Les affaires de pédophiles VIP en Angleterre sont étouffées, depuis plusieurs mois les victimes sont décrédibilisées, surtout si elles parlent de réseau, de meurtres ou même de rituels sataniques. Mais l'un des politiciens cités à de nombreuses reprises, défendu par ses pairs, revient dans l'actualité. Des victimes affirment en effet qu'Edward Heath, premier ministre au début des années 70, était pédophile et le relient à un culte obscur.
Sir Edward Heath
© ReutersEdward Heath
On a déjà eu l'occasion de parler de "Ted" Heath sur ce blog, car son nom revient dans plusieurs dossiers, dont celui des orphelinats de Jersey ou l'affaire Jimmy Savile. Mais, aucune investigation (quand il y en a eu) n'a mené à la découverte de preuves. Et l'establishment a défendu bec et ongles l'ex premier ministre, décédé il y a une dizaine d'années sans avoir jamais été inquiété.

En 2015, on apprenait que pas moins de sept forces de police devaient enquêter sur Heath. Ce qui ne manque pas de piquant, c'est que l'équipe qui pilotait ces investigations a justement été mise en cause pour corruption, en raison de la disparition de plusieurs preuves dans des enquêtes concernant des abus sexuels commis par Heath sur des mineurs, dans les années 90.

L'affaire du bordel gay

A en juger par la succession d'affaires à l'occasion desquelles il a été cité, Edward Heath a bénéficié de soutiens solides. Beaucoup d'amis sont montés au créneau pour défendre son honneur. On a même dit qu'il était asexuel. D'autres ont dit qu'il était gay, notamment après qu'il ait été mis en garde par les renseignements au sujet de ses petits tours dans les toilettes publiques à la recherche de jeunes types.

Dans les années 90, une maquerelle a été poursuivie pour avoir prostitué des mineurs auprès, notamment, de politiciens. Mais il a été dit que ce procès avait été détourné afin de ne pas mettre en cause Edward Heath, à qui la maquerelle avait promis de ne pas ternir la réputation.

La maquerelle, Madame Ling-Ling, s'en est très bien tirée : après avoir menacé d'exposer différentes personnalités politiques et en particulier Edward Heath, les poursuites à son encontre ont été abandonnées. Heath n'a même pas été entendu dans cette affaire, alors que son nom a été rapidement cité par des victimes. En 2015, une enquête a été ouverte par la commission sur l'étouffement des affaires des pédophiles VIP (Independent Police Complaints Commission) sur l'abandon des procédures contre la maquerelle.

D'après sa sœur, Madame Ling Ling connaissait un certain nombre de « politiciens et célébrités », et elle-même a déclaré que ses visiteurs étaient des « acteurs, présentateurs de JT, député, avocats, juges et traders ».

Son bordel se trouvait près du domicile de Heath à Salisbury. Elle a déclaré qu'elle organisait des rendez-vous pour Heath avec des jeunes types de 21 à 30 ans, majeurs bien-sûr. Elle a quand-même été condamnée en 1995 en raison de son activité, mais surtout parce que des gamines mineures, parfois âgées de 13 ou 14 ans, y étaient prostituées. Ling Ling récupérait des ados en fugue ou placées dans des foyers et en faisait des « call girls ». Après sa peine de prison, elle a recommencé à organiser un réseau de prostitution à Salisbury, et a été condamnée une deuxième fois en 2009, à 5 ans de prison.

Apparemment, elle notait les noms de tous les visiteurs dans des carnets, qui sont entre les mains de la police. Mais ces noms restent secrets.

En 2012, le député Tom Watson, qui a tenté de mettre sur le tapis la question des réseaux VIP, a dit avoir eu des informations impliquant Heath dans des activités pédophiles.

L'affaire de Jersey

En 2015, une enquête autour des abus sexuels commis par différentes personnalités sur des enfants des orphelinats de Jersey s'intéresse aussi à Ted Heath, qui figure parmi les suspects [1] au même titre que Jimmy Savile et 55 autres personnes dont 16 notables. Savile a toujours nié avoir mis les pieds à Jersey, mais des photos prouvent le contraire et l'inspecteur qui a mené le début de l'enquête sur l'orphelinat Haut-de-la-Garenne pense qu'il y a violé des enfants.

Michael Shrimpton, avocat et juge très très à droite, et qui a beaucoup dénoncé l'ingérence allemande dans la vie politique anglaise, ce qui lui valut d'être taxé de conspirationniste et d'être même condamné pour détention de pédopornographie[2], a aussi dénoncé publiquement Edward Heath. Il a affirmé que Savile lui fournissait des enfants, à Jersey mais pas seulement. Shrimpton a affirmé que les enfants étaient violés sur le yacht de Heath et que certains ont été assassinés et jetés à la mer.

A ce sujet, il y a le témoignage, diffusé dans la presse, d'une femme qui déclare avoir vu 11 enfants monter sur le yacht de Heath à Bouley Bay, mais seulement 10 en revenir quelques heures plus tard. Linda Corby situe cela au début des années 70 : « J'étais avec le sénateur de Jersey Ralph Vibert, qui est décédé depuis. Il disait qu'il a été averti au sujet d'enfants qui montaient sur le yacht de Heath, le Morning Cloud, et dont certains ne revenaient pas. On regardait quand un groupe de garçons de l'orphelinat sont montés ». Linda Corby est revenue un peu plus tard avec le sénateur pour regarder le retour du yacht « on a de nouveau compté les enfants mais un garçon manquait ».

Les deux se sont immédiatement rendus à la police pour signaler les faits. Quelques jours plus tard, des officiers leur ont dit que « quelqu'un au-dessus » leur a dit de ne pas enquêter. De fait, la déposition de Linda Colby et du sénateur Vibert a été « perdue », a annoncé la police.

Le yacht a coulé en 1974 lors d'une tempête, et deux hommes de l'équipage se sont noyés.

C'est aussi en 2015, quand l'enquête sur Heath a été rouverte, que la police a appelé des victimes éventuelles de Heath à se faire connaître.

Le Paedophile Information Exchange et le Kincora Boys home

On a déjà parlé de ce réseau pédophile tout à fait officiel, qui militait pour l'abaissement à 4 ans de la majorité sexuelle dans les années 70, et regroupait de nombreux pédophiles condamnés, ainsi que du gratin du parti conservateur, qui a permis de le financer en partie.

Le machin a été démantelé suite à plusieurs arrestations de membres du Paedophile Information Exchange. Heath a assisté à au moins 6 réunions du Paedophile Information Echange à Westminster.

Le PIE a été créé par plusieurs pédophiles dont Peter Righton, qui était la sommité du pays en matière de prise en charge des enfants victimes, consultant pour le National Children's Bureau. Il conseillait même le gouvernement sur les politiques à mener en matière d'orphelinats et de protection de l'enfance, et a beaucoup écrit sur la prise en charge des enfants tout en défendant sa théorie selon laquelle le sexe avec des mineurs n'est pas forcément un drame.

Righton n'a été mis à jour que très tard, dans les années 90, et est mort en 2007. Lui aussi a été protégé, des enquêtes n'ont pas été menées malgré des preuves [3].

C'est à cette époque qu'un homme affirme avoir été violé par Heath à son domicile de Myfair, après avoir été embarqué alors qu'il faisait du stop.

On sait aussi que Heath a été cité parmi les visiteurs du Kincora Boys Home, à Belfast, où un réseau pédophile lié au MI5 faisait venir diverses personnalités pour se taper des garçons mineurs. L'enquête sur le Kincora vient d'être close pour la deuxième fois, sans aboutir à la conclusion que le MI5 était impliqué.

Or, un agent des renseignements militaires qui a enquêté sur le réseau du Kincora déclare que Heath venait régulièrement et que des viols d'enfants étaient commis dans ce foyer pour ados.

La contre-attaque

Depuis quelques mois, les médias s'en prennent aux victimes qui ont parlé, comme « Nick », qui dénonce plusieurs meurtres d'enfants commis par le réseau de politiciens. Mais concernant Ted Heath, les dénégations ne sont plus crédibles, d'après certains policiers.

Où l'on rouvre la boîte de Pandore, avec l'accusation de participation à un réseau à la fois pédophile et satanique. Accusation réfutée en bloc par un spécialiste de la police (devenu une femme récemment) qui dit qu'il ne faut surtout pas prendre cela au sérieux. Le « Dr » Richard Hoskins (devenu Rachel Hoskins) déclare en effet que ces accusations relèvent des « faux souvenirs », cette théorie bidon inventée par un pédophile et développée par la CIA via la False Memory Syndrome Foundation afin de lutter contre la vague impressionnante de témoignages pointant des réseaux de type satanique et des abus rituels, qui a eu lieu dans les années 80 aux USA et en Angleterre [4].

« L'enquête Heath repose, comme l'enquête VIP de Westminster, sur une imagination suractive », tout cela relève de la « fantaisie », a ainsi tranché le « Dr » qui, pourtant, n'a eu accès qu'à une petite partie des éléments récoltés par les enquêteurs.

Quant à Heath, le principal argument avancé pour sa défense était qu'il ne conduisait pas et était constamment accompagné d'un policier, or plusieurs de ses victimes ont déclaré qu'il les a agressées dans sa voiture. Mais il se trouve que cette semaine, des photos de Heath au volant de sa voiture sont venues contredire cet argument.

Pour Hoskins, finalement, les seuls abus rituels qui existent sont de type vaudou commis par des Noirs. Pas d'abus sataniques en Angleterre, ni nulle part, malgré des dizaines de témoignages.

Les accusations

Même si les accusations contre Heath sont livrées au compte-goutte, plusieurs victimes ont parlé à la police et à la presse[5]. Parmi elles, une femme déclare que Heath était en lien avec un réseau pédophile qui pratiquait des "orgies sataniques" et poignardait des enfants dans des églises. Cette femme "aurait des liens" avec une autre victime, « Nick », depuis très longtemps : selon Hoskins, leurs pères ont travaillé dans la même communauté. Rien ne prouve qu'ils se soient croisés mais pour Hoskins les deux témoins se seraient influencés mutuellement.

Nick, lui, ne parle pas spécifiquement de pratiques sataniques mais de meurtres d'enfants commis au cours de partouzes qui se sont déroulées à Londres, notamment au Dolphin Square, un complexe d'appartements de luxe.

Nick déclare avoir vu Heath au Dolphin Square, et même que c'est Heath qui lui a évité de se faire émasculer par Harvey Proctor, autre politicien mis en cause depuis des lustres, mais qui se défend d'avoir commis des actes pédophiles.

Il y a également trois femmes qui ont dit à la police que leurs parents étaient membres d'un groupe occulte, que Heath était un de leurs amis et qu'il était présents lorsqu'elles étaient abusées. L'une de ces femmes a raconté une cérémonie qui s'est produite dans une forêt où des chandelles étaient posées et des symboles dessinés au sol.

A ces témoignages, Hoskins, décidément d'une rare pertinence, a dit qu'aucune disparition d'enfant n'avait été signalée à cette période, pouvant corroborer ces propos. Faut-il préciser que les enfants massacrés lors de ce type de rituel n'ont généralement pas d'existence légale dans le pays ? Ils sont importés de l'étranger, pris dans le réseau et n'ont jamais été déclarés, ou ils sont fugueurs.

Hoskins trouve aussi impossible que les membres du culte aient ramené des enfants pour être témoins de ces meurtres. Là, Hoskins ferait mieux de réviser un peu : la présence de mineurs à ce genre de cérémonie fait partie de leur conditionnement dans le culte.

Pour Hoskins, puisqu'on n'a pas de preuves matérielles, tout cela est faux. Ce raisonnement simpliste est également dangereux : on n'a presque jamais de preuves matérielles des viols, et encore moins de l'existence d'un réseau, à plus forte raison s'il est de type satanique et que parmi ses membres on retrouve des VIP. C'est cela, la réalité.

Hoskins pointe aussi le manque de détails donnés par les victimes ; rappelons que si ce qu'elles disent est vrai, ces personnes ont subi des chocs traumatiques qui érodent voir effacent la mémoire, particulièrement celle des "détails" (lieux précis, noms, dates...). Hoskins est donc ignare ou de mauvaise foi.

Heureusement, la police a quand-même continué ses investigations sur Heath, dans le cadre de l'opération Conifer.

Parmi les témoignages, une femme (appelée « Lucy X ») a raconté qu'à l'âge de 10 ans, elle a kidnappé dans un village appelé Tidworth un gamin dans sa poussette, afin de le donner en cadeau à son père. Celui-ci l'a ramené dans une église où, selon le témoin, l'enfant a été dénudé, mis sur l'autel, violé et étranglé jusqu'à la mort. « C'est une histoire incroyable, même absurde », commente Hoskins, qui accuse dans la presse les thérapeutes de ces témoins de leur avoir inculqué des souvenirs bidons. Surtout l'un de ces témoins, dont les propos auraient été recueillis sous hypnose.

Lucy X avait déjà dénoncé ce meurtre rituel en 1989, au moment où plusieurs affaires liées à des pratiques sataniques et pédophiles ont défrayé les chroniques. A l'époque, les flics n'avaient pas jugé utile d'ouvrir une enquête.

Hoskins, comme la plupart de ceux qui dénoncent les enquêtes sur les VIP, pointe le coût de l'enquête, qui s'élèverait à plus de 2 millions de livres. Certes, mais combien ont coûté les dégâts causés par ces tarés depuis 40 ans ?

Le 20 février 2017, le Daily mail nous parle d'un "groupe de femmes [qui] déclarent qu'Edward Heath a abusé d'elles lorsqu'elles étaient enfants et que leurs parents sont impliqués dans plus de 16 meurtres".

"Elles disent que le culte a régulièrement abattu des enfants lors de sacrifices rituels dans les églises et les forêts autour du sud de l'Angleterre, et ont également participé à des cérémonies similaires en Afrique", dit l'article.

La mère et le père de ces femmes, qui connaissaient Heath, étaient selon ces femmes responsables de l'abattage d'enfants, aussi bien des bébés que des adolescents, et auraient toujours échappé à la justice.

Plusieurs fois, des accusations ont pointé Heath comme étant lié à un groupe de satanistes. Un témoignage (invérifiable) dit que Heath et Harold Wilson (autre ex 1er ministre) ont été placés au poste de Premier Ministre par ces satanistes, en l'occurrence lord Boothby et Tom Driberg. Selon ce témoignage, Heath était le plus haut sataniste à parvenir au poste de Premier ministre.

Il se serait baladé du côté d'un bois à Clapham dans le Sussex, pour des rituels. Comme la famille royale, Heath et Wilson ont sacrifié des enfants, et Heath appréciait beaucoup cela, toujours selon ce témoignage.

Il y a aussi cette liste des membres d'un groupe de satanistes, rédigée d'après les témoignages de plusieurs survivants, sur laquelle figure le nom de Ted Heath. Au moins cinq victimes d'abus rituels l'ont cité, alors qu'elles ne se connaissaient pas entre elles.

Sur le net, on trouve également un texte qui évoque le témoignage d'une femme, autour d'un réseau satanique. Elle parle d'orgies dans des églises, de gens avec des costumes et des masques, de références à Baphomet. Elle a décrit un meurtre rituel d'un garçon de 6 ans, violé par un politicien d'Irlande du Nord puis égorgé. Parmi ses agresseurs, elle cite Ted Heath. Le type qui écrit cela, un certain "Bruce Fleming", dit que le nom de Heath revient sans cesse dans les témoignages de victimes d'abus sataniques en Angleterre.

Fleming évoque aussi le témoignage d'une autre femme, mariée à un sataniste et victime elle-même depuis l'enfance, qui aurait été présente lors d'un rituel au début des années 70, où Heath se trouvait aussi. Sauf que là, elle aurait expliqué avoir vu Heath se transformer[6]. On a donc de tout autour de l'histoire de Ted Heath sataniste et tout n'est pas à prendre au premier degré.

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Le policier en charge de l'enquête sur Heath, Mike Veale, affirme avoir subi des pressions pour clore l'enquête il y a quelques mois, au même moment où les enquêtes sur Leon Brittan (mort opportunément début 2016) ont été abandonnées. Si au départ la police mettait en doute ces accusations, Veale pense aujourd'hui que les accusations contre Heath sont fondées et parle dans la presse pour donner son point de vue, espérant sans doute faire pression sur sa hiérarchie par médias interposés.

Selon Veale, les différents témoignages se recoupent : les mêmes noms, les mêmes lieux et le même type de faits reviennent. Il affirme aussi que les témoins ne se connaissaient pas. Bref, le tout est crédible, même si on peut s'attendre, comme toujours, à un manque cruel de preuves matérielles. D'autant que les dossiers, avec les témoignages et les éléments d'enquêtes, ont une fâcheuse tendance à disparaître.

Notes :

[1] En effet, Heath baladait son yacht du côté de Jersey. Il y venait aussi en compagnie de son ami Jimmy Savile et, selon des témoignages, emmenait des enfants des orphelinats sur son yacht, le Morning Cloud. Par ailleurs, heath a été l'un de ceux qui ont fait pression pour que Savile soit décoré et anobli, alors que beaucoup freinaient en raison des rumeurs persistantes comme quoi il violait des mineurs.

[2] Shrimpton dit pour sa part que ce seraient les services secrets qui lui auraient mis ces contenus dans son ordinateur. On ne le saura jamais, mais il est clair que cette technique est parfois utilisée par les renseignements.

[3] Notamment, du matériel trouvé lors de son arrestation en 1992 pour avoir détenu de la pédopornographie, montrait qu'il était au centre d'un véritable réseau pédophile.

[4] Cette théorie bidon est également véhiculée en Europe par un certain Hubert Van Gijseghem, un psy qui est venu dire au procès de Daniel Legrand (affaire Outreau) à Rennes en 2015 que les trois victimes, reconnues comme telles lors de précédents procès, avaient des "faux souvenirs". Diagnostic posé sans avoir vu une seule de ces victimes, et qui a servi au parquet à jeter le bébé avec l'eau du bain, afin d'acquitter l'accusé. Van Gijseghem est, hélas, très actif dans la "formation" des magistrats et professionnels de l'enfance, et témoigne à de nombreux procès de pédophiles.

[5] Une quinzaine de victimes avait porté plainte contre Heath en décembre, on serait désormais à une trentaine identifiées par les services de police.

[6] Plusieurs personnes qui ne sont pas folles m'ont dit avoir assisté à ce genre de scène. Le sujet est complexe, et ce genre d'affirmation décrédibilise le discours. Mais il faut aussi se demander s'il n'y a pas une explication plus "rationnelle" à cela, peut-être en raison de prises de drogues ou d'une forme d'hypnose.