En 1949 George Orwell publiait le livre 1984 qui décrivait les mécanismes d'un totalitarisme du futur, il en connaissait déjà d'autres d'un passé récent. Cette description allait-elle se réaliser ?
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En 1984, le monde devait être divisé entre trois régions en guerre perpétuelle les unes contre les autres : l'Océania, l'Eurasia et l'Estasia.

Les pays occidentaux, les régions d'Islam et celles centrées sur la Chine forment un parallèle crédible. Trois guerres de natures différentes sont impliquées : une guerre militaire, une guerre religieuse, une guerre économique. De tout temps, les affrontements guerriers ont servi entre autres choses à assurer la cohésion de ses propres forces. Une masse humaine tend constamment à se désagréger car chacun veut goûter aux délices de la vie plutôt que de seulement trimer, obéir et quelquefois périr.

Les haines entre chrétiens et musulmans sont profondes et enracinées dans le temps (des croisades au terrorisme), le désir de pouvoir des étatsuniens sur le monde entier n'est pas récent (« Je crois que Dieu a présidé à la naissance de cette Nation et que nous sommes choisi pour montrer aux peuples du monde comment marcher sur les chemins de la liberté »), la Chine a été la première puissance mondiale durant la majeure partie des vingt derniers siècles, de l'Antiquité jusqu'à la révolution industrielle et ne souhaite que le redevenir. La conscience d'être en guerre, et donc en danger, permet de faire passer pour naturelle la concentration des pouvoirs sur une toute petite caste, présentée comme la condition sine qua non de survie de la société.

Les « occidentaux » souffrent d'une incommodité dans les terribles et meurtriers conflits qui se déroulent entre les trois parties du monde : ils disent représenter la Démocratie et la Liberté face à des tyrannies politiques et religieuses. Les tortures, les emprisonnements préventifs, les meurtres ciblés, quoique tous trois utilisés, doivent être mis en œuvre avec parcimonie et plus de discrétion.

Dans 1984, la problématique était proche. Le plus effrayant dans le totalitarisme n'est pas qu'il commette des "atrocités", mais qu'il détruise la notion même de vérité objective : le véritable but d'une novlangue, d'un néoparler, est de restreindre les limites de la pensée, de tuer la pensée à sa source via les mots.

Le politiquement correct est la nouvelle novlangue proposée, imposée, aux occidentaux et donc au monde : elle a pour but d'éradiquer la vérité de toute pensée en la présentant comme issue du démon ou des instincts bestiaux, on se doit de l'éliminer de tout individu. Le politiquement correct désigne une attitude qui consiste à policer ses dires et à modifier des formulations pour ne pas heurter certains segments de population, notamment en matière d'ethnies, de culture, de religion, de sexe, d'infirmité, de classes sociale ou de préférence sexuelle. Le langage politiquement correct utilise abondamment les périphrases, la création de mots et construit ainsi un nouveau langage, un nouveau peuple, un nouveau peuple élu. Pourquoi pas ! S'il s'agit d'éviter le mépris à l'égard d'autres, peu d'objections peuvent être formulées, mais il ne s'agit pas de cela. Il s'agit d'imposer un code de vie et de penser afin d'ostraciser ceux qui ne s'y plient pas. Les zélateurs du nouveau langage condamnent irrémédiablement avec une violence n'ayant rien à voir avec la gravité de la faute supposément commise ; vous devenez, pour une maladresse ou un mouvement d'humeur, un raciste, un antisémite, un xénophobe, un homophobe qui ne peut plus avoir d'existence sociale, que l'on doit tuer socialement. Le politiquement correct permet au nom de la lutte contre les discriminations de tuer socialement ses ennemis. Le but ultime du politiquement correct est de rendre impossible toute forme de critique.

Le parc des récepteurs de télévision, à la fin des années 1940, était extrêmement restreint pourtant le télécran joue un rôle essentiel dans 1984. Au domicile, sur les lieux de travail, dans les lieux publics, sont disposés des télécrans, permettant une vidéosurveillance et pouvant également diffuser en permanence les messages de la classe dominante. Les télécrans donnent la possibilité à la police de la Pensée d'entendre et de voir tout ce qui se fait partout : la vie privée n'a plus aucun sens, les déviances sont détectées et traitées par la stigmatisation (shaming) télévisuelle.

Le travail physique épuisant, les querelles mesquines, les jeux ineptes, formaient tout l'horizon des asservis et comblaient leur esprit. Les garder sous contrôle n'était pas difficile puisque chacune, chacun tentait de rester vivant et non plus de rester humain. Partout, nuit et jour, debout, couché, le regard des aliénés est rivé sur un petit rectangle lumineux qui déverse tant d'informations que l'on n'arrive plus à regarder autour de soi.

Les grandes déclarations sur le libre échangisme, les bienfaits du marché, le rôle essentiel de l'amassement des richesses, la nécessaire détestation de l'amour et de ceux que le prônent, côtoient les images pornographiques, les décapitations, les sites de rencontre, les jeux vidéos, les contacts avec autrui, avec ses proches, ses collègues, les amis virtuels... L'intéressé devient un vibrion s'intéressant à tout superficiellement donc à rien, obéissant car ne connaissant pas la nature même de la rébellion, rébellion qui serait de toute façon stérile tant les groupes, les syndicats, les associations qui permettaient d'unir les forces des plus faibles avaient été extirpés du paysage politique et économique.

Même l'amour du prochain, l'amour filial, l'amour de ses enfants fut combattu maintenant comme alors :

« Plus tard, il n'y aura ni femme, ni ami. Les enfants seront à leur naissance enlevés à leur mère, comme on enlève leurs œufs aux poules. La procréation sera une formalité annuelle comme le renouvellement de sa carte d'alimentation. »

Par contre, le dieu-argent ne tente pas d'extirper l'instinct sexuel, ni d'abolir l'orgasme comme prédit. Tout au contraire, s'adonner aux plaisirs élémentaires, dérisoires, s'est révélé être un excellent dérivatif pour que les humbles acceptent leur sort sans rechigner, sans revendiquer autre chose que les jouissances tristes en oubliant qu'elles ne sont que l'écume de la vie.

« Quand on aimait, on aimait, et quand on n'avait rien d'autre à donner, on donnait son amour. Quand le dernier morceau de chocolat avait été enlevé, la mère avait serré l'enfant dans ses bras. C'était un geste inutile, qui ne changeait rien, qui ne produisait pas plus de chocolat... » et donc qui ne servait à rien selon les nouveaux seigneurs.

L'individualisme est un concept et une attitude proscrits dans la société de l'Océania, elle est au contraire considérée comme incontournable par le système libéral. L'individualisme n'est pas seulement compatible avec un conditionnement de la multitude, il est indispensable en brisant les liens qui peuvent rendre forts ceux qui ne possèdent que leur foi en l'autre pour combattre : chacun se retrouve seul à affronter des forces immensément plus puissantes que lui.

1984 est d'actualité, certes avec quelque retard, et l'on peut maintenant fièrement proclamer avec Orwell que : « la guerre c'est la paix, la liberté c'est l'asservissement, l'abêtissement c'est la norme. »...

Et 2+2 font bien 5.