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Sécheresses (drought) et El Niño
Le climat, un chef d'orchestre meurtrier

On le pensait, on s'en doutait, on le disait du bout des lèvres, les cycles climatiques qui orchestrent la vie sur notre planète ne se limitent pas à modifier l'environnement, nos modes de vie, la société, ils ont aussi un impact sur la fréquence des guerres civiles dans le monde. Il ne s'agit plus d'une hypothèse, mais d'une certitude fondée sur des éléments qui seront désormais difficilement réfutables.

En outre, une abondante littérature tend à cautionner l'idée selon laquelle des conditions environnementales particulières peuvent jouer un rôle déterminant et mener à la violence avec un corollaire parfois inévitable: l'extinction d'une civilisation. Comme l'empire Akkadian (la première superpuissance de notre histoire), l'empire Maya, les guerres récurrentes au cours des différentes dynasties chinoises.

L'année dernière, 3 spécialistes de l'observatoire Lamont-Doherty Earth (Columbia University) ont établi un atlas des sécheresses causée par El Niño depuis 1000 ans. Les dates de ces sécheresses correspondaient à la chute de la civilisation Angkor au Cambodge, de plusieurs royaumes: Thaïlande, Chine, Vietnam, Birmanie (Myanmar)

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Sécheresses et El Niño, les moteurs de la violence?
El Niño, un cas d'école

À titre d'exemple, le cycle de sécheresses induites par El Niño, affecte en moyenne de façon significative 90 pays situés de part et d'autre de la ceinture équatoriale jusqu'aux régions subtropicales tous les 3 ou 4 ans. Les averses deviennent rares et les températures dépassent les moyennes saisonnières au point d'augmenter le risque de conflit civil.

C'est ce qui ressort d'une note de la Columbia University's Earth Institute, publiée dans le magazine Nature. Cette constatation, laquelle n'est pas vraiment une surprise, n'est pas réduite évidemment aux effets du courant El Niño sur l'homme, rappelle le Professeur Solomon M. Hsiang qui a mené l'étude, car elle est applicable à l'échelle planétaire. « Que cela se passe aujourd'hui et de façon globale, est le plus important« , ajoute-t-il. Il n'empêche que les courants marins El Niño et El Niña deviennent un véritable cas d'école en matière de climatologie dans la mesure où leur apparition est le résultat d'un dérèglement atmosphérique encore inexpliqué, mais surtout parce que, toujours selon les auteurs du document, ils seraient à l'origine de pratiquement 20% des guerres civiles au cours des 50 dernières années.

L'objectif des recherches entamées par l'équipe de la Columbia University's Earth Institute, ne consistait pas à établir des prévisions à long terme sur les changements climatiques, mais visait à interpeler la communauté scientifique dans un contexte où tout indique que les cycles naturels, liés aux modèles climatiques que nous connaissons, deviendront de plus en plus extrêmes avec le réchauffement global. Une communauté scientifique qui cite par ailleurs le chaos actuel en Somalie pour illustrer un des effets de ce réchauffement climatique.

Les observations entre 1950 et 2004 des oscillations de la partie australe de El Niño (ENSO - El Niño-Southern Oscillation) ont permis d'identifier les périodes de réchauffement (phase El Niño) et refroidissement (phase El Niña) de la bande tropicale de l'océan Pacifique. Ces mouvements thermiques interagissent avec d'autres acteurs qui animent les masses d'air au-dessus des autres océans tels que le vent, les variations des températures ce qui se traduit souvent par une dégradation de l'économie des pays touchés.

Les données recueillies au cours de ces 54 années ont été mises en relation directe avec 234 foyers de violence dans 175 pays. Et 50% de ces conflits ont déclenché plus de 1000 guerres. Il apparaît également que les pays concernés par ENSO réagissent différemment aux risques de guerre civile selon les périodes de réchauffement et refroidissement. Un risque de 3% pour El Niña (le courant froid) et 6% pour El Niño. Pour les pays qui ne sont pas concernés par ENSO, les risques de conflits ne changent pas (2%)

Sur base de toutes les données analysées, les chercheurs ont conclu que El Niño a joué un rôle majeur dans 20% des conflits armés à l'échelle planétaire et 30% pour les pays touchés par El Niño.

Mark Cane, coauteur du rapport et climatologue à l'observatoire Lamont-Doherty Earth, précise cependant que les résultats de la recherche n'indiquent pas que seul le climat est à à l'origine des guerres. D'autres facteurs bien connus interviennent: politiques, économiques, religieux, etc. Par contre ces résultats démontrent que son influence est loin d'être négligeable au point que dans les régions politiquement instables, minées par la pauvreté, une économie précaire, les conditions climatiques seront très souvent le détonateur pour provoquer un feu de violences.

Kyle C. Meng a participé également à l'étude et note que les individus développent plus facilement des comportements agressifs dès que les températures augmentent. Cependant, bien que cette observation soit applicable à toutes les sociétés sans distinction, elle appartient au domaine de la spéculation car il manque encore des éléments pour la vérifier objectivement.

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Pérou - Le Sentier lumineux est encore actif
Pérou, Soudan et les autres...

Une climatologie hostile encouragera le chaos social dans les pays les plus pauvres. L'Australie, un des pays les plus exposé aux effets ENSO, est riche, son économie prospère et n'a jamais connu de guerres civiles. Afin d'apporter davantage d'eau à leur moulin, les auteurs citent les cas du Pérou et du Soudan.

En 1982, El Niño frappe sévèrement les hautes terres péruviennes, une région particulièrement pauvre, et détruit les récoltes. La même année, les actions organisées par le Sentier lumineux s'intensifient pour basculer dans une guerre civile qui n'est pas encore totalement achevée aujourd'hui. Quand El Niño touche le Soudan en 1963, des tensions à l'état larvé entre le Nord et le Sud du pays conduiront à une des guerres civiles les plus meurtrières depuis la Seconde Guerre mondiale. L'insurrection est réprimée, mais reprend de plus belle en 1976, une autre « année El Niño ». Matée, la guerre éclatera à nouveau en 1983 tandis que le pays sera exposé à un phénomène El Niño encore plus sévère que les autres années. Bilan: 2 millions de morts. Aujourd'hui, Nord et Sud sont séparés, mais des incidents sont encore signalés sur la nouvelle frontière.

Le Professeur Hsiang ajoute que d'autres pays exposés aux effets conjugués de El Niño et de tensions internes, multiplient les risques de guerres civiles ou connaissent déjà un climat latent d'insurrection. Parmi ces pays: les Philippines, le Salvador, Ouganda (depuis 1972), Rwanda (1997), Congo, Myanmar (1991), Angola, Érythrée, Haïti, Indonésie...

Le doute est-il permis?

Certains scientifiques mettent en doute la relation entre le climat et la violence. Ils reprochent à cette étude le manque d'éléments pour améliorer la compréhension des causes réelles des conflits armés. Le dossier serait le fruit d'un ensemble d'observations, mais qui n'apportent aucune explication sur l'association du cycle ENSO avec les guerres civiles. Selon Halvard Buhaug de l'Institut de Recherche pour la Paix (Oslo - PRIO), toutes corrélations sans explication appartient au domaine de la spéculation.

Quant à Marshall Burke, économiste à l'Université de Berkeley, il estime que les auteurs ont apporté des éléments convaincants, néanmoins le doute persiste autour de l'impact des changements climatiques sur nos sociétés. En effet, l'homme réagit différemment selon qu'il doit faire face à des événements très ponctuels ou des processus plus lents tels que précisément le changements des températures moyennes, les précipitations.

Sources:

The Earth Institute Columbia University

Nature