Les récentes arrestations en masse en Arabie Saoudite combinées au rapt du Premier ministre libanais, à l'escalade de la guerre contre le Yémen et à l'affirmation de Riyad que l'Iran et le Liban lui auraient « déclaré la guerre » font état d'une crise régionale grave qui menace de se transformer en un conflit plus large.
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© InconnuLe roi de l'Arabie saoudite
Après plus d'un quart de siècle de guerres d'agression américaines ininterrompues, d'occupations et d'opérations de changement de régime qui ont coûté la vie à plus d'un million de personnes et chassé des millions d'autres de leurs foyers, le Moyen-Orient est une poudrière.

Des sociétés entières ont été décimées par ces interventions, en Irak, en Libye, en Syrie et au Yémen. Cette immense effusion de sang a pour principale motivation les tentatives de l'impérialisme américain de compenser le déclin relatif de sa domination sur l'ordre mondial capitaliste par la force militaire, notamment par l'affirmation de son hégémonie sur le Moyen-Orient riche en pétrole.

Cependant, malgré l'immense puissance destructrice des moyens employés, ils n'ont pas réussi à atteindre les objectifs de Washington. Après avoir dépensé environ 2000 milliards de dollars en ressources et sacrifié la vie de plus de 4400 soldats américains en Irak et rapatrié des dizaines de milliers de blessés graves, les États-Unis n'ont pas réussi à atteindre leurs objectifs de domination incontestée dans la région. En Irak, en Syrie et ailleurs dans la région, les États-Unis font face à l'Iran, rival régional important, et à la Russie et la Chine qui défient aussi le capitalisme américain pour le contrôle des marchés et des ressources énergétiques.
La réaction des États-Unis a été d'attiser des conflits de plus en plus graves qui menacent d'entraîner toute la région dans la guerre, avec également le potentiel d'y impliquer les grandes puissances nucléaires mondiales.
Le gouvernement Trump a délibérément cherché à provoquer un conflit direct avec l'Iran, refusant de valider son respect de l'accord nucléaire de 2015 négocié avec le gouvernement Obama et les autres grandes puissances. Les déclarations absurdes selon lesquelles l'Iran ne respecte pas « l'esprit » de l'accord, c'est-à-dire en s'inclinant devant les exigences américaines de désarmement et de subordination complète aux intérêts américains au Moyen-Orient, ont provoqué une escalade des tensions avec Téhéran et préparent le terrain pour un conflit militaire direct.

Avec son voyage à Riyad en mai dernier, Trump a jeté les bases d'une alliance sectaire sunnite contre l'Iran, basée sur les cheikhs réactionnaires du Golfe Persique dirigés par l'Arabie Saoudite. Cette politique américaine a essentiellement donné carte blanche au régime saoudien pour mener la répression au pays même et intensifier la violence militaire et les provocations dans toute la région.

Cette orientation a été confirmée par la réaction de la Maison Blanche à la vaste épuration lancée par le prince héritier saoudien Mohammed bin Salman impliquant l'arrestation de certaines personnalités les plus puissantes du royaume, dont une douzaine de princes, de ministres actuels et anciens, et l'un des milliardaires le plus riche du pays, tout en prétextant une bataille contre « la corruption ». En réalité, la répression, accompagnée du placement des alliés du prince héritier dans des positions clés, fait partie d'une consolidation du pouvoir entre les mains des plus belliqueux de la faction anti-iranienne du régime.

Cela a été accompagné par la convocation par le régime saoudien la semaine dernière du Premier ministre libanais Hariri à Riyad, d'où il n'est pas revenu. Des informations crédibles indiquent que lorsque Hariri est arrivé dans la capitale saoudienne, son avion a été cerné par la police, son téléphone portable confisqué et il a été détenu jusqu'à ce qu'il lise un discours aux médias saoudiens annonçant sa démission de son poste et dénonçant l'Iran et le mouvement chiite libanais Hezbollah. La monarchie saoudienne a apparemment décidé que Hariri, un sunnite qui a la double nationalité saoudo-libanaise, a dû être destitué parce qu'il n'a pas adopté une politique de rupture avec le Hezbollah, qui constitue une partie importante de son gouvernement. Lui et sa famille semblent demeurer des otages de la dynastie des Saoud.


La réponse initiale du gouvernement Trump, ainsi que celle des médias institutionnels, à ces développements extraordinaires était essentiellement de se faire l'écho de la ligne de Riyad, qualifiant bin Salman de « réformateur ».

« J'ai grande confiance dans le roi Salman et le prince héritier d'Arabie Saoudite, ils savent exactement ce qu'ils font », a tweeté Trump en réponse aux arrestations.

De même, le gouvernement Trump a soutenu sans condition des allégations non fondées selon lesquelles une roquette tirée du Yémen vers l'aéroport international de Riyad aurait été fournie par l'Iran. La réponse saoudienne, également soutenue par Washington, a été d'intensifier sa guerre quasi-génocidaire contre le peuple yéménite, d'intensifier les bombardements et de fermer toutes les frontières et tous les ports du pays aux approvisionnements de secours. L'ONU a averti que ce durcissement du blocus imposé par les États-Unis menace de déclencher une famine d'une ampleur sans égale dans le monde, pouvant faire des millions de victimes.


Commentaire : L'ONU elle aussi parle beaucoup mais ne fait rien, aux ordres des USA.


Tout en parvenant à tuer quelque 12 000 Yéménites et à réduire en ruines la société la plus pauvre du monde arabe, l'armée saoudienne s'est révélée incapable de conquérir le pays. Cet échec va de pair avec sa tentative infructueuse de forcer la soumission du Qatar et à la désintégration des « rebelles » islamistes liés à Al-Qaïda qu'elle a parrainés en Syrie. Sa réponse est de faire monter les enchères avec les menaces de guerre contre l'Iran.

Ces derniers jours, des sections de l'establishment au pouvoir et des médias ont commencé à exprimer leur inquiétude face à ces événements, principalement parce que le branle-bas de Riyad et les provocations saoudiennes dans la région pourraient révéler que la dynastie des Saoud n'est qu'un château de cartes. En tentant de consolider le pouvoir dans ses propres mains, bin Salman risque de déstabiliser le régime et risque une révolte venant d'en bas dans un pays qui est l'un des plus inégalitaires de la planète et est en proie à une crise économique, sociale et politique entraînée par la chute des prix du pétrole.

Ainsi, le New York Times a publié un éditorial faisant remarquer que si l'Iran avait mené des actions similaires à celles du régime saoudien, il y aurait eu des expressions d'« indignation » de la part de Trump, et du Congrès des États-Unis et d'autres au sein de l'establishment. Le Times se hâte d'ajouter, cependant, « Il y a une grande différence, bien sûr, entre l'Arabie Saoudite et l'Iran ; le premier est un allié américain, le second un adversaire ». Cela rappelle la justification fournie par Franklin Delano Roosevelt pour le soutien américain à la dictature sanglante du général nicaraguayen Somoza : « C'est peut-être un fils de pute, mais c'est notre Fils de pute. »

Le Washington Post, pour sa part, a établi un parallèle entre la famille royale saoudienne et le régime de Trump, notant le « mépris pour les tribunaux et les médias » du président américain et « le mépris des normes éthiques » et a attiré l'attention sur le voyage de son gendre Jared Kushner à Riyad juste avant les arrestations.

Dans la mesure où ces expressions d'inquiétude plutôt discrètes expriment des désaccords au sein des cercles dirigeants américains, elles revêtent un caractère entièrement tactique. Les gouvernements démocrate et républicain ont soutenu la monarchie saoudienne, l'un des régimes les plus réactionnaires sur la surface de la planète, comme un pilier de la politique américaine au Moyen-Orient pendant plus de sept décennies, en l'armant jusqu'aux dents.

Les divergences s'articulent autour de la question de savoir si la fuite en avant vers une guerre régionale au Moyen-Orient ne fera que miner les intérêts stratégiques plus larges des États-Unis par rapport à leur dessein d'affronter la Chine et la Russie. Cela menace également de provoquer des conflits avec les anciens alliés européens de Washington dans l'OTAN, qui ont manifesté bien peu d'envie de suivre Washington sur la voie de la guerre contre l'Iran, un pays où ils cherchent des marchés et des investissements rentables.

Quels que soient ces différends tactiques, les événements politiques au Moyen-Orient, avec l'enlèvement d'un Premier ministre, des déclarations provocatrices sur les « déclarations de guerre » et, bien sûr, le fait que les États-Unis et la Russie poursuivent, en utilisant des moyens militaires, des objectifs diamétralement opposés en Syrie, rappellent de plus et plus le genre de conflits régionaux, en particulier dans les Balkans, qui ont donné lieu à la Première Guerre mondiale.

La menace que l'humanité soit entraînée dans une troisième guerre mondiale, cette fois avec des armes nucléaires, ne peut être contrée que par la classe ouvrière internationale, mobilisant sa force indépendante sur la base d'un programme socialiste visant à mettre fin au capitalisme, source de guerres et d'inégalité sociale.