Commentaire : Dans le folklore des clowns, il en existe deux sortes : le blanc, gentil et facétieux, le noir, méchant et quelque peu pervers. Le clown est double, il peut faire rire avec ses farces ou faire pleurer avec ses mauvais coups. Il peut donc faire réellement peur, parfois. En riant de ses blagues ou de sa perversion, la double nature du clown révèle aussi à la notre : masque du sourire cachant un rictus incertain... et vice-versa.


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© GoogleUn clown très populaire : Pennywise, tiré du roman IT de Stephen King
Partout aux États-Unis, les apparitions de clowns, réels ou imaginaires, se multiplient. Un phénomène qui revient régulièrement et qui crée à chaque fois une atmosphère hystérique. Qu'en disent les psychologues ?

Mai 1954. Vers la fin d'année, dans le quartier de Bellingham à 150 km de Seattle, plusieurs résidents s'inquiètent de voir le pare-brise de leurs voitures endommagés par de petits trous. Alors que les journalistes s'empressent de relayer l'affaire, le nombre de plaintes explose. Un mois après, d'autres quartiers font eux aussi l'objet de mystérieux actes de vandalisme ciblant les pare-brise. Le 15 avril, la police de Seattle enregistre des centaines de plaintes d'habitants qui assurent avoir, eux aussi, remarqué des perforations sur leur pare-brise.

En ville, les théories se multiplient. Et si des débris s'étaient abattues sur la région ? Et s'il s'agissait de retombées d'un essai nucléaire secret réalisé quelque part ? Et si tout ça venait de l'espace ? des rayons du soleil ? du ciel ? des nuages ? Et si un essaim de puces avaient largué une armée d'œufs sur les voitures de la région ? des œufs petits mais lourds ?

Plus tard, des journalistes affirment que si personne n'avait jusqu'alors coincé un coupable ou n'avait été témoin d'une pluie de débris nucléaires, c'était peut-être bien parce que ces idées-là n'existaient que dans la tête des gens. Peut-être que les résidents ne remarquaient que maintenant les impacts sur leurs vitres, qui avaient en fait été causés par une ou plusieurs pierres des mois plus tôt.

Une fois, cette théorie expliquée dans les médias, plus personne n'appellera la police au sujet de son pare-brise à Belligham.

Cette anecdote qui circule largement sur Internet, c'est le psychologue David Myers qui nous l'a racontée pour illustrer l'importance de l'influence. Interrogé sur l'invasion des clowns, David Myers assume ne rien connaître de ce phénomène-là, mais il sait une chose : l'homme est influençable, il voit ce qu'il veut voir.

Et aujourd'hui, de plus en plus de gens voient des clowns rôder dans les rues, certains sont réels, d'autres sont très certainement nés de leur imagination.

Les clowns arrivent

Août 2016. Les clowns sont de retour aux États-Unis. Des enfants à Greeneville en Caroline du Sud ont raconté qu'un groupe de clowns avait essayé de les attirer dans une forêt, pas loin d'une résidence. Les enfants de la ville sont alors interdits d'approcher les bois la nuit et tous les résidents se mettent à s'inquiéter pour leur propre sécurité. Bientôt d'autres témoignages agitent plusieurs villes de Caroline du Nord où un homme assure avoir pourchassé un clown avec sa machette près d'une forêt. Il y a aussi cette femme dans l'Oregon qui affirme qu'un clown l'a approchée, alors qu'elle était tranquillement assise dans sa voiture, avant de frapper sur sa vitre.

Lundi 3 octobre et le mardi suivant, des centaines d'étudiants de l'université de Pennsylvanie sortent dans les rues pour chasser des clowns que des jeunes affirment avoir vu déambuler au sein de l'établissement. Interrogée, la police assure quant à elle qu'il n'y a aucune raison de croire ces rumeurs.

Mais la multiplication de témoignages et d'histoires qui circulent sans oublier le Saint des outils analytiques, Google Trend, tendent à confirmer que le phénomène loin de s'atténuer ne fait que s'étendre, qu'il soit ou non justifié par des faits. Le nombre de personnes ayant effectué la recherche Google : "clown sightings" est passée de zéro à la fin du mois d'août à douze par jour depuis le début d'octobre aux États-Unis.

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© GoogleLes recherches Google pour "clown sightings" ces 90 derniers jours
Savoir si les gens s'interrogent parce qu'ils pensent que les clowns sont là ou parce qu'au contraire ils n'y croient pas, n'est pas important. Le constat est là : les rumeurs ont pénétré la réalité et elles fleurissent à un rythme tel qu'il devient difficile de les contrôler.


Rafle de clowns

Alors que la situation prend une ampleur considérable, la police commence à accorder plus d'attention aux témoignages qui rapportent avoir vu des clowns. En Alabama, quatre étudiants sont poursuivis pour menaces terroristes proférées depuis leurs comptes Stitchez the klown et Crazo the cappinclown sur les réseaux sociaux.

Dans l'Arizona, ce sont deux étudiants de 17 ans qui ont été arrêtés pour avoir braqué un Domino's pizza et un Taco Bell déguisé en clowns.

En Virginie, plusieurs adolescents ont été arrêtés pour avoir porté des masques de clowns en vue d'effrayer et de poursuivre des enfants.

En Pennsylvanie, une dispute a conduit à la mort d'un jeune de 16 ans porteur d'un masque de clown, poignardé à mort par un homme de 29 ans, désormais poursuivi pour homicide. Dans le Kentucky, la police a arrêté un certain Jonathan Martin, 20 ans, qui se déguisait en clown et se cachait dans la forêt. Le jeune homme est poursuivi pour trouble à l'ordre public.


La police a renforcé la sécurité aux abords des écoles après plusieurs menaces anonymes liées aux clowns, et plusieurs commissariats ont posté des messages sur Facebook pour demander aux habitants d'arrêter de les appeler pour des histoires de clowns.
L'hystérie collective a atteint un tel niveau que l'auteur Stephen King en personne s'est exprimé pour demander à chacun de se calmer : "Les gars, il est temps de calmer l'hystérie autour des clowns, la plupart d'entre eux sont gentils, ils réconfortent les enfants et font rire les gens".
La peur est contagieuse

Stephen King a certainement raison. La majorité des clowns jonglent, dansent et animent des soirées d'anniversaire pour le plus grand plaisir des enfants. Mais désormais, l'image du clown gentil et jongleur ne parle plus à personne. C'est le clown bien creepy qui monopolise l'imaginaire collectif et alimente les peurs.
"Les médias de masse ont contribué à faire des clowns des personnages inquiétants, violents, agressifs, en faisant tourner en boucle ces faits divers", explique Brad Bushman, professeur des médias et de psychologie à l'université de l'Ohio. L'enseignant qui a également travaillé sur la violence chez l'homme affirme à Mashable : "Je ne peux rien prétendre des motivations des gens qui se déguisent en clowns pour effrayer, mais je suis certain qu'ils font dans leur tête cette association."
Prenons un cas concret qui a émergé au mois d'août au début de l'hystérie sur les clowns. Des habitants de Green Bay dans le Wisconsin repèrent un clown à l'air menaçant déambulant dans la rue la nuit. Une vision d'horreur pour les habitants effrayés qui finit par faire les gros titres de la presse locale et nationale. En réalité, ce clown a un nom. "Gags the Green Bay Clown" avait investi les rues du quartier pour faire la promotion d'un film d'horreur. Autant dire que la campagne marketing a vraiment marché, peut-être un peu trop. Les jours suivant, des clowns comme Gags sont repérés partout, qu'ils soient réels ou fantasmés.

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© FACEBOOK/GAGS - THE GREEN BAY CLOWNGags, le clown de Green Bay dans le Wisconsin

Le clown Gags a fait les unes de la presse parce que les gens l'associaient à une menace. Pas à des anniversaires. Et ça, les personnes qui font le choix de se déguiser en clowns après cette affaire l'ont bien compris, d'après Brad Bushman.
"Quand les gens s'engagent dans des comportements déviants, ils ne veulent pas qu'on les repèrent ou qu'on les en tiennent responsables", affirme le psychologue. "C'est pour ça que les gens portent des masques et mettent des costumes : pour ne pas être identifié ni tenu responsable."
Les visions étranges, facteur de connexions sociales ?

Les masques de clowns permettent ainsi à ceux qui les portent de se sentir comme déconnectés de leurs actes. Pour ceux qui s'en inquiètent et appellent la police à tout va, la logique est similaire. "Les gens peuvent raconter avoir vu un clown, personne ne va aller le poursuivre, ils se retrouvent donc connectés à quelque chose de plus grand qu'eux, quelque chose qui les dépasse", explique Jason Seacat, professeur de psychologie à l'université Western New England.

Jason Seatcat évoque ainsi les émissions tv dédiées à la recherche de BigFoot, et comment des signes de créatures mystiques peuvent surgir ici et ailleurs.

Si Jason Seacat décidait de se rendre dans la forêt et de revenir en jurant avoir vu BigFoot, il est persuadé que les gens seront nombreux à le croire. La fausse information circulerait alors et progressivement d'autres témoins affirmeraient à leur tour avoir vu la même créature. Très vite, l'affaire ferait les gros titres. Il y a dans cette histoire une sorte de "cycle" d'après le psychologue Jason Seacat. "Il y a des périodes où les visions de BigFoot et d'autres monstres augmentent."

Le cycle infernal des apparitions de clowns ne date pas d'hier et à chaque fois, les médias s'en font l'écho. ABC en 2014, Slate récemment et désormais Mashable...

Et comme on l'a déjà vu par le passé, les clowns, une fois qu'ils sont partis, reviennent toujours.