NATO inception
Qui n'était pas présent au sommet de l'OTAN à Varsovie qui s'est déroulé le 8 et le 9 juin?

On y a aperçu le président ukrainien, Petro Poroshenko, ainsi que son ministre de la défense. L'Ukraine n'est pourtant pas pays membre de l'OTAN.

On y a aperçu aussi les présidents géorgien, arménien et azéri, trois chefs d'Etats qui non seulement ne sont pas pays membres de l'OTAN mais dont deux - l'Arménie et l'Azerbaïdjan - sont en guerre depuis plus de 25 ans.

Présent aussi était le président de la République Islamique d'Afghanistan dont l'OTAN assure la sécurité: c'est un protectorat. L'alliance se bat contre l'Etat islamique mais protège cet Etat islamique-là.

Les dirigeants japonais et sud coréens étaient présents, quoique on ne peut plus éloignés de l'Atlantique du Nord. Le ministre de la défense des Emirats arabes unis était là aussi, mais son pays se trouve au bord du Golfe persique.

Ont participé également les présidents de la Finlande, de la Suède et de l'Irlande - pays européens, certes, mais tous des Etats neutres dont les constitutions interdisent toute appartenance à une alliance militaire. Pourtant la Maison-Blanche annonce leur partenariat de «plus en plus approfondi» avec l'OTAN.

Et n'oublions pas le ministre de la Défense de la Macédoine dont les puissances occidentales, les Etats-Unis et l'Union européenne viennent de renverser le gouvernement. N'oublions pas non plus les ministres de la Défense de l'Australie, pays du Pacifique; de l'Autriche, pays neutre; du Bahreïn, pays du Golfe; de la Jordanie; de la Moldavie; de la Mongolie; du Maroc, de la Nouvelle Zélande; de la Serbie; de la Suisse; et de la Tunisie.

Et puis, la cerise sur le gâteau, le premier ministre monténégrin, Milo Djukanovic, au pouvoir depuis 1991, c'est-à-dire depuis 25 ans - d'abord comme Premier ministre et ensuite comme président et de nouveau premier ministre - mais dont personne ne reproche la longévité politique, à la différence de Vladimir Poutine, lui au pouvoir depuis seulement 16 ans, car étant chef de gouvernement d'un pays qui va bientôt adhérer à l'OTAN, Djukanovic est évidemment un grand démocrate. L'homme fort du petit pays mafieux a participé à toutes les réunions du sommet, même si l'appartenance de son pays à l'OTAN n'est pas encore en vigueur. Peu importe la légalité.

J'ai failli ne pas évoquer la présence aussi de l'Union européenne dont le président du Conseil européen et le président de la Commission européenne étaient présents, eux aussi, pour la «photo de famille» et qui ont publié une «déclaration commune» avec le Secrétaire général de l'OTAN. L'Union européenne est depuis le traité de Lisbonne (2010) «un partenaire stratégique de l'OTAN», c'est-à-dire une succursale de celle-ci, et la vacuité de ce communiqué est un cas d'école de la langue de bois:
Au vu des défis communs auxquels nous sommes à présent confrontés, nous devons intensifier nos efforts : nous avons besoin de nouvelles façons de travailler ensemble et d'un nouveau niveau d'ambition, parce que notre sécurité est interconnectée, parce qu'ensemble, nous pouvons mobiliser un vaste éventail d'outils pour faire face à ces défis, et parce qu'il faut que nous utilisions les ressources de la manière la plus efficace qui soit.
Du pur verbiage.

Pourquoi s'attarder sur cette longue liste des personnes présentes et sur leurs communiqués bidons? Pour souligner d'abord que la tenue du sommet relève du pur symbolisme. L'OTAN, c'est l'empire américain sur lequel le soleil ne se couche jamais; le sommet, c'est la cour de Versailles où il faut être vu en train d'orbiter autour du président-soleil pour exister. C'est une alliance dont les Etats-Unis assurent 72% du financement; les autres pays en sont des vassaux. Le symbolisme sert à en souder la solidarité : avec 29 pays membres et autant d'autres pays participants, il est évident que rien ne peut être décidé dans ses réunions elles-mêmes. Tout a été décidé à l'avance par on ne sait quelle méthode.

Un empire, c'est un projet universel légitimé par des gestes sémiotiques et par la menace d'un ennemi extérieur. Cet ennemi, c'est la Russie, plus encore que l'Etat islamique dont on ne redoute que le terrorisme et le sabotage, alors que la Russie est un Etat-nation avec une armée capable d'envahir d'autres Etats. La décision la plus importante annoncée au sommet, c'est celle d'envoyer mille hommes dans les pays baltes pour les protéger contre une Russie qui autrement soi-disant les envahirait. Les attaques otaniennes contre la Yougoslavie en 1999 ou contre la Libye en 2011, l'occupation de l'Afghanistan ou du Kosovo - tout cela n'est pas agressif mais au contraire défensif. Le déploiement du système anti-missile en Europe, après la conclusion de l'accord nucléaire avec l'Iran, est censé être défensif aussi. Ces doubles standards sont le fruit d'un aveuglement délibéré dont le seul but est de justifier la pérennité de l'alliance au-delà de tout vrai besoin.

C'est la raison pour laquelle il ne faut espérer aucune amélioration des relations avec la Russie. L'OTAN est devenu beaucoup trop grande pour pouvoir exister sans un ennemi presque aussi grand qu'elle. Malgré les petits accords transitoires qu'il pourra y avoir avec la Russie - sur la Syrie par exemple - l'OTAN ne peut pas vivre sans attiser l'inimitié contre Moscou. Cette inimitié deviendra, dans les années à venir, l'axe principal de cette alliance qui est aussi démesurée qu'obsolète.

Plus les différences augmentent entre les pays membres de l'OTAN - le Brexit, les guerres au Caucase, le flirt grecque avec Moscou - plus il sera important de renforcer le pont atlantique pour empêcher à ce que l'alliance naturelle entre les pays de tout le continent européen se réalise. Dans sa prise de parole devant les journalistes en arrivant au sommet, le Premier ministre britannique, David Cameron, a évoqué le but de «tenir tête à la Russie» comme priorité numéro un pour l'OTAN.


Il faudra donc s'attendre à des actes de violence afin de faire avancer ce projet contre-nature, comme cela est inévitablement le cas dans des projets révolutionnaires comme celui d'approfondir un empire mondial qui dresse les pays européens les uns contre les autres. Si Hillary Clinton est élue présidente des Etats-Unis en novembre, de nouvelles provocations sont une quasi-certitude en 2017.