Marcel Camus réalise en 1959 Orfeu negro, fondé sur la pièce de théâtre de Vinicius de Moraes, Orfeo da Conceiçã. En le transposant au cœur du carnaval brésilien, il réinterprète le mythe d'Orphée très librement, et offre une version plus exotique, solaire et colorée de la légende orphique.
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Ce mythe à l'origine européen est transposé dans une toute autre culture. La musique, la danse et la population locale illustrent le caractère international de la légende d'Orphée.

Dans le mythe grec, Eurydice meurt par la morsure d'un serpent. Prisonnière du royaume des morts, Orphée descend aux Enfers pour tenter de la ramener avec lui, mais à condition qu'il ne se retourne pas pour la regarder. N'ayant pas pu résister, Orphée perd à jamais Eurydice.

Dans la version de Marcel Camus, Eurydice, jeune fille timide et innocente, tente de fuir la mort et trouve refuge chez sa cousine Serafina à Rio de Janeiro. Elle rencontre alors Orphée, conducteur de tramway dont on admire les talents de danseur et guitariste qu'il possède. Ce grand séducteur est idolâtré par tout le village, notamment deux petits garçons, qui voient en lui une sorte de dieu, capable de faire lever le soleil par son chant. Eurydice se laisse charmer par la musique d'Orphée, et va alors naître une réelle histoire d'amour entre les deux amants, bien que le jeune homme soit déjà fiancé à la sulfureuse Mira, désormais jalouse et ennemi d'Eurydice.


Malgré une version qui met en scène une nouvelle interprétation du mythe, les références à celui-ci sont nombreuses.. En effet, lorsque Orfeo se trouve à l'entrée du lieu où un rituel permettant de communiquer avec l'au-delà se déroule, ce dernier est gardé par un chien nommé Cerbère. Ici Marcel Camus fait bien évidemment référence au chien à trois têtes, défenseur des Enfers, dans la mythologie grecque. Le personnage d'Hermès, lui, tient le rôle du guide, du messager, comme dans la mythologie, pour Orphée et Eurydice. Il aide la jeune fille à trouver sa cousine lorsqu'elle arrive à Rio, perdue : « il va la retrouver, il retrouve toujours tout ». Il apparaît comme le gardien du lieu où il rencontre Eurydice, c'est également le lieu où elle mourra : Hermès est également, en mythologie, le gardien des routes et des carrefour, ainsi dans ce lieu Eurydice pourrait se trouver au « carrefour » de la vie et de la mort.
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Orfeo Negro
A travers la symbolique très présente dans le film, on retrouve de nombreux éléments qui sont représentés. Le lieu gardé par Hermès est extrêmement important, c'est ici qu'Eurydice rencontre Orphée mais c'est aussi le lieu de sa mort. Lorsqu'elle promet qu'elle reviendra, elle ne se doute pas que ce sera pour y mourir, on voit donc apparaître le destin tragique auquel les deux amants étaient voués, avant même que leur histoire d'amour ne commence.

De même lorsque Orfeo se rend au bureau des disparus dans l'espoir d'y trouver Eurydice, il rencontre un homme qui va le guider jusqu'au lieu du rituel. Les deux hommes empruntent alors un escalier qui semble infini, le plan de la scène se fait de haut : leur descente semble interminable. Le réalisateur a voulu représenter la descente d'Orphée aux Enfers, un lieu sombre dont on ne voit pas la fin.

Marcel Camus a décidé de personnifier la mort, lui faisant porter un masque mortuaire (symbolique) et un costume de carnaval; celle-ci ne cesse de poursuivre Eurydice tout au long du film : elle ne peut y échapper, elle est destinée à mourir avant même la rencontre d'Orfeo (en effet, elle avait déjà rencontré « la mort » avant d'arriver à Rio, et c'est elle qu'elle fuie en se réfugiant chez sa cousine). Le mythe évoque un berger éperdu d'amour pour Eurydice, ce dernier la poursuit lorsque le serpent la mord. Ici, l'homme masqué.
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Orfeo Negro
On retrouve à travers les deux enfants les différents aspects d'Orphée. L'un, nommé Cecca incarne la poésie et la musique qui caractérise le personnage d'Orphée. Il est enjoué, heureux de vivre et possède toujours une guitare ou un tambourin, instruments qu'il accompagne de son chant. Benedito, lui, rappelle le côté mélancolique d'Orphée, l'enfant s'attache à Eurydice dès son arrivée et restera proche d'elle tout au long de l'histoire. Il incarne l'éternel amoureux.

Lorsque Orfeo accepte enfin la mort d'Eurydice, il la remercie du bonheur qu'elle lui a apporté, en chantant. Sa musique est d'autant plus belle que le veut la légende, selon laquelle le poète atteint le sommet de son art à la mort d'Eurydice.

Lorsque la jeune femme meurt, une lumière rouge illustre l'atmosphère tragique et lugubre de la situation. Le bleu caractérise Eurydice, qui porte un foulard bleu, représentant le lieu « irréel » d'où elle provient, il appuie le « mythe » en lui-même, et ses origines. Le jaune enfin représente le mythe solaire, autre thème de l'histoire qui se rapporte à l'Amour éternel. On le remarque notamment au début, lorsque Eurydice reçoit un collier de fleurs jaunes, puis il évolue avec la couleur dorée du costume de la jeune fille, ainsi que le soleil que porte Orfeo au carnaval qui participe au mythe solaire et le fait perdurer. Il symbolise l'amour éternel entre les deux amants qui possèdent chacun un objet s'y référant.
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Orfeo Negro
Les couleurs vives et les rythmes frénétiques s'opposent au caractère tragique de la mort d'Eurydice.

Marcel Camus nous présente sa propre interprétation du mythe d'Orphée, tout en lui apportant modernité et originalité. Il prend quelques distances avec l'histoire initiale, rajoutant de nouveaux personnages, un nouveau contexte et une ambiance vivante et chaleureuse. Il contribue ainsi grâce à son oeuvre au renouveau du mythe et parvient à le rendre d'actualité. Un ancien mythe datant de l'Antiquité devient un mythe moderne du XXe siècle.
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