S'identifier à un personnage de fiction est un réflexe naturel. Mais chez certaines personnes, ce phénomène va plus loin : le cerveau réagit comme si nous étions le héros de notre série du moment.


Commentaire : Ou de notre roman du moment. Ce phénomène est peut-être encore plus exacerbé lorsque nous lisons des ouvrages de fiction, car au lieu d'être passifs et de « subir » les images d'un film ou d'une série, nous sommes actifs, dans la mesure où notre capacité d'imagination ainsi que d'autres processus cognitifs sont mis à contribution lors de la lecture.

Beatrice
Beatrice, 1895 – Marie Spartali Stillman
Plutôt Joey ou Chandler ? Buffy la tueuse de vampires ou Willow la sorcière ? Quand on est mordu d'une série, on a tendance à se prendre d'affection pour l'un des personnages et à s'y identifier (certains vont même jusqu'à tomber amoureux d'un personnage fictif, mais c'est une autre histoire). Quand notre héros souffre, on souffre. Quand il lui arrive des péripéties, notre coeur bondit avec lui. Bref, notre degré d'implication dans un programme télévisuel est souvent influencé par notre amour des personnages. À tel point que certains vont même « devenir » le personnage de fiction qu'ils portent dans leur coeur.

Alors non, on ne se réveille pas un beau matin de l'autre côté de l'écran perché sur un dragon, mais notre cerveau, lui, réagit comme si nous étions le personnage de notre série préférée du moment. C'est ce que révèle une étude américaine récente publiée dans la revue scientifique Social Cognitive and Affective Neuroscience. « Lorsqu'une personne pense à son personnage fictif préféré, il se passe la même chose dans une partie de son cerveau que lorsqu'elle pense à elle-même », résume Timothy Broom, l'auteur principal de l'étude.

De la capacité à s'identifier aux personnages

Cette drôle de connexion a été examinée dans la boîte crânienne de 19 fans de la série à succès Game of Thrones (2011-2019). Les chercheurs leur ont demandé d'identifier leur chouchou parmi une liste de 9 personnages récurrents tirés des livres et de la série : l'ultra charismatique Bronn, Catelyn Stark (plus agaçante qu'iconique, m'enfin), Cersei Lannister (qui aurait clairement dû régner sur Westeros pour toujours), Davos Seaworth, Jaime Lannister, Jon Snow, Petyr Baelish, Sandor Clegane (who else ?) et la sauvageonne Ygritte.

Les répondants ont ensuite rempli un questionnaire concernant leur capacité naturelle à s'identifier à un personnage de fiction. Par exemple, « Je m'implique vraiment dans les sentiments des personnages de roman. Oui ou non ? ».
« Les gens qui ont un haut potentiel d'identification sont non seulement absorbés par une histoire, mais aussi très absorbés par un personnage en particulier, précise Timothy Broom. Ils racontent que leur façon de penser est similaire à celle du personnage, qu'ils pensent ce que le personnage pense et ressentent ce que le personnage ressent. Ils entrent dans la peau de leur héros. »
Se choisir une nouvelle identité

Au cours de l'expérience, un scanner a examiné le cerveau des bénévoles, l'objectif étant d'étudier l'activité du cortex préfrontal (une région du cerveau qui s'active quand on pense à soi-même). Les chercheurs ont ensuite montré au hasard plusieurs noms aux participants : le leur, celui de leur personnage de fiction préféré, et celui d'un ami proche. Ces noms ont été associés à des traits de caractère spécifiques, comme l'intelligence ou la tristesse.

Chez les personnes avec un faible potentiel d'identification, le cortex préfrontal s'est surtout activé quand leur nom a été mentionné. Un peu moins lorsque celui d'un ami est apparu et encore moins quand il s'agissait du nom de leur personnage de fiction favori. La tendance s'est inversée chez les autres (ceux qui ont tendance à s'identifier naturellement). Les chercheurs ont remarqué que leur cerveau était particulièrement actif à la mention de leur personnage préféré.
« Pour certaines personnes, la fiction est une chance de prendre de nouvelles identités, de voir le monde à travers les yeux de quelqu'un d'autre et de ressortir changé par ces expériences, explique Dylan Wanger, co-auteur de l'étude et professeur de psychologie. Des études précédentes ont montré que lorsque les gens vivent des histoires en se mettant dans la peau d'un héros, une connexion se fait avec ce personnage, qui va comme s'imbriquer dans la personne. Nous démontrons que c'est vrai en analysant le cerveau. »
Alors, vous êtes plutôt Joey, ou Chandler ?