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Certaines de nos personnalités sont aujourd'hui les premières à défendre une position consensuelle sur le résultat de la révolution tunisienne. A croire qu'ils en ont toujours été les défenseurs ardents, presque que la jeunesse tunisienne leur doit sa libération, à ces esprits éclairés de la coopération franco-tunisienne.

L'ex député invalidé Georges Fenech (UMP Lyon) est Président d'EFT, association « Echanges Franco-Tunisiens », et apparaît régulièrement dans les médias pour commenter la situation en Tunisie. Le 17 janvier sur la chaine LCP, il s'exprimait d'une manière on ne peut plus dans le ton avec un "on a tardé à condamner la répression féroce de Ben Ali." Face au député PS de l'Eure François Loncle qui souhaitait examiner les responsabilités d'une complaisance française à l'égard du régime de Ben Ali, il rétorquait : « Gauche comme droite, nous sommes des citoyens français, tous derrière la révolution tunisienne. Il n'y pas d'autres vérités à dire ce soir. Plus tard, nous verrons, et on réglera ça entre nous... »

Le 13 janvier, il s'en prenait aussi à la corruption en Tunisie avec une déclaration que certains pourraient assimiler à un aveu : « Personne ne peut nier qu'il y a de vrais problèmes de corruption en Tunisie ».

Pour bien comprendre ce que certains considèrent aujourd'hui comme une démagogie de bas étage, du type « plus c'est gros, plus ça passe », il faut remonter à peine en arrière pour saisir les relations qui lient Georges Fenech à la Tunisie.

Georges Fenech et le régime Ben Ali

Le régime Ben Ali n'a pas toujours été l'ennemi de Georges Fenech. En fait, jusqu'à sa chute il y a quelques jours, il en était même le meilleur ami. L'association EFT que préside le député a été fondée par Hosni Djemmali, un homme d'affaire et homme de presse, considéré comme le véritable attaché de presse du régime Ben Ali en France. Djemmali est l'un des grands amis de Georges Fenech (et de Ben Ali), qui se verra fréquemment invité avec son épouse et d'autres personnalités dans les hôtels tunisiens possédés par l'homme d'affaire franco-tunisien, pour agir afin de favoriser des implantations françaises dans l'industrie tunisienne (ce qu'ils appellent des « échanges franco-tunisiens »). La vocation officielle d'EFT est de favoriser le développement des relations économiques entre la France et la Tunisie.

Quelques instants avant la chute salutaire du régime Ben Ali, que Fenech a donc qualifié de féroce, ce dernier organise une réception pour fêter les 20 ans d'EFT, le 25 janvier 2011. La fête est censée se tenir dans le plus luxueux (cher) palace parisien, le nouveau « Shangi-La » avec Fenech, Djemmali et Frédéric Mittérand. L'invité d'honneur, Abdelwahab Abdallah, ami de Fenech, est le Ministre Conseiller chargé des affaires politiques auprès de Ben Ali. Mais Abdelwahab Abdallah est haï des tunisiens car il est le conseiller politique du dictateur, et Ben Ali devra s'en débarrasser quelques jours avant de se débarrasser de lui-même. La fête est finie et la réception sera finalement annulée, plan de comm « gestion de crise » oblige. Pour commenter cet événement, tout le monde est aux abonnés absents, Djemmali compris.

Au delà de cela, Georges Fenech a toujours été un fervent promoteur du régime Ben Ali. « Lorsqu'il siégeait au Palais-Bourbon, et était le vice-président du groupe d'amitiés France-Tunisie », raconte Catherine Graciet dans son livre « la régente de Carthage », « ce dernier accouchait de communiqués prenant farouchement la défense du président Ben Ali. Ce fut par exemple le cas en novembre 2005, quand les parlementaires amis de la Tunisie saluaient Ben Ali comme un « véritable homme d'État » louant les avancées d'une « Tunisie qui va dans le bon sens » et fustigeant les tentatives de "désinformation contre la Tunisie" ».

Cité par le journal Bakchich le lundi 4 mai 2009, Georges Fenech ne tarit pas d'éloges sur le gouvernement Tunisien : « Vous savez, la Tunisie, c'est d'abord un capital humain. Les dirigeants ont fait un effort colossal en matière d'éducation. Bourguiba, d'abord, pour l'égalité homme / femme. Ben Ali, ensuite, pour la laïcité. Vraiment, il y a eu beaucoup de fait pour l'éducation de la République tunisienne... »

Le 21 novembre 2007, devant la commission des lois de l'Assemblée nationale, Georges Fenech indiquait avoir visité le Palais de Justice de Tunis et en vantait la dématérialisation des procédures, « un modèle pour notre pays ».

Un Fenech tunisien qui sait s'entourer

Autour de lui, Georges Fenech sait rassembler. Ce qui en fait un entremetteur de poids pour l'industrie Tunisienne. Le 17 Mars 2008, il organise un diner dans le prestigieux hôtel de Lansey. C'est lui qui fait venir le ministre tunisien de l'Industrie, Afif Chelbi, mais aussi Hervé Novelli (secrétaire d'état français à l'époque, qui comme par hasard est celui qui a remis la légion d'honneur à Hosni Djemmila). En avril 2009, il fait venir à son diner de gala Roselyne Bachelot, alors Ministre de la Santé et Mondher Zenaidi, Ministre tunisien de la santé... Georges Fenech s'en réjouit et ne cachera pas qu'il sert d'entremetteur et organise des rencontres d'ordre économique : « L'Association, une association de droit privé, fondée il y a vingt ans, organise des rencontres d'ordre économique. Par exemple, entre femmes. Des chefs d'entreprises tunisiennes viennent en France rencontrer leurs homologues françaises. Et vice versa. » Georges Fenech est fière de cette convivialité : « Cette année au dîner annuel, organisé il y a quinze jours sur le thème de la Santé, il y avait Roselyne. Roselyne Bachelot, je veux dire... »

Des motivations pharmaceutico-industrielles

D'ailleurs, le thème de la santé est un thème porteur. Georges et Roselyne ne s'en cachent pas. Fenech dira : « Bon d'accord, je ne vous dis pas que tout est parfait. Mais quand même, en matière de Santé et de nouvelles technologies (le bio-médical), ça fonctionne. »

Bachelot rendra hommage au président Ben Ali pour « les avancées importantes du système de santé tunisien ».

De là à voir chez le député entremetteur des velléités de lobbying pharmaceutique, il n'y qu'un pas. Ce pas, certains pensent à le franchir lorsqu'ils évoquent les propos de Georges Fenech tout au long des dix dernières années. Le Président d'EFT n'a-t-il pas déclaré en mai 2003 dans un entretien avec la journaliste lyonnaise Patricia de Sauzéa :
« Les tunisiens sont demandeurs d'une coopération avec la France dans de nombreuses branches d'activités. Par exemple la ville de Monastir, qui possède une université scientifique, souhaiterait l'implantation d'entreprises pharmaceutiques françaises pour répondre aux besoins nationaux. »
L'histoire récente nous a montré combien les liens entre « scientifiques » et labos étaient périlleux.

Et ce n'est pas tout. Georges Fenech est l'homme de toutes les alliances. En 2005, il fonde avec d'autres le Momagri, un « think tank » aujourd'hui présidé par Pierre Pagesse (qui n'est autre que le président de Limagrain), chargé de promouvoir l'agriculture OGM par un lobbying intensif auprès des institutions françaises, européennes et internationales.

Le 8 juillet 2007 dans le journal lyonnais « le Progrès », Georges Fenech déclare :
« Je suis pour un moratoire des essais en plein champs. La communication autour de ces plantations est très mauvaise. Je l'apprends par voix de presse. Les citoyens sont responsables, ils doivent être mieux informés même si les actions radicales des faucheurs peuvent expliquer ce choix. D'autant plus que la France doit combler son retard en matière de recherche sur les biotechnologies végétales. L'enjeu pour la médecine et l'industrie pharmaceutique est énorme. »
L'industrie pharmaceutique ?

Ce n'est pas pour rien que l'un de ceux qui fondent le Momagri avec Fenech n'est autre que Pierre Fabre, Fondateur et Président-directeur général des Laboratoires Pierre Fabre. Et Pierre Fabre a jeté son dévolu sur la Tunisie dès 2005. Il s'agit d'implanter le laboratoire dans le pays en l'associant avec la Siphat (Société des Industries Pharmaceutiques de Tunisie) qui détiendra seulement 35% des parts tandis que Pierre Fabre en détiendra 65. Ce rapprochement sera fait dès 2005. La première unité de cette fusion au business plan ambitieux sera inauguré en 2008 par le Ministre de la Santé Publique tunisien M.Mondher Zenaïdi (comme dit plus haut, bonne relation de Georges Fenech et de Madame Bachelot), et M.Manuel Serdan, directeur du Patrimoine du groupe Pierre Fabre, en présence de M. Serge Degallaix, ambassadeur de France, et du gouverneur de Ben Arous.

Et pour qui pense à Roselyne Bachelot et son fiasco de la gestion de la grippe H1N1 il n'est pas inutile de rappeler que Georges Fenech fut celui qui, le 10 janvier 2007 à l'Assemblée Nationale, défendit l'amendement 139 relatif aux obligations vaccinales devant la commission des lois, contre l'avis du président de cette dernière et l'avis du gouvernement. Cet amendement adopté finalement a été défendu comme suit par l'ex député : « Les vaccinations sont obligatoires, mais, suivant la vaccination, les pénalités ne sont pas les mêmes. Nous proposons de frapper des mêmes pénalités tous les refus de vaccination, c'est-à-dire six mois d'emprisonnement et 3 750 euros d'amende. »

Georges Fenech, un homme de réseau

L'actuel Président de la Miviludes (Mission interministérielle de lutte contre les sectes) est l'homme de tous les réseaux. La Tunisie, Momagri, mais aussi la Françafrique : fin des années 90, il fit partie de la mission d'observation controversée lors de la réélection d'Omar Bongo au Gabon, qui lui coûta son poste de premier juge d'instruction à Paris pour lequel il était pressenti. Dans un communiqué publié le 9 décembre 1998, le ministère de la Justice précisait que « la tenue de propos à connotation antisémite dans la revue que dirige M. Fenech en tant que président de l'APM et les interrogations que suscite, au regard de la magistrature, sa participation à une mission non officielle d'observations des élections présidentielles gabonaises ont convaincu Mme le Garde des Sceaux de retirer sa proposition. »

L'Angolagate l'avait aussi rattrapé, après qu'il a touché 100 000 francs de l'homme d'affaire Pierre Falcone (écroué depuis lors, dont le procès en appel se déroule en ce moment même) dans le cadre de ce trafic d'armes vers l'Angola. Georges Fenech sera relaxé malgré des réquisitions de 6 mois de prison par le parquet, car le tribunal avait peiné à établir la preuve d'une intention criminelle.

Mais l'homme de réseau sait naviguer, et on imagine bien qu'il saura se refaire une virginité dans cette Tunisie nouvelle qu'il se propose aujourd'hui d'accompagner vers des rivages lointains. Bien plus fort qu'un Ben Ali dont le bateau a coulé, l'ex-député-magistrat-président sait influencer sans faire de vagues, au gré des courants et libre de tourner son ciré selon le vent.