Voici un très beau recueil d'essais de Virginia Woolf paru aux éditions Les Belles Lettres, Les livres tiennent tout seuls sur leurs pieds, c'est son titre, soit une manière de dire que les livres n'ont besoin que d'eux-mêmes (et pas de philosophes) pour être compris, repris, aimés ou détestés, tout simplement lus.
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Voilà la question essentielle posée par Virginia Woolf ici, dans ces réflexions, critiques et articles écrits entre 1917 et 1940 : qu'est-ce que lire ? (plutôt que dire ou écrire)... Et voilà la manière essentielle de la poser : non pas en philosophe, à peine en écrivain, mais d'abord en lectrice...
« Les mots, les mots anglais sont habités d'échos, de souvenirs, d'associations - naturellement. Ils se sont promenés, sur les lèvres des gens, dans leurs maisons, dans les rues, dans les champs, pendant tant de siècles. »
Telle est la thèse de Virginia Woolf dans le 1er essai de ce recueil sur les mots, et c'est sa 1re leçon sur la lecture : lire, c'est d'abord élucider l'essence, le fonctionnement, les propriétés des mots.

Mais il s'agit d'y procéder sans manipuler les mots, sans les juger, sans les dominer, mais en voyant ce qu'ils nous font, eux, comment ils nous manipulent, eux. Et c'est bien la 2e leçon de Virginia Woolf : comment ne pas juger les mots, mais se laisser porter eux.

A ces deux leçons, Virginia Woolf en ajoute une 3e : faire part de ses expériences, au plus proche des textes, pour les comparer. Et c'est ce qu'elle fait quand elle lit pour sa part Charles Dickens...

Quand Virginia Woolf lit Charles Dickens, elle fait cette expérience : elle relit un auteur connu de son enfance. Et de poser cette question : lit-on toujours de la même manière ? Entre la plongée immédiate dans les mots, enfant, et l'expérience esthétique et réfléchie de l'adulte, lequel de ces rapports au texte est le meilleur ?

Ce qui se dessine alors au fur et à mesure de ces essais, c'est la méthodologie que Virginia Woolf explore pour lire un livre, - Comment doit-on lire un livre ? est d'ailleurs le titre d'un des essais publiés ici, ce qui dessine, c'est ce projet qu'aucun philosophe n'avait entrepris : car ceux-là sont souvent du côté de l'écriture, de l'auteur, de l'utilité, mais Virginia Woolf, elle, en appelle à autre chose, et c'est une chose inédite : refuser de reprendre la main, la plume, le pouvoir, et laisser les mots nous mener, comme un enfant face à Dickens ou Jane Austen...

Quand on lit Jane Austen, comment donc se laisser porter ? Virginia Woolf était contre les critiques, les chroniqueurs, tous ceux qui indiquaient des règles à suivre, mais comment parvenir à lire, à être actif, tout en se laissant aller aux livres ? C'est une méthodologie inattendue, un paradoxe: savoir lire tout en s'abandonnant, en oubliant tout savoir, ou en sachant que l'on ne sait pas. Et en cela, Virginia Woolf se fait philosophe, plus qu'aucun autre sur la littérature, mais elle reste toujours du côté des lecteurs, de ceux qui, sans eux, les philosophes et écrivains ne seraient plus rien.

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Pour Virginia Woolf, les livres doivent tenir tout seuls sur leurs pieds : ils n'ont besoin d'aucune exégèse pour être appréciés par leurs lecteurs. C'est vrai mais cela ne l'a pas empêchée - pour notre bonheur - de consacrer plus d'un article à ses confrères auteurs vivants ou morts et à leurs œuvres. Et quels articles ! On en trouvera ici quelques exemples parmi les plus pertinents en même temps que certaines de ses réflexions sur la lecture et l'écriture. Ainsi défilent pour notre plus heureux plaisir, éclairés par la fulgurante intelligence de la grande Virginia, Robinson Crusoé de Daniel Defoe, David Copperfield, Tchékhov, Lewis Carroll ou encore Thoreau, Conrad et Jane Austen. Ce sublime panorama se termine par ses réflexions relatives à une question qui reste d'actualité : « Est-ce que l'on écrit et publie trop de livres ? ». Celui-ci, du moins, nous manquerait s'il n'existait pas.

Réécoutez l'archive de Virginia Woolf (BBC 29 avril 1937)