Commentaire : Si la science moderne améliore réellement, par certains côtés, notre vie quotidienne, notre santé et notre compréhension de l'univers, les mises en garde restent toujours les mêmes. L'état actuel de notre monde nous montre que les découvertes scientifiques, des plus anodines au plus importantes, créent plus de difficultés qu'elles n'en résolvent. Si la science n'est pas mauvaise en elle-même, les motivations qui nous animent, elles, semblent mener notre espèce dans la même voie sans issue : celle de la souffrance et de la destruction. On aura tôt fait, peut-être, de réaliser que le degré de conscience, aussi moteur de nos actions, est ce qui pose vraiment problème.

Quelques pistes :

Traduction : Virginie Bouetel

Embryon cloné
© InconnuEmbryon cloné
La plupart d'entre nous apprécions l'idée de posséder des super pouvoirs. Bien que nous ne possèderons probablement jamais la force de Superman, nous pourrions être plus forts, plus rapides, ou encore plus beaux, avec un contrôle total sur notre génome, ou la constitution génétique. Que diriez-vous d'être résistants aux maladies, à l'obésité, ou encore de ralentir les processus de vieillissement ? Cela sera peut-être possible dans les décennies à venir, puisque les généticiens s'approchent de plus en plus, non pas de la possibilité de juste changer ou remplacer des gènes, mais bien de réécrire des génomes entiers. Vous pensez que cela reste du domaine de la science fiction ? Et pourtant, imaginez que les généticiens d'Harvard ont récemment recodé le génome d'une bactérie Escherichia coli de synthèse ! L'étude a été conduite par le Professeur George Church et son équipe. La recherche a été publiée sur Science.

Les chercheurs ont remplacé 62 214 paires de base d'ADN. La manipulation a consisté à recréer l'ADN à partir de zéro. A l'heure où nous parlons, ils n'ont pas encore ranimé la bactérie. Ce qui paraissait inconcevable il y a encore quelques années est aujourd'hui possible. C'est le tout premier génome synthétique jamais assemblé, et il a été salué comme le plus grand aboutissement dans le domaine extrêmement complexe de l'ingénierie génétique à ce jour.

Grâce à cette technique, nous pourrions créer toutes les formes de vie que nous voulons, reprogrammer des organismes, et même créer des protéines de synthèse et d'autres composés. L'ingénieur du MIT, Peter Carr, a déclaré au journal Science que « ce n'est pas simple, mais nous pouvons créer la vie à toutes les échelles ». Rappelons qu'il n'a pas participé au projet.

Mais alors, en quoi consiste exactement le fait qu'ils ont réécrit un génome ? L'ADN est constitué de 4 nucléobases qui s'assemblent par paires, A (adénine) avec T (thymine), C (cytosine) avec G (guanine). Cet assemblage crée un brin qui se présente sous la forme d'une double hélice, appelé ARN.

Nucléobases
© Roland1952, CC BY-SA 3.0Nucléobases
Chaque combinaison correspond à un certain acide aminé, composants principaux des cellules. La cellule lit les combinaisons de nucléobases pour savoir quel acide aminé produire. Il n'existe que 64 combinaisons possibles. Lorsqu'on associe trois acides aminés ensemble - on parle alors de codon - , cela forme un acide aminé particulier. Il en existe au total 20 différents. Par exemple, l'association C-G-C donne l'acide aminé appelé proline. C-C-C produit également de la proline. Il existe donc des recouvrements. De ce fait, les généticiens peuvent effacer des gènes redondants sans que cela n'affecte le développement de l'organisme.

C'est ce que les généticiens d'Harvard ont fait dans le cas qui nous intéresse. Ils ont « édité » la zone de recouvrement. Les scientifiques ont enlevé sept types de 64 codons parmi 3548 gènes. Plutôt que de lire le génome gène après gène, les chercheurs ont utilisé des machines capables de synthétiser des segments entiers d'ARN effacé, chaque segment contenant de nombreuses altérations. Puis ils ont inséré ces segments dans l'ADN d'E. coli, un par un, en faisant attention de ne pas induire des modifications qui pourraient être fatales à la cellule. Jusqu'ici, 63% des gènes recodés ont été testés. Seulement quelques uns ont engendré des problèmes dans la cellule. Les chercheurs ont encore quelques années d'expérimentations et de tests devant eux. Cependant, les généticiens s'émerveillent devant la malléabilité du génome.

Bactéries
© InconnuBactéries
A court terme, les scientifiques sont enthousiastes à l'idée de créer une bactérie qui serait invulnérable face aux virus. Habituellement, un virus infecte une cellule vivante en insérant son propre ADN dans le génome de l'hôte. Le virus peut ainsi se répliquer. Les Organismes Génétiquement Recodés (GRO) possèderaient un génome tellement différent que le virus ne serait plus capable de lire ce dernier, et ne pourraient donc pas insérer leur ADN. Ils seraient alors dans l'incapacité de se répliquer.

Les GRO pourraient également être utilisés dans l'industrie. En réécrivant le code génétique d'une bactérie, cela permettrait de modifier le type de protéine que cette dernière produirait. Les bactéries de synthèse deviendraient des usines vivantes, programmées pour produire tous les acides aminés souhaités. Ces derniers produiraient en série la génération suivante de matériaux de synthèse, comme par exemple des médicaments. De telles bactéries de synthèse pourraient devenir des sujets d'expérimentation fiables pour la recherche scientifique du futur.
Les expérimentations du Professeur Church ont été controversées dans le passé. Parmi de nombreuses interrogations réside le problème de vérifier si cette technique est 100% fiable ou pas. L'inquiétude porte sur le fait que les bactéries recodées/reprogrammées pourraient produire une toxine. Étant donné qu'elles seraient résistantes aux virus, elles possèderaient un avantage sur d'autres organismes en compétition dans l'environnement. Si cela devait arrivé et que les bactéries soient libérées dans la nature, cela pourrait engendrer une catastrophe écologique ou même causer la prochaine épidémie de masse. Pour rassurer sur ce sujet, Church et ses collègues ont mis en place des mesures de sécurité sur le système.
Modèle de génome humain
© InconnuModèle de génome humain
Les bactéries doivent être nourries avec un nutriment spécial sinon elles meurent. A moins qu'elles ne trouvent par elles-mêmes ce nutriment dans la nature, ce qui, selon Church, a très peu de chance d'arriver, elles ne pourraient pas survivre.

Un autre moyen de sureté intégré est d'ériger une barrière qui empêche les bactéries de s'accoupler ou de se reproduire hors du laboratoire. Mais d'autres experts se demandent à quel point ce moyen de sureté intégré est incontournable. Carr affirme qu'au lieu de discuter sur le caractère infaillible de ces moyens, nous devrions évaluer cela en terme de risques.


Commentaire : Et l'on reconnait bien là la mécanique habituelle des preneurs de décisions qui, par manque de conscience, sont prêt à risquer toutes les catastrophes pour satisfaire leurs intérêts. On appréciera le "A moins qu'elles ne trouvent par elles-mêmes ce nutriment dans la nature, ce qui, selon Church, a très peu de chance d'arriver " et le "d'autres experts se demandent à quel point ce moyen de sureté intégré est incontournable". Rappelons-nous, les fameux moustiques OGM stériles qui, finalement une fois lâchés dans la nature, ne le sont plus...


L'étape suivante consiste à conduire d'autres tests sur les gènes artificiels qui seront créés. Ensuite, Church et ses collègues prendront le même génome et produiront un organisme entièrement nouveau avec ce matériel génétique. Compte tenu du fait que l'ADN est le plan de base de n'importe quelle forme de vie sur Terre, être capable de réécrire ce dernier pourrait donner aux Hommes un pouvoir sur la vie proche de celui des dieux. Cette aptitude est peut-être à des décennies de nous. Même si, combiné avec l'édition du gène et la modification génétique, et l'idée d'une race de surhommes, ce n'est pas en dehors du domaine du possible.