pologne : 6 000 000 (soit 17% de sa population)

L'Indochine française : 1 600 000 (soit 6,11% de sa population)

Les Philippines : 527 000 (soit 3,29% de leur population)
On se demande à quoi pensent les dirigeants en Pologne, aux Philippines ou au Vietnam quand ils prennent une attitude belliciste envers la Russie ou la Chine pour plaire aux Etats-Unis.

Le problème avec la stratégie des Etats-Unis est qu'elle pourrait facilement dégénérer en conflit nucléaire. Les Etats-Unis seraient alors eux aussi réduits en miettes. L'élite politique occidentale doit parier que la Russie et la Chine ne répondront pas à une guerre conventionnelle avec l'arme nucléaire.

Néanmoins, Vladimir Poutine a été très clair sur ce point : si une guerre éclatait avec l'Occident, les Etats-Unis la ressentiraient tout de suite. Les néoconservateurs et le reste de l'élite de la politique étrangère des Etats-Unis doivent parier sur le fait que Poutine bluffe et qu'il n'osera jamais utiliser l'arme nucléaire. Les Etats-Unis sont donc en sécurité et les souffrances seront délimitée à l'Europe et à l'Asie.

Mais cette supposition est bien dangereuse. La Russie et la Chine pourraient répondre en attaquant des villes américaines avec des armes conventionnelles. Durant la Seconde Guerre mondiale, l'Allemagne a été capable d'infliger des dommages considérables à l'Angleterre en utilisant des bombes conventionnelles larguées par des avions et des missiles V-2. De la même façon, les Etats-Unis ont été capables d'infliger d'énormes dommages à l'Allemagne et au Japon avec des armes conventionnelles, en particulier lors des bombardements aériens de Tokyo et de Dresde.

Aujourd'hui, les progrès technologiques sont énormes et des centrales nucléaires se trouvent à proximité des villes américaines. Quel serait le résultat le plus probable d'une guerre conventionnelle menée sur les villes américaines ? Veut-on vraiment le savoir ? Et une fois qu'elle aurait commencé, où s'arrêterait une guerre nucléaire ouverte ? Où nous mènent les néoconservateurs et le reste de l'élite de la politique étrangère des Etats-Unis ? Les dégâts commenceront certainement en Eurasie, mais les Américains feraient bien de s'inquiéter du fait que des nuées d'abeilles peuvent venir butiner au-dessus de New York, Chicago ou Lors Angeles. Nous ne sommes plus au XXe siècle.

Pour certains, le scénario ci-dessus semble excessivement alarmiste. Peut-être doutent-ils que les élites américaines soient capables, en toute conscience, de déchaîner un tel massacre. Pour ces gens-là, il est utile de rappeler les mots du président Harry S. Truman, qui a déclaré en 1941, alors qu'il était encore sénateur et avant que les Etats-Unis ne s'engagent dans la Seconde Guerre mondiale : «Si nous voyons que l'Allemagne est en train de gagner la guerre, nous devrions aider la Russie ; et si nous voyons que la Russie est en train de prendre le dessus, nous devrions aider l'Allemagne, et, de cette manière, laissons les entre-tuer autant que possible...»

N'est-ce pas ce qu'il c'est passé ?

Peuples d'Eurasie, prenez garde.
John V. Walsh est titulaire d'un master de la faculté de médecine d'Harvard et a commencé sa carrière professionnelle dans la recherche en tant que professeur de physiologie et de neuroscience à la faculté de médecine de l'université du Massachussetts. Il milite depuis longtemps contre la guerre et a présenté sa candidature aux élections sénatoriales deux fois. Depuis 2004, il écrit des articles pour faire entendre la voix de la paix dans plusieurs médias, de gauche comme de droite, notamment Antiwar, Consortium News, Counter Punch, Dissident Voice, FFF, ICH,Lew Rockwell et RT. Ses articles sont également traduits en chinois et publiés dans des journaux chinois.