Permettez-moi de vous raconter une petite histoire à propos de la genèse des dieux.

Autrefois, les dieux étaient fantasques et bien trop humains, et nous étions leurs jouets [1]. C'est alors que Platon, le dualiste, a accouché de sa plus grande innovation : le monothéisme cosmique. Supérieur à tous les autres dieux, son Démiurge avait façonné le cosmos à partir du chaos. Le Démiurge n'était pas un simple primus inter pares - à l'instar de Zeus et ses enfants -, c'était aussi l'esprit absolu de tout le cosmos, et il était totalement bon. Un Dieu de philosophe, et non de contes pour enfants.
La lutte entre l'ordre cosmique et le chaos
© KobayLa lutte entre l'ordre cosmique et le chaos
Platon décrétait maintenant que les dieux n'étaient pas fantasques, mais totalement bons comme leur créateur. Conformément au programme politique de Platon, toutes les mentions de dieux se comportant mal devaient être effacées des mémoires par quelques Winston Smith employés par le Ministère de la Vérité sincère de Dieu. « Les dieux sont bons. Les dieux ont toujours été bons. »

Toutefois, Dieu avec un D majuscule n'avait pas créé les êtres humains. C'était l'œuvre des dieux avec un d minuscule. Ils avaient apporté la vie - la mortalité - dans le monde. Mais la bonté des hommes s'est alors amenuisée en même temps que le sang divin de l'humanité se diluait au fil des générations jusqu'à ce qu'ils doivent être éliminés lors de la destruction de l'Atlantide. Ainsi était résolu le problème de l'émergence du mal, car Dieu ne pouvait avoir créé quoi que ce soit qui n'était pas bon.

Les savants juifs qui ont écrit la Bible ont conservé la vision platonicienne dans la Genèse (le créateur bon et éternel d'une bonne création, de la paix et de la bonne entente entre les dieux terrestres, ainsi qu'avec leurs nations respectives [2]). Mais avec l'Exode, le créateur de l'univers de Platon et le dieu régional des Juifs (Yahvé) se sont confondus de plus en plus. Et Yahvé se comportait mal, en effet, semant la division parmi les dieux et se proclamant lui-même le divin créateur de tout - tous ceux qui se mettaient en travers du chemin de son peuple devaient être rayés de la carte.

Naturellement, certains mortels le remarquèrent et ne manquèrent pas de crier dans le désert, « Quelque chose ne tourne pas rond ! » L'un des premiers « hérétiques » chrétiens, Marcion, s'aperçut du problème. Manifestement, le « Dieu » de l'Ancien Testament n'était pas bon, il ne pouvait donc pas être le Dieu du Christ. Le dieu de l'Ancien Testament n'était pas Dieu, mais le démiurge qui avait façonné le monde physique de la matière et de la biologie qui, par extension, était imparfait et mauvais.

Quelle pagaille. Le bon démiurge de Platon, créateur du cosmos, était maintenant non seulement mauvais, mais aussi le créateur des mortels (et donc aussi du mal). J'ai l'impression qu'une leçon freudienne se dissimule dans tout ceci, quelque chose qui a trait au fait que ce que l'on nie (ou refoule) revient nous mordre les fesses. En refusant au mal son archétype et en le conceptualisant soit comme de la pure ignorance, soit comme un simple échec à se modeler sur la bonté divine (une situation à laquelle on remédie, respectivement, par des efforts cognitifs/intellectuels ou une structure sociale « appropriée »), Platon a laissé un vide nécessitant d'être comblé avec créativité. Le démiurge a contracté les qualités des anciens dieux (à la fois sous leurs formes pré-platoniciennes et platoniciennes). Il semble que la focalisation - jusqu'à la myopie - sur la bonté ait fait ressortir son opposé.

Les chrétiens traditionnels ont trouvé une autre solution qui n'est pas si différente du démiurge et des archontes des dualistes : Satan et ses laquais démoniaques. Après tout, qui qu'ait pu être celui que Paul qualifiait de « dieu de cet âge », l'idée fondamentale reste la même : il y a une source du mal qu'il ne faut pas confondre avec Dieu le créateur suprême, et l'humanité est sous son emprise. Qu'il s'agisse de « Yahvé » ou de « Satan » n'est qu'un débat doctrinal.

À vrai dire, les dualistes étaient tout autant dogmatiques [3]. Yahvé n'était en réalité pas un dieu-démon ; c'était une création littéraire dont le nom a été réaffecté, avant quoi il n'était qu'un dieu tribal parmi tant d'autres. Et s'il n'y avait pas eu la perversion initiale du système de Platon, le dualisme absolu ne se serait pas développé comme il l'a fait, avec son idée d'un dieu malveillant coéternel, ayant piégé les âmes immortelles de l'humanité dans des corps en décomposition, et d'une création fondamentalement et irrémédiablement mauvaise.

Pourquoi parle-je de tout ceci ? Deux raisons : 1) les êtres humains ont toujours tenté d'expliquer le mal, certains avec plus de succès que d'autres, et 2) les gnostiques peuvent réellement nous en apprendre sur la pathocratie, pas au sens que propose Chafarévitch (qu'ils sont les fondateurs de l'idéologie socialiste - une vision entretenue par de nombreux anti-socialistes et socialistes du passé), mais parce que le socialisme est en réalité une perversion ou une caricature du gnosticisme. La gnose (c'est-à-dire la connaissance de Dieu) est simplement la voie mystique ou intérieure de la religion (parfaitement réglo si vous lisez vraiment le Nouveau Testament) ou, pour emprunter la terminologie de Dabrowski, la religion telle qu'elle est vécue à un niveau supérieur de développement.

Cependant, posez la question à un catholique et il vous répondra probablement que les « gnostiques » (comme les Cathares) étaient de dangereux hérétiques qui détestaient le monde, les gens et Dieu - les représentants d'un complot monolithique transgénérationnel à l'échelle d'un continent ayant pour but d'anéantir l'Église - et s'adonnaient à l'inceste, la bestialité et aux orgies, glorifiaient le suicide, pratiquaient le cannibalisme et, bien entendu, l'infanticide. Depuis l'époque de Tertullien et d'Irénée, « l'église » est en guerre contre ce genre de pensée hérétique erronée et de complot satanique - au point que le catholicisme est l'une des quelques grandes religions à ne pas avoir de courant mystique bien développé. Tandis que d'autres religions (et d'autres christianismes) révèrent leurs mystiques, l'église catholique a brûlé les siens - à son propre détriment - et a ensuite concocté la propagande la plus atroce pour les diaboliser à jamais et dissimuler son propre saint sadisme.

C'est cette description que Chafarévitch tient plus ou moins comme une évidence dans Le phénomène socialiste où il présente les gnostiques comme les ancêtres du socialisme chiliastique. Comme il l'indique, des groupes comme les Cathares rejetaient l'argent et la propriété, refusaient de procréer et accusaient la religion conventionnelle (le catholicisme). Puisque le dieu mauvais gouvernait le monde de la matière (et le dieu bon celui de l'esprit), par extension, le monde était entaché de mal, une prison de laquelle on devait se libérer. La « destruction du monde » était donc un but admirable : dans l'idéal, tout le monde cesserait de procréer, l'espèce humaine s'éteindrait et nous pourrions tous nous évader de cet enfer sur Terre. C'est du moins de cette façon que leurs critiques formulaient leurs croyances, sous leur forme la plus cynique. Cela ne rappellerait-il pas le socialisme ?

Dans Caricature of Love, Cleckley soulève un point important à propos du contexte :
Étant donné que le contexte dans lequel une chose se présente détermine fréquemment si celle-ci nous attirera ou nous repoussera, que nous la voyons sous les traits de la pourriture ou de la vie, une même matière peut exprimer l'abondance, la vie en croissance, ou la décomposition, le trépas. La sueur d'un athlète qui vient de gagner la compétition n'empêchera pas sa petite amie de l'étreindre. La transpiration qui couvre le visage du malade a un tout autre effet. La différence de réaction est déterminée par la différence de contexte dans lequel l'élément apparaît. Dans le premier cas, la sueur, l'essoufflement et même l'épuisement sont tout de même l'expression d'une vie forte et saine. Ils expriment la somptuosité de quelqu'un qui peut se le permettre. Même si dans le second cas une âme aimante peut dépasser toutes les aversions physiques initiales, en embrassant le malade - comme Saint-François embrassait les lépreux - elle ne poursuit pourtant pas un désir d'unification. La légende raconte que Saint-François dépassa d'abord le lépreux. Lorsqu'il fit faire demi-tour à son cheval et qu'il s'approcha du paria, il trouva la force d'exprimer une charité qui dépassait le dégoût, la maladie et la mort... (pp. 255-256, citant Straus)
Dabrowski considère lui aussi que la psychologie humaine et nos réactions à la réalité sociale sont d'une complexité plus profonde qui comporte de multiples facettes. Prenez, par exemple, la vision habituelle exagérément simpliste que l'adaptation sociale est bonne et l'inadaptation mauvaise. Dabrowski ajoute une autre dimension :
  • inadaptation négative : « Rejet des normes sociales et des modèles de comportement acceptés en raison du pouvoir directeur des pulsions primitives et des structures et fonctions non développementales ou déformées par une pathologie. »
  • adaptation négative : « Conformité inconditionnelle à une hiérarchie de valeurs qui prévaut dans l'environnement social d'une personne. Les valeurs sont acceptées sans évaluation critique indépendante. »
  • inadaptation positive : « Être en conflit et rejeter les normes et attitudes de son environnement social qui sont incompatibles avec sa propre conscience croissante d'une échelle de valeurs supérieure se développant en tant qu'impératif interne. »
  • adaptation positive : « Conformité à des niveaux supérieurs d'une hiérarchie de valeurs découverte par soi-même et sciemment suivie. C'est l'acceptation de valeurs après un examen critique et un choix autonome. »



Commentaire : Cet ouvrage de Kazimierz Dabrowski a été traduit en français : La formation de la personnalité par la désintégration positive


Si on ajoute maintenant la structure ABA', les problèmes et les solutions s'éclairciront. Prenons l'exemple du libertinage :
  • A : « Libération et liberté ! Libération des contraintes morales de la société, ce qui veut dire que je peux faire ce que je veux (mentir, tricher, voler, tuer, coucher à droite et à gauche). »
  • B : « Qui sont tous ces fous appelant à la libération et la liberté ? Le système marche très bien tel qu'il est. »
  • A' : « Libération et liberté ! Libération des stupidités de cette société et du contrôle sur mes actes exercé par ma propre nature inférieure, ce qui veut dire que je peux faire ce que je veux (vivre selon un principe supérieur, mon propre idéal). »
Toutefois, la transition de la conformité à l'inadaptation positive n'est pas sans danger. Comme le note Dabrowski à propos du Niveau III (désintégration étagée spontanée, où les débuts de la séparation interne entre supérieur et inférieur se produisent d'abord) : « L'adaptation négative [...] devient rare, mais l'inadaptation négative (rejet global des normes externes) est plus fréquente et prend la forme d'un individualisme extrême » (Multilevelness, p. 133). C'est ce à quoi Paul s'est trouvé confronté à Corinthe : « Tout m'est permis », vous dites - mais tout n'est pas bénéfique. « Tout m'est permis » - mais je ne serai asservi par rien (1 Cor. 6:12). Ces Corinthiens avaient mal compris ce que voulait dire être « mort à l'égard de la loi » - ce n'est pas simplement être inadapté aux normes extérieures, mais adapté à des valeurs supérieures.

Autrement dit, il y a un sens et un contexte dans lesquels le mécontentement envers le monde et le rejet de l'ordre social est sain - surtout lorsque cet ordre est plus ou moins pathologique.

Ces dynamiques contribuent à l'allure du socialisme et à la déconnexion entre les prétendus idéaux socialistes et leur mise en œuvre pratique. Les « anti-sol fertile » [4] leur répondent sous leur propre forme pathologique ; les « anti-sol rocailleux » leur répondent comme s'il s'agissait de valeurs supérieures, peut-être même en s'agrippant à certaines notions pathologiques de liberté, mais ils « s'évaporent » lorsque la police secrète vient frapper à la porte et que les coups commencent à pleuvoir.

Ces valeurs n'ont pas leur place dans les grands projets sociaux. Lorsqu'on les y trouve, cela ne peut que produire des réponses para-appropriées [5] chez les personnes enclines à y répondre positivement. Renoncer à la propriété, la famille, les normes externes et mêmes aux idées ou interprétations religieuses conventionnelles n'a de sens que dans un genre de monastère ou un groupe uni par un but supérieur commun. Et ce renoncement n'a de sens que lorsqu'on l'accepte de son propre gré. À vrai dire, la coercition aura probablement l'effet opposé sur ceux les plus enclins à être séduits par ce genre de choses :
  • Niveau III : « Rejet des normes imposées par des pressions extérieures. »
  • Niveau IV : « Rejet total des normes extérieures et opposition à celles-ci à chaque fois qu'elles orientent le développement humain vers l'inauthenticité et la dépendance à l'opinion sociale ». (Multilevelness, p. 133)
Cela implique que la tendance générale d'un système de coercition collective à imposer une quelconque utopie socialiste sera seulement d'aliéner ceux qui sont aptes à percevoir des valeurs supérieures et de donner plus de pouvoir à ceux qui en sont incapables. La pathocratie est la seule conclusion logique à un projet politique de ce type.

Revenons aux Cathares en tant que représentants d'un groupe plus large de « gnostiques », de « mystiques » et d'« ésotéristes », et voyons en quoi un parti pathocratique ressemble à la caricature d'une fraternité spirituelle. Premièrement, il y a la structure générale. Chafarévitch évoque la structure « concentrique » des groupes hérétiques : « un cercle étroit de dirigeants initiés à tous les secrets de la doctrine et un cercle plus large de sympathisants n'ayant accès qu'à certains aspects de la doctrine » (Le phénomène socialiste, p. 95). Dans le cas des Cathares, le cercle étroit de bonhommes ou de parfaits (les « perfecti ») était entouré par les credentes (les croyants ordinaires). Il ne s'agit pas d'une société secrète ou d'un club de loisirs. C'est au contraire le niveau d'être de l'individu qui détermine son appartenance. Les perfecti étaient analogues aux « saints » de Paul - ceux qui avaient connu une mort et une résurrection, un baptême dans le Saint Esprit, et qui pouvaient consacrer leur vie au niveau d'ascétisme et de moralité transparente que requérait cette position.

En revanche, dans un parti pathocratique, un cercle d'élites (principalement psychopathiques) est entouré par un cercle moins odieux de bureaucrates et d'hommes de main plus ou moins loyaux. Lobaczewski les qualifient même d'« initiés », détenteurs d'une « connaissance (psychopathique) secrète » inaccessible aux cercles extérieurs (par exemple, Political Ponerology, pp. 156, 158, 208). Il y a à la fois un élément de confidentialité arbitraire (compartimentation des informations sur la base de la « nécessité de savoir ») et un élément existentiel - seuls ceux dont l'état d'esprit est similaire peuvent faire partie du club.

Comme le met en lumière Lobaczewski, n'importe quel groupe peut devenir ponérisé dans certaines circonstances. La déformation paranoïaque du « gnosticisme » se révèle dans le commentaire de Chafarévitch :
Avec le temps, les doctrines socialistes elles-mêmes changent de visage, elles revêtent des caractères de haine, d'intolérance et de destruction.

On voit apparaître l'idée d'une division de l'humanité entre « élus » et « condamnés », on entend retentir des appels à la destruction de tous les « impies » ou « ennemis du Christ », c'est-à-dire de tous les ennemis du mouvement. (Le phénomène socialiste, p. 95)
Voici ce qu'Arthur Versluis écrit à propos de l'état d'esprit totalitaire :
En embrassant une idéologie rigide, quelle qu'elle soit, l'idéologue est désormais en mesure de se convaincre qu'il détient la vérité. Il fait partie du « cercle des initiés », le groupe des élites qui sont appelées à assumer la mission de policer la société, d'« améliorer » le monde des hommes. Les gens ordinaires ne comprennent pas et doivent donc être contraints, parfois même torturés ou tués « pour leur propre bien ». (New Inquisitions, p. 140)
Les Cathares n'ont jamais fait cela. En fait, ce sont les catholiques qui se sont comportés de cette façon envers les Cathares. Comme le dirait Obama, « Nous avons torturé quelques personnes ». Allez voir ici pour vous faire une idée de la forme que cela pouvait prendre il y a 800 ans : un inquisiteur vous fourrant une « poire du Pape » dans le rectum ou le vagin pour les mettre en charpie [6].

Les groupes gnostiques étaient également plus ou moins « apocalyptiques » (dans le sens d'une prédiction d'une fin du monde violente, mais aussi dans le sens d'une révélation divine). À cet égard, plusieurs éléments sont à considérer :
  1. les écrits apocalyptiques étaient de nature politique et attiraient l'attention sur une occupation étrangère ou la corruption des autorités ;
  2. le catastrophisme cosmique se justifie historiquement et scientifiquement ;
  3. c'est probablement la doctrine la plus facile à mettre en avant à des fins néfastes (témoin en sont les cultes de la mort apocalyptiques, de Muntzer à Jim Jones).
Certains imaginent la fin du monde « dans une atmosphère saturée de mort, de catastrophe et de destruction », à l'instar des taborites tchèques qui souhaitaient « se laver les mains dans le sang maudit » du clergé cupide, ou de l'anarchiste collectiviste Bakounine proclamant que « nous devons nous consacrer pleinement et totalement à une destruction effrénée et implacable. (Le phénomène socialiste, p. 275) Lorsqu'on en vient à l'effondrement catastrophique, certaines personnes veulent participer à l'action.

Quant aux interprétations plus positives du nouveau monde [7], je laisserai aux mystiques le soin de spéculer sur la réalité possible d'« états supérieurs » de physicalité et la nature du « royaume de Dieu ». Disons simplement que je ne rejette pas l'idée qu'ils puissent savoir de quoi ils parlent.
L'idéologie socialiste inculque peu à peu l'idée d'un bouleversement radical marquant la fin et la destruction toute proche du vieux monde et le début d'une nouvelle ère. Cette conception rejoint l'idée d'« emprisonnement » et de « libération », d'abord comprise par les Cathares comme un asservissement de l'âme par la matière et comme sa délivrance dans l'autre monde, ensuite interprétée par les amauriciens et les « libres esprits » comme une libération spirituelle obtenue grâce à l'accomplissement de la « piété » dans ce monde, et enfin reprise et expliquée par les taborites et les anabaptistes comme une libération matérielle du pouvoir des « mauvais » et comme l'établissement d'une domination des « élus » sur les « mauvais ». (Le phénomène socialiste, p. 95)
Je ne sais pas pour vous, mais je prendrai bien une domination des élus accompagnée d'une libération du pouvoir des mauvais, s'il vous plaît.

Quant aux autres idées évoquées, voici trois variantes pour chacune d'elles :

Emprisonnement/Libération
  • A : « La société normale est une prison. Les gens sont des moutons, et la soi-disant "moralité" c'est pour les pigeons. » - dit avec assurance et un sourire suffisant ;
  • A' : « La société normale est une prison. Les gens sont méchants et stupides, et je voudrais qu'on meurt tous. » - dit d'un ton pleurnichard en faisant la moue ;
  • A'' : « La société normale est une prison. Nos plus bas instincts et notre stupidité nous y maintiennent. Laissez-moi vous montrer la voie vers la véritable libération. » - dit avec assurance et un sourire omniscient.
Déification/Divinisation
  • A : « Je suis dieu, parfait comme je suis. Maintenant, donnez-moi tout ce qu'il y a dans la caisse. »
  • A' : « Je suis dieu, parfait comme je suis. C'est tellement libérateur de ne pas être entravé par des normes sociales. Hé, et si on se faisait une orgie vendredi après le yoga. »
  • A'' : « Par un processus de déification, je deviens Dieu. Sa volonté est ma volonté, et je ne peux faire que le bien. »
Et pour boucler la boucle avec Cleckley, voyons ce qu'il en est de l'anti-sexualité. Nous avons déjà vu ce que cela donne à un niveau inférieur (répulsion antibiologique, promiscuité indifférenciée, associations à la putréfaction). Et à un niveau supérieur ? Pour Dabrowski, un certain type d'anti-sexualité est compatible avec des niveaux de développement supérieurs. Extraits :
Le troisième facteur détermine ce qui constitue une expérience positive ou négative au regard des niveaux supérieurs et inférieurs de la vie sexuelle. Il élimine tout ce qui est animal au profit de tout ce qui est authentique, individuel, social et empathique. Le troisième facteur choisit ainsi l'exclusivité des liens émotionnels, la responsabilité envers le partenaire et la famille, et l'irrépétabilité de l'union amoureuse. [...] Exemple : « L'union des esprits et des cœurs, jamais l'union physique seule. La tyrannie de l'aspect charnel de l'amour me dégoûte, mais dans son aspect spirituel, je me sens proche d'une sorte d'"immortalité du sexe". » (Multilevelness, p. 49)

L'aspect sexuel d'une relation se sublime. L'amour et l'amitié peuvent s'épanouir sans que les exigences du niveau biologique de l'instinct sexuel n'interfèrent trop. (Multilevelness, p. 50)
Les Cathares avaient des idées curieuses à propos du sexe (ou du moins, leurs idées ont conduit à des conclusions étranges). Alors que pour les catholiques le sexe pour procréer était une bonne chose et le sexe sans procréation une mauvaise chose, pour les Cathares c'était l'inverse (ce qui veut dire que pour un catholique la masturbation peut être pire que le viol, tandis que pour les Cathares le sexe entre époux était en principe pire que l'homosexualité). Quoi qu'il en soit, seuls les parfaits optaient pour le célibat (ce qui n'est pas très différent d'autres formes d'ascétisme organisé) ; les croyants ordinaires étaient libres d'avoir des relations sexuelles et des enfants comme bon leur semblait. (De même, Paul considérait que le célibat était la meilleure option, le mariage étant une alternative acceptable.)

En outre, les Cathares étaient populaires, pas craints, et respectés pour leur vertu évidente et leur intégrité morale : « Lorsque l'évêque Foulques de Toulouse, tête de file des persécutions contre les Cathares, admonesta les Chevaliers du Languedoc (financés et consacrés par l'église) pour ne pas avoir poursuivi les Cathares plus diligemment, ceux-ci répondirent : "Nous ne pouvons pas. Nous avons grandi parmi eux. Certains sont des proches et nous les voyons mener des vies de perfection." »

Pour autant que je puisse le dire, le catharisme n'a pas été significativement ponérisé. Il n'a jamais dégénéré en mouvement paranoïaque, ne s'est jamais adonné à une violence collective comme les factions taborites et anabaptistes radicales ultérieures. Le potentiel était certainement là. Je peux aisément imaginer un catharisme corrompu et hypocrite. Après tout, « l'ascétisme, l'aversion pour soi-même ou le suicide reflètent souvent un manque d'équilibre dans le développement à niveaux multiples » (Dabrowski, La formation de la personnalité, p. 125), et au niveau III « on observe parfois des formes déviantes de dévotion à la divinité caractérisées par un manque de spontanéité, une auto-critique excessive et un rabaissement de soi ou un narcissisme spirituel » (Multilevelness, p. 97). Des croyances inhabituelles peuvent attirer des individus bizarres. Mais tel ne semble pas avoir été le cas [8]. Les critères de sélection des Cathares du Languedoc semblent avoir été assez fiables.

Cela m'amène finalement à l'idée que je voulais exprimer au départ après avoir partagé ces deux citations de Chafarévitch - d'autres s'étant présentées en premier. Dans mes derniers écrits, j'ai mis en lumière plusieurs oppositions comme la sexualité et l'anti-sexualité, la religion et l'anti-religion. Dans l'ensemble, j'en suis venu à voir la pathocratie comme l'anti-société, une caricature pathologique de ce qu'une société saine pourrait être, éventuellement illustrée par de petits groupes « gnostiques » ou par les communautés qu'ils peuvent diriger ou servir.

Tout comme une pathocratie représente un « triangle de Sierpinski » sociopolitique, dont les règles sont déterminées par les psychopathologies individuelles et collectives de ses protagonistes, la « logocratie » (pour réadapter légèrement la formulation d'un nouveau système de gouvernement amélioré de Lobaczewski) procède de manière inverse, en s'appuyant sur les meilleurs exemples que l'humanité puisse offrir. Ces deux fractales sociétales opposées, aux deux extrémités de la courbe gaussienne du développement de l'humanité, sont représentées dans les mythes par les deux divinités.

En apparence, l'attitude d'un révolutionnaire fanatique ou d'un membre du Parti et d'un modèle pieux de l'humanité ont beaucoup en commun : subordination des intérêts personnels et dévotion totale à la cause, abnégation, aucun assujettissement à une norme externe ou à la loi, « liberté » d'action totale, impossibilité d'un désaccord profond avec l'idéal. Mais tandis que les idéaux des uns nient la nature supérieure de l'humanité, les autres l'embrassent et l'incarnent. Derrière les apparences, leurs buts sont différents. Ils sont attirés par des pôles opposés : destruction et transformation créatrice.

En gardant ceci à l'esprit, lisez cette description de l'idéal du pôle destructeur (c'est-à-dire sa vision fantasmée de lui-même, sans tous les os et le sang qui doivent s'évacuer dans les égouts) qui pourrait bien vous donner des cauchemars. Dostoïevski décrivait ainsi le socialisme : « Sans avoir l'instinct de l'abeille ou de la fourmi, qui savent infailliblement et exactement construire la ruche ou la fourmilière, les hommes ont voulu bâtir quelque chose comme une impeccable fourmilière humaine » (Le phénomène socialiste, p. 268). Et voici comment Chafarévitch reconstitue le modèle de la société socialiste « idéale » à partir des écrits mêmes des socialistes :
Uniformités du vêtement, ressemblance des visages, vie dans des foyers-casernes, travail militarisé, repas et divertissements en commun, déplacements réglementés, relations sexuelles contrôlées par des médecins et des fonctionnaires et obéissant uniquement à deux buts : la satisfaction des besoins physiologiques et la reproduction, enfants élevés par l'État, art et philosophie politisés et répondant aux exigences du système. Tout cela mû par une seule idée : la destruction de l'individualité, ou tout au moins son étouffement de telle sorte que celle-ci cesse d'être une force sociale. Les comparaisons auxquelles a recours Dostoïevski s'avèrent particulièrement justes lorsqu'on se réfère à la classification des sociétés faite par les éthologues : dans le cas présent, nous avons affaire à un modèle de société anonyme. (Le phénomène socialiste, p. 306)

L'existence des liens individuels revêt une grande signification dans l'édification des sociétés animales. Ces sociétés sont soit anonymes, dans laquelle les animaux ne se distinguent pas les uns des autres en tant qu'individus [...] soit individualisées, autrement dit les animaux y sont liés les uns aux autres par des rapports individuels. [...] Quelle n'est pas notre surprise de découvrir parmi les forces sur lesquelles repose l'existence de ces sociétés individualisées (les recherches éthologiques le confirment) ces mêmes facteurs, justement combattus par le socialisme : éducation conjointe des enfants (famille), liens individuels entre parents et enfants et plus généralement d'autres membres de la société (alors que Deschamps voit dans la société future une existence « sans liens particuliers »), hiérarchie en fonction de laquelle chaque animal dispose d'un poids donné dans la société, les plus jeunes bénéficiant de l'expérience des plus anciens, les plus faibles du soutien des plus forts, etc., et enfin ce qui peut être considéré comme un antécédent de la propriété : la délimitation du territoire. (Le phénomène socialiste, p. 301-302)
Comme nous l'avons vu, ce modèle anonyme ne fonctionne pas - la nature humaine n'est tout simplement pas faite ainsi. Mais, curieusement, cela semble bien marcher pour un groupe restreint : le « super-organisme » du Parti. Curieusement, car une bande de pathocrates antisociaux ont tendance à relativement bien coopérer les uns avec les autres, comme si tout ce dont ils ont besoin, c'est d'une structure sociale adaptée à leur nature. Souvenez-vous : « Leur vie n'a de sens que lorsqu'ils réalisent les buts du super-organisme sans lequel ils ne peuvent exister ». Nous observons une sorte de cohérence qui « n'est pas guidée par un dessein conscient » (Le phénomène socialiste, p. 328). Un corps social - et puisque j'ai ici employé une terminologie religieuse - et non le « corps du Christ ».

Lobaczewski était un scientifique, pas un théologien, mais il était catholique et pensait avoir vu l'ombre de Satan à l'œuvre (voir l'Annexe III de Political Ponerology, [2e édition - NdT], sa réponse à la critique du Père Bogusław de ne pas avoir mentionné « le rôle du principal responsable [du mal] » dans son livre). Ce que j'appelle « pôles » (des teloi immatériels qui tirent les individus dans certaines directions et prennent ainsi certaines formes personnelles et sociales, comme des sortes de champs morphiques) peut tout aussi aisément être qualifié de dieux. C'est a minima de cette façon que les hommes se les sont représentés, comme des êtres réfléchis. Peut-être qu'ils possèdent effectivement une certaine capacité d'action et une personnalité. Lobaczewski n'est pas allé jusque-là, mais nous ne sommes pas obligés de nous arrêter là. Dans leurs écrits, Dostoïevski et Berdiaev ont parlé des « possédés ». Ils n'étaient peut-être pas loin du compte.

Si vous le voulez bien, je vais donc lancer cette idée : ce que nous cherchons, c'est une forme de cohérence « démoniaque » - un « pôle » hyperphysique qui coordonne et inspire un groupe d'êtres sur la même longueur d'onde afin qu'ils se comportent de certaines façons et revêtent la « forme » correspondante (l'« archétype de l'Inquisition », la pathocratie). À l'instar d'une singularité de l'IA, ce super-organisme collectif acquiert une intelligence qui lui est propre, un « corps » d'un ordre supérieur. Il n'est pas nécessaire que ses membres individuels aient conscience de ce qui se passe - ce sont juste des rouages de la machine fractale sociale émergente. Le tireur de ficelles demeure invisible - l'« autre dieu » en action. Nié par Platon, ré-articulé par les dualistes et les démonologues, il a pris sa revanche au XXe siècle, et c'est désormais mondial. C'est du moins l'impression que cela me donne.
Notes

[1] Voir The Origins of the World's Mythologies de Michael Witzel et son argumentation très sympathique sur l'origine commune de la plupart des systèmes mythologiques du monde, à savoir le mythe « laurasien » des générations de dieux et d'être humains, de l'ère des héros et de la destruction finale.

[2] Eh, oui Platon les a précédés.

[3] Le dualisme constituait un système de croyance (autre héritage de Platon) comportant des schismes internes dus à des interprétations et des dogmes différents. Même si les Cathares du Languedoc se souciaient moins de la doctrine (comparés aux Cathares italiens) que du mode de vie, c'est-à-dire de la pratique.

[4] Allusion à la Parabole du Semeur - NdT

[5] J'ai décidé de voir s'il existait un équivalent moderne à ce terme de Lobaczewski. Il semblerait que « inadéquation évolutive » et « piège évolutif » s'en rapprocheraient.

[6] Si vous passez par Carcassonne, allez voir le musée de la torture.

[7] Chafarévitch : « L'idée religieuse de fin du monde présuppose, en substance, son passage à un autre état après que l'histoire des hommes aura atteint son but » (Le phénomène socialiste, p. 281).

[8] Pour être honnête, Chafarévitch admet cette possibilité ainsi que la déformation des idéaux catholiques au moyen du pouvoir, de la richesse et de la coercition : « [Les hérésies] développaient leurs activités dans cette zone intermédiaire où il est difficile de distinguer la liberté de recherche propre à toute vérité spirituelles du complot visant à faire dévier l'humanité de la voie qu'elle s'est choisie » (Le phénomène socialiste, p. 91).
Source de l'article publié en anglais le 29 août 2022 : Political ponerology
Traduction : Sott.net