Cette lettre porteuse d'espoir nous rappelle l'indispensable solidarité internationaliste que nous nous devons de manifester à l'égard de la résistance palestinienne et en particulier de sa nouvelle génération dont Ahed et ses proches sont devenus un symbole. La cousine d'Ahed, Nour Tamimi, 20 ans, et sa mère Manal, militante syndicale du Palestinian Postal Service Worker's Union, ont été libérées en fin de semaine dernière. Ahed et sa mère Nariman sont quant à elles sous le coup de respectivement 12 et 5 chefs d'inculpation. Elles font partie des plus de 450 palestiniens arrêtés, dont la moitié sont des enfants, depuis que Trump a déclaré reconnaître Jérusalem capitale de l'État d'Israël le 6 décembre dernier.
En nous invitant à transformer nos larmes de tristesse en larmes de lutte, Bassem Al Tamimi nous questionne à sa manière sur notre rapport à l'engagement militant, incitant tout un chacun à ne pas rester contemplateur mais à prendre position et à se mobiliser en faveur de la lutte pour la liberté du peuple palestinien. Une leçon d'espoir et de combativité qui mérite d'être partagée le plus largement à l'aube de cette année 2018.
« Cette nuit, comme toutes les nuits depuis le dernier raid mené par des dizaines de soldats sur notre maison en pleine nuit, mon épouse Nariman, ma fille Ahed, 16 ans, et Nour, sa cousine, la passeront derrière les barreaux. Bien que ce soit sa première détention, les geôles de votre régime ne sont pas inconnues de Ahed. Sa vie entière s'est passée sous l'ombre pesante de la prison israélienne, à commencer par les longues périodes où j'étais emprisonné, qui ont taché son enfance, en passant par les arrestations à répétition de sa mère, de son frère, de ses amis et amies, et jusqu'à la menace, à la fois occulte et manifeste, de la présence de vos soldats parmi nous. Son arrestation n'était donc qu'une affaire de temps ; une tragédie inévitable en attente de réalisation. »
« Il y a quelques mois, lors d'une visite en Afrique du Sud, nous avons projeté pour le public une vidéo qui documentait la lutte de notre village, Nabi Saleh, contre la domination israélienne qui s'impose à lui.
Quand les lumières de la salle furent rallumées, Ahed s'est levée pour remercier l'assistance pour son soutien. Ayant remarqué des larmes dans les yeux de certains, elle s'est adressée au public en précisant :
"Il est vrai que nous sommes des victimes du pouvoir israélien, mais nous ne sommes pas moins fiers de notre choix de lutter, malgré le prix à payer, que nous connaissons à l'avance. Nous savions où ce chemin allait nous mener, mais notre identité, en tant que peuple tout comme en tant qu'individus, trouve racine dans la lutte, et c'est aussi de la lutte qu'elle puise [sa substance]. Par-delà la souffrance et la répression quotidienne des détenus, les blessés, les tués, nous connaissons l'immense force de l'appartenance à un mouvement de résistance ; le dévouement, l'amour, et les courts instants d'élévation, qui résultent de la décision de briser les murs invisibles de la passivité.Quelques mois après cet événement en Afrique du Sud, lorsque elle a défié des soldats armés de la tête au pied, ce n'est pas la colère provoquée juste avant cela par la grave blessure attentée à Mohammed Al-Tamimi, 15 ans, qui l'avait motivée, ni la provocation de l'incursion des soldats dans notre maison. Non. Ces soldats, ou d'autres encore, qui agissent de manière identique et qui ont la même fonction, sont des persona non grata dans notre maison depuis qu'Ahed est née. Elle se tenait en obstacle sur leur chemin parce que telle est notre voie. Parce que la liberté n'est pas un don par charité, et bien que son prix soit lourd, nous sommes prêts à le payer. »
Je ne souhaite pas être perçue comme étant une victime, et je ne donnerai pas à leurs actes la force de définir qui je suis, ni qui je vais devenir. J'ai choisi de façonner moi-même ma représentation. Nous ne souhaitons pas bénéficier de votre soutien grâce à quelques larmes photogéniques, mais plutôt pour avoir choisi la lutte, et parce que cette lutte est juste. C'est seulement ainsi que nous pourrons un jour cesser de pleurer."
« Ma fille n'a que 16 ans. Dans un autre monde, dans le vôtre, sa vie aurait été complètement différente. Dans notre monde, Ahed est une représentante d'une nouvelle génération de notre peuple, des jeunes combattants pour la liberté. Cette génération est contrainte de mener sa lutte sur deux fronts : d'une part, bien entendu, ils ont le devoir de persister et de lutter contre le colonialisme israélien, contexte dans lequel ils sont nés, et ceci jusqu'à l'effondrement de celui-ci ; et d'autre part, ils sont contraints de défier la dégénérescence et l'immobilisme politique qui nous a atteint. Ils ont le devoir de devenir la veine de vie qui fera ressusciter notre révolution à partir de la mort qu'engendre une culture de passivité croissante, enracinée dans de décennies d'inaction politique.
Ahed est une de nombreuses jeunes femmes qui mèneront la résistance à la domination israélienne dans les prochaines années. Elle ne trouve pas intérêt dans la lumière des projecteurs qui est dirigée vers elle à l'instant, conséquence de son arrestation. Ce qui l'intéresse est un changement véritable de la situation. Elle n'est pas le produit d'anciens partis ou mouvements, et à travers ses actions elle envoie un message : Pour survivre, nous devons nous confronter avec sincérité avec nos propres faiblesses et défaire nos peurs.
Dans cet état des choses, notre plus grand devoir, le mien comme celui des gens de ma génération, est de la soutenir et de lui ouvrir la voie ; de nous restreindre et d'éviter de corrompre et d'enfermer les membres de cette jeune génération dans la vieille culture et dans les idéologies qui nous ont vus grandir.
Ahed, il n'y a pas un seul parent qui souhaite voir sa fille passer sa vie dans une cellule de prison. Malgré cela, Ahed, il n'y a pas aujourd'hui dans le monde entier un homme aussi fier de sa fille que moi. Toi et ceux de ta génération, vous avez suffisamment de courage, enfin, pour vaincre. Tes actes et ton courage remplissent mon cœur de crainte, remplissent mes yeux de larmes ; mais, conformément à ta demande, il ne s'agit pas là de larmes de tristesse ou de regret, mais de larmes de combat. »
Bassem Al Tamimi
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