Écrire, ça fait du bien. Nous le présentions déjà quand, adolescent, nous noircissions les pages de notre journal intime. Bouleversés par Anne Frank, nous avons été tentés pas l'écriture d'un roman à portée existentielle - portant sur notre propre existence, donc - avant de retrouver la raison.
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Plus humblement, nous nous sommes lancés dans un blog pour raconter notre dernier voyage ou notre quotidien de parent débordé. Plus timidement, nous nous sommes inscrits sur Facebook pour publier notre « humeur » et partage nos « likes ». Ou plus méthodiquement, nous remplissons l'un de ces bullet journal pour « bujoter » c'est à dire mettre de l'ordre dans notre agenda, donc dans nos pensées.

Bien entendu, en bons partisans de la psychologies positive, nous savons que tenir un journal de la gratitude ou de bonheur, pour y notre nos « trois kiffs par jour-1 », est une riche idée de développement personnel.

Jusque-là confiné dans nos tiroirs secrets, puis devenu public sur les réseaux sociaux, le journal intime « à l'ancienne » fait un retour en force. Nayla chadiac, docteure en psychopathologie et psychologue clinicienne, explique pourtant que « l'écriture de soi, le journal intime, n'a jamais cessé d'exister ». Après Marc Aurèle et ses pensées, Saint Augustin et ses confessions, ce genre littéraire se développe dès la fin du Moyen Age pour devenir un véritable hobby au XVIIIe siècle.

Le « Diarisme-2 » est bel et bien une bonne vieille pratique thérapeutique.

« De nos jours, plus de cinq millions de personnes tiennent des journaux en France », Précise le psychologue, qui a publié Ateliers d'écriture thérapeutique (Elsevier Masson). Le Festival du journal intime a même eu lieu pour la première fois en septembre dernier, sous l'impulsion de Philippe Lejeune, chercheur et auteur d'une quinzaine d'ouvrages sur le sujet, co-fondateur de la bien nommées Association pour l'autobiographie et le patrimoine autobiographe. Selon lui, « tenir un journal est devenu, pour un individu, une manière possible de vivre ou d'accompagner un moment de sa vie ».

Et pour nous qui, vu la conjoncture, n'allons pas forts en ce moment, ce peut être une aubaine. Stéphanie Assante, coach formée à la programmation neurolinguistique, en convient : « certains n'ont pas envie de se lancer dans une thérapie, mais cherchent à revenir à l'essentiel, à donner du sens, à être plus autonomes. L'écriture, comme toutes les formes d'"auto-développement" nées de la vulgarisation de la psychologie, répond, dans un contexte d'insécurité et de négativité, à un vrai besoin actuel. »

Aux États-Unis, toujours en avance sur le terrain du feel good, le diarisme connaît un véritable engouement : les applications mobiles - avec verrou intégré pour la plupart - offrent aux hyper-connectés un moyen simple et pratique pour avoir leur dose d'introspection quotidienne. Alors, pourquoi pas nous ?

Allez, c'est parti : « Cher journal... » Aïe ! La page blanche. Écrire, ça fait vraiment du bien ? Oui, voici pourquoi et comment faire.

Une implication corporelle...

D'abord, écrire serait presque méditer. Pour Stéphanie Assante, qui a publié La Vie dont vous êtes le héros (Mango), cette activité « débranche le cerveau gauche rationnel pour accéder à un soi plus authentique, créatif, émotionnel, inconscient ». De la même façon que le dessin, le coloriage et même les gribouillages aident à focaliser notre attention et à revenir à l'instant présent, nous plongeons dans un état second.

Hélène Bah-Ostrowiecki, maître de conférences à l'université de Marne-la-Vallée, consultante et formatrice, insiste, elle, sur la dimension corporelle.
« Cela exige de la concentration, un engagement physique, une mobilisation consciente du corps, détaille l'auteure de L'Écriture thérapie (Eyrolles). On ne fait rien d'autre, on est en présence de soi. C'est moins l'écrit qui compte que ce qui se joue à ce moment-là, de soi à Soi. »
Noircir le papier mobilise le corps et l'esprit dans un projet commun et, de ce fait, engendre du plaisir. « Même le rapport au temps se modifie. On est là, dans l'ici et maintenant », note Isabelle Minière, psychologue clinicienne et hypnothérapeute. Un break, en somme, dans nos journées trop remplies.
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... pour une libération émotionnelle

ombre de grands écrivains diaristes mettent en évidence la fonction cathartique de l'écriture de soi. Laure d'Astragal coach et professeure de yoga, auteure de J'écris ma vie pour mieux me connaître (Albin Michel), le confirme : « Coucher sur le papier ses émotions et ressentis douloureux soulage. » Ce qui polluait à l'intérieur déménage à l'extérieur de soi. Et ce peut être salutaire. « Ce qui ne s'exprime pas s'imprime dans le corps, renchérit Stéphanie Assante. Le mal-être vient du déni et du refoulement. La parole, comme l'écrit, libère. Cette extériorisation agit comme une purge. » Pourquoi ? Matthew Lieberman, de l'université de Californie, a démontré en 2009 que le fait de décrire ses sentiments diminue l'activité des centres amygdaliens, à l'origine de la peur, de la colère et de la tristesse-3. Selon ses recherches, IRM à l'appui, tenir un journal, et même écrire des poèmes ou de mauvaises chansons, participe à la régulation des émotions.

Isabelle Minière rappelle aussi à quel point « nous avons besoin d'expression : nous avons intériorisé que certains sujets étaient tabous, que certaines choses ne se disaient pas. Mais ces injonctions socioculturelles étouffent l'individu », remarque l'auteure d'Au pied de la lettre (Serge Safran éditeur). Le carnet est un lieu où l'on peut enfin dire l'indicible.
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Car se raconter au quotidien, c'est aussi « prendre le temps de poser un regard sur soi, de quitter le "pilotage automatique" », explique Stéphanie Assante. Miroir de soi, ce carnet de bord permet de mieux se connaître, selon Isabelle Minière : « Nous cherchons naturellement nos mots, ceux qui sont justes, authentiques, ceux qui nous reflètent. Avec ce travail de précision, nous nous révélons à nous-mêmes. » Un moyen de se construire ?

Hélène Bah-Ostrowiecki rappelle que cette page est « un endroit secret, un espace privé, où l'on peut affirmer sa singularité ». C'est tout l'intérêt de ce journal qui demeure « intime ». « À la différence des réseaux sociaux, constate Laure d'Astragal, le carnet offre la possibilité de construire son identité en dehors du regard des autres, de leurs attentes, de leurs jugements. C'est un refuge. » Les diaristes ont en commun de questionner leur identité, comme le titre de l'un des volumes du journal de Julien Green Pourquoi suis-je moi ? (Journal 1993-1996, Fayard).
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J'écris pour moi, donc je suis

Finalement, tenir un journal est moins une façon d'écrire qu'une façon de vivre, car l'exercice est un entraînement mental au bien-être. C'est d'ailleurs l'idée qui se cache derrière les carnets d'optimisme. Isabelle Minière : « Noter chaque soir les cinq événements positifs vécus dans la journée permet de les revivre, bien sûr, et de les laisser infuser. Mais c'est aussi le moyen d'être plus attentif à ce qui arrive de beau, de bien, de bon, de le remarquer sur le moment, d'être plus sensible à un sourire ou un parfum. »

Être à l'écoute de soi et de son bonheur, tel est le filigrane quotidien. Comme Stendhal, qui confiait dans son Journal (Gallimard) : « J'entreprends d'écrire l'histoire de ma vie jour par jour [...]. Je prends pour principe de ne pas me gêner et de n'effacer jamais. » Créer sans rien effacer. C'est aussi l'un des bienfaits du journal pour Hélène Bah-Ostrowiecki : « Il n'y avait qu'une page blanche et, tout à coup, il y a une trace, comme un pas sur la neige ou dans le sable. » De quoi favoriser notre sentiment d'exister.
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De l'introspection à la réflexion

Mais que faire ensuite de tous ces maux/mots ? Philippe Lejeune revient, dans Le Pacte autobiographique (Seuil), sur les raisons qui poussent le diariste à s'atteler quotidiennement à la tâche, et souligne le « besoin d'auto-édification », en mettant en avant la fonction essentielle de la relecture. Laure d'Astragal confirme que le journal permet de revisiter son histoire :
« L'introspection laisse alors place à une forme de réflexion, qui tend à faire le point, qui pose des questions, qui cherche à comprendre. Pourquoi, dans telle situation, on a persévéré, par exemple, ou quelles frustrations sont récurrentes. »
Aller mieux... ou pas

Le journal devient alors un outil pour se mettre en action et avancer, prendre sa vie en main après avoir pris son stylo. Certains doutent, évidemment. Roland Barthes ne mâchait pas ses mots : « Au XVIe siècle, où l'on commençait à en écrire sans répugnance, on appelait ça un diaire : diarrhée et glaire-4. » Oups !

Il est vrai que l'exercice est souvent qualifié de puéril, narcissique, un brin névrotique, légèrement lâche, littérairement nul et... exclusivement féminin ou presque. Le syndrome Bridget Jones, sans doute. Mais George Sand répondrait sûrement que « la critique est plus facile que la pratique » (Journal intime,Seuil).
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Alors, thérapeutique, le journal ? D'après James W. Pennebaker, professeur de psychologie à l'université du Texas, pionnier de la writing therapy, oui ! Ses recherches ont démontré qu'écrire environ vingt minutes quotidiennement, durant trois ou quatre jours, sur des événements et des émotions intenses ou difficiles, renforçait le système immunitaire-5. Cela dit, il existe quelques contre-indications. « Le risque est de s'enfermer dans sa souffrance, reconnaît Hélène Bah-Ostrowiecki, d'alimenter son obsession. » Et de se couper des autres en se demandant chaque jour si on est le plus malheureux. Et puis, « si l'écriture est un bon moyen de s'exprimer, affirme Laure d'Astragal, on n'est pas toujours le mieux placé pour l'analyser ». Excellent point de départ ou médiateur thérapeutique, le journal n'est pas un psy ! Pour Nayla Chidiac, qui a mis en place des ateliers d'écriture à l'hôpital Sainte-Anne, à Paris, « prendre la plume est certes libérateur, mais ce n'est qu'une porte ouverte. Sans un travail d'élaboration de la pensée, s'éloigner du point de douleur est difficile. L'écriture est pour moi le sismographe de l'âme permettant de se pencher sur l'assouplissement de la pensée ». Joliment dit, non ? Non, joliment écrit.

Le cahier intime, mode d'emploi

Nos experts sont unanimes. L'idée est d'écrire de façon un peu automatique, sans chercher quoi que ce soit, sans travailler la structure, soigner son style ni faire de mots d'esprit. Inutile aussi de retracer la chronologie des événements de la journée. Il s'agit d'exprimer ce qui a été vécu en termes d'émotions, de sensations, de pensées : vos frustrations, vos déceptions, mais aussi vos joies, vos petits moments de bonheur ou encore vos réflexions, vos goûts. L'objectif n'est pas le prix Goncourt, seul le processus compte.

Vous pouvez tenir un journal intime ou un carnet de gratitude. Si vous êtes en thérapie, rédiger un petit résumé de chaque séance. Ou écrire des lettres que vous n'enverrez pas, ou encore des dialogues avec un autre ou avec une partie de vous-même, comme George Sand qui parlait d'elle au masculin. Vous êtes tenté, mais n'avez aucune idée ? Partez de là. Pourquoi n'en avez-vous pas ? Qu'est-ce que cela vous fait ? Vous verrez que, par magie, les mots courront sur le papier.
1. En référence au livre de Florence ServanSchreiber, Trois Kifs par jour (Marabout).
2. Diarisme : terme emprunté à l'anglais diary, introduit en France en 1952 par Michèle Leleu dans Les Journaux intimes (PUF). Il fait aussi référence aux diaires, les livres de raison que l'on tenait en famille autrefois.
3. « Calm yourself : write in a diary », mars 2009 (en anglais).
4. Dans Roland Barthes par Roland Barthes (Points).
5. « The health benefits of journaling », mai 2016 (en anglais).