Et c'est annoncé comme une nécessité.

Marianne, France
La Chine a construit l'un des réseaux les plus importants de vidéosurveillance au monde, avec plus de 20 millions de caméras en fonction. Ce gigantesque système, dont l'existence a été mise en lumière le 23 septembre 2017 par la chaîne de télévision centrale CCTV dans son documentaire La Chine glorieuse, est baptisé « le réseau céleste chinois ».

Il s'agit d'un système de surveillance techniquement pointu. En effet, comme l'a détaillé le journal de Hong Kong Apple Daily, « Le système peut identifier en temps réel avec exactitude le type de voiture, l'habillement, le sexe et même l'âge d'un passant... Ces informations sur les passants s'affichent automatiquement à l'écran. Quand il s'agit d'un criminel recherché, l'alarme du système se déclenche en montrant les données le concernant sur l'écran ».

Des « avancées » qui n'ont pas manqué d'encourager certaines démocraties, à l'instar de la France. Le ministre de l'Intérieur français, Gérard Collomb ne s'est pas caché depuis quelques mois de vouloir moderniser la police et les services de renseignement français. Cette modernisation passait pour l'instant par le déploiement de tablettes, de caméras connectées, le tout lié au nouveau fichier TES de fichage biométrique de la quasi totalité de la population française.

Des déclarations sur l'utilisation de technologies à base d'IA comme aide à la décision pour les forces de police avaient déjà été effectuées alors par Gérard Collomb : « Les service de l'Etat vont analyser les données avec de l'intelligence artificielle pour être encore plus efficaces, avec une expérimentation déjà lancée dans onze départements ».

Vendredi 8 juin, le ministre de l'Intérieur était en visite à Saint-Astier, pour faire le bilan « d'un an de mobilisation exceptionnelle » des forces de l'ordre. Selon lui, il est important d'innover pour mieux identifier les fauteurs de trouble : « Ce qui importe n'est pas la quantité d'interpellations mais les suites judiciaires qui y sont données. Or, en matière d'exploitation des images et d'identification des personnes, on a encore une grande marge de progression. L'intelligence artificielle doit permettre, par exemple, de repérer dans la foule des individus au comportement bizarre »


Commentaire : Est-ce que les personnes qui commettent des attentats ont des comportements bizarres avant de passer à l'action ?


Sur la problématique des manifestants violents, le ministère veut explorer des voies technologiques prédictives, et ne s'en cache pas : « Les services ont identifié certains meneurs, il y a aussi sûrement de petits groupes assez structurés derrière eux, et il faudrait pouvoir agir en prévention. Le sujet est : comment caractériser l'intention probable de passer à l'acte ? Il y a peut-être quelque chose à trouver du côté de "l'association de malfaiteurs" ».

Rappelons que ce délit permet de réprimer un groupement d'individus formé en vue de la préparation d'un ou de plusieurs crimes ou délits. Mais il est très contesté par les avocats, car il permet de condamner quelqu'un avant même qu'il ne commette un délit, et sur des éléments parfois contestables.

Alors s'il fallait arrêter des futurs manifestants avant que les actes violents ne soient commis à l'aide de caméras intelligentes repérant les individus aux comportements suspects, cela apporterait une autre dimension à cette problématique. Il n'est donc pas étonnant de voir les défenseurs des libertés ainsi que des avocats s'alarmer de cette possibilité. Comment accepter, dans une démocratie, l'arrestation de personnes sans qu'elles n'aient commis de délit, mais seulement parce que des machines les ont repérés, identifiés et analysés de façon prédictive comme étant de futurs fauteurs de troubles ?

Le CNRS confirme

L'annonce récente par le CNRS de la signature d'une convention avec la Direction du renseignement militaire (DRM) confirme l'intérêt des services de l'Etat pour le développement d'intelligences artificielles de reconnaissance d'image, comme Fabrice Boudjaaba, le directeur adjoint scientifique de l'Institut des sciences humaines et sociales du CNRS l'explique : « Les questions liées à l'Intelligence artificielle sont évidemment centrales. Les recherches sur la reconnaissance automatique d'image intéressent particulièrement le renseignement militaire. En effet, leur principal problème du renseignement aujourd'hui n'est pas le manque d'information, mais bien le trop plein d'information qui peut submerger et finalement paralyser l'outil de renseignement ».

Si les technologies innovantes d'analyses d'image par intelligence artificielle pour la DRM sont avant tout liées à des théatres d'opérations à l'étranger, il n'est pas interdit de penser que ces recherches publiques seront utilisées aussi pour du renseignement intérieur ou de l'investigation policière.

Comment réagissent les français ?

Certains y voient de nombreux problèmes, notamment des outils qui vont devenir liberticides, qui vont coûter chers au contribuable pour des résultats finalement mitigés. D'autres rappellent que la vidéosurveillance en elle-même a déjà jouer un rôle déterminant dans l'élucidation de plusieurs enquêtes. Quelques-uns se sont amusés à comparer des taux d'élucidation des enquêtes en 2001 et 2014 pour parler d'une amélioration tout en précisant que la vidéosurveillance est loin d'être le seul facteur explicatif du progrès mais qu'on peut légitimement penser qu'elle a joué un rôle :
  • Taux d'élucidation des homicides en 2001 : 75,43%
  • Taux d'élucidation des homicides en 2014 : 85,30%
  • Taux d'élucidation des cambriolages en 2001 : 8,04%
  • Taux d'élucidation des cambriolages en 2014 : 11,90%
  • Taux d'élucidation des vols à la tire en 2001 : 3,05%
  • Taux d'élucidation des vols à la tire en 2014 : 4,10%
Il faut quand même souligner qu'il est difficile de comprendre comment arriver à de telles conclusions. En effet, lorsque le gouvernement a partagé les statistiques, les outils et moyens qui ont été déterminants pour conclure des enquêtes n'ont pas été précisés. La vidéosurveillance pourrait bien avoir joué un rôle massue sur un cas et pas sur sept autres par exemple. N'oublions pas que la science a évolué dans bien des domaines.

De plus, ces statistiques qui seraient révélatrices d'une amélioration des élucidations d'enquêtes des forces de l'ordre sont à prendre avec du recul. En effet, lorsque les statistiques de 2014 sont comparées à celles de 2010 qui fut le meilleur « cru » des années Sarkozy, en termes d'élucidation, seuls les enquêtes sur les vols à main armée affichent, sous Hollande, un taux de réussite vraiment supérieur, de 36 à 43 %. Pour le reste, la situation se dégrade à peu près partout. Le taux de suspects identifiés baisse pour les cambriolages, qui ne sont élucidés qu'une fois sur dix environ.