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Athènes est comme sidéré, après l'adoption du programme d'austérité imposé par l'Europe. Et le monde financier, pour lequel tous ces sacrifices sont exigés, s'inquiète. Pour les investisseurs et les économistes, l'austérité imposée à la Grèce ne rime à rien et risque d'aggraver au contraire la situation mondiale.

Athènes semble s'être réveillé ce matin en état de sidération. Le vote du parlement sur le plan d'austérité exigé par l'Europe comme les violences urbaines qui ont déchiré le centre-ville une partie de la nuit ont laissé les Grecs momentanément sans voix. Quels mots mettre sur ce qui s'est passé ce 12 février, sur cet enterrement d'une certaine idée de l'Europe et de la démocratie, contraignant des députés à signer, un pistolet sur la tempe, « une acceptation insincère de conditions impossibles », pour reprendre les mots de Keynes sur le traité de Versailles, comme le rappelle un éditorialiste du Telegraph ?

En ce lundi matin, il n'y avait que le gouvernement chinois pour dire que la crise de l'euro arrivait « à un moment crucial ». Les politiques, eux, ont repris leurs occupations, comme si de rien n'était.

Le gouvernement grec s'est réuni, en vue de sa reformation après la démission de six ministres. Pour rassurer, il a confirmé que les élections législatives se tiendraient bien en avril, comme prévu. Le Pasok (parti socialiste) et la nouvelle démocratie (droite) ont confirmé l'exclusion de quelque 40 députés, qui ont refusé de voter le plan européen hier. Mais pressentant que la situation devenait beaucoup plus compliquée, Antonis Samaras, le leader de la droite, a déjà indiqué qu'il souhaitait renégocier les termes de l'accord signé hier, après les élections législatives.

L'Europe a fait mine de ne pas relever. Pour Bruxelles, il est de la responsabilité des politiques grecs désormais de vendre l'austérité aux Grecs, comme l'a rappelé ce matin le commissaire européen aux affaires économiques, Olli Rehn. Se félicitant du vote parlementaire, qui est « l'expression de la détermination du pays de mettre un terme à la spirale des dépenses publiques insoutenables et de la perte de compétitivité », ce dernier s'est dit confiant dans l'issue des négociations qui doivent conduire à l'adoption du plan final de sauvetage de la Grèce, lors de la réunion de mercredi prochain. Pourtant, dans un entretien au Welt am Sonntage, le ministre des finances allemand, Wolfgang Schaüble, juge déjà que les engagements de la Grèce sont insuffisants, car « trop de promesses n'ont pas été tenues et la situation a depuis empiré » .

Mais toutes ces coupes claires imposées, cette rigueur imposée convainquent-elles seulement ceux à qui elles sont destinées, ce monde financier que les Européens veulent à tout prix rassurer ? Lundi, les marchés financiers ont accueilli chaleureusement le vote du parlement grec : l'euro a monté, les marchés boursiers aussi, tandis que les taux des obligations européennes baissaient. Pourtant, de nombreux analystes et investisseurs commencent à exprimer à nouveau de sérieux doutes sur la politique suivie par les gouvernements européens. Leurs analyses et leurs critiques rejoignent en de nombreux points ce que disent les Grecs.

« C'est une pause, un soulagement. Mais ce sera de courte durée. Chacun le sait. Nous nous achetons quelques mois de plus avant le prochain épisode de trouble », indique Milton Ezrati, chef économiste chez Lord Abbett & Company. « Une période de calme va s'installer. Après quelques mois, il deviendra évident que les coupes dans les salaires et les retraites grecques ont aggravé la dépression. Les dirigeants européens découvriront alors que dans un environnement si désolé, même un objectif réduit de privatisations est irréaliste. Le PIB de la Grèce a chuté de 6 % en 2011, il continuera à tomber au même rythme cette année. Et avant longtemps, un autre round de restructuration de la dette s'imposera », note de son côté l'éditorialiste Wolfgang Münchau, dans le Financial Times.

La certitude que l'Europe, une fois de plus, s'est achetée un peu de temps, sans apporter aucun remède réel, est désormais ancrée dans les milieux financiers. Le pari des gouvernements européens de faire revenir les investisseurs, en faisant montre d'une austérité et d'une rigueur admirables, semble déjà perdu, à écouter l'avertissement du directeur de Pimco, un des plus importants fonds d'investissement des dettes souveraines : ils ne reviendront pas, prévient-il. « Aussi bienvenu que soit le nouvel accord sur la Grèce, nous devons reconnaître malheureusement qu'il offre une très petite chance de remettre le pays sur le chemin d'une croissance élevée, de l'emploi et de la stabilité financière. Il apparaît trop réduit pour soutenir la croissance et laisse le pays avec une charge d'endettement excessive à moyen terme (120 % du PIB à l'horizon 2020, selon l'objectif du FMI). Cela n'attirera vraisemblablement pas les nouveaux flux d'investissements extérieurs nécessaires pour financer les nouveaux investissements productifs et les secteurs créateurs d'emploi », écrit-il.

L'échec semble donc inscrit par avance, pour le monde financier. Les reproches se font de plus en plus sévères sur la politique suivie par l'Europe depuis le début de la crise de l'euro. Pas un économiste, pas un financier ne la défend. « Les politiciens grecs et les autres eurocrates ont pris une question de 250 milliards d'euros pour le transformer en un problème existentiel de 1.000 milliards. Pire, leur refus de travailler ensemble et leurs politiques erronées de "contraction fiscale" ont plongé la Grèce dans une dépression qui menace toutes les autres économies faibles. A ce stade, il n'y a aucune donnée suggérant que le pays, de quelque manière que ce soit, soit plus compétitif qu'il y a trois ans », note un économiste dans un blog financier, accusant l'Europe de tuer la Grèce.

« La raison pour laquelle la Grèce se trouve dans cet état tient à la stratégie imposée par la Troïka. Le FMI n'a jamais traité un pays de cette manière. Avec une telle austérité, il y a toujours eu une importante dévaluation aussi », note l'économiste Samuel Tilford, du centre de réforme européenne, cité par le New York Times. « On pousse la Grèce à faire des choses infaisables. C'est sans doute ça, l'ultime erreur», ajoute une économiste de Goldman Sachs.


« Jamais l'Europe n'aurait dû faire appel au FMI. Elle avait les moyens de résoudre les problèmes toute seule », a renchéri ce week-end le financier George Soros, observateur perçant et intéressé de toutes les défaillances de l'Europe. Celui-ci juge négativement la politique suivie par l'Europe, consistant à consentir à la Grèce de nouvelles aides assorties de taux prohibitifs, par l'intermédiaire de mécanismes compliqués plutôt que d'avoir recours à la BCE. « C'est la raison pour laquelle la Grèce ne peut pas plus être sauvée aujourd'hui et il arrivera la même chose à l'Italie, si nous plaçons ce pays dans la camisole de force de paiements d'intérêts violents », prévient-il.

Le mariage peut-il encore être sauvé ?

L'Europe, pour tous, a complètement fait fausse route et s'entête. « Tant de dégâts ont été faits que je me demande si le mariage peut être encore sauvé », écrit Erick Nielsen, chef économiste d'UniCredit, dans une note adressée à ses clients, ce lundi matin. A ce stade que faire ? La Grèce doit sortir de l'euro, préconise un blog de The Economist, rappelant le précédent de 1931, lorsque la Grande-Bretagne avait quitté l'étalon-or et ne s'en était pas trouvée plus mal.

La tentation de pousser la Grèce à quitter la zone euro semble de plus en plus forte en Allemagne, aux Pays-Bas et en Finlande, les pays vertueux de l'Europe. Incidemment, le ministre allemand des finances a révélé, lors d'un débat parlementaire vendredi, que l'endettement de la Grèce ne reviendrait pas à 120 % de son PIB en 2020, mais au mieux à 136 % , selon les derniers chiffres disponibles. Une manière de suggérer que la cause est perdue d'avance et qu'il est inutile de s'acharner sur le cas grec. Et pour bien souligner la différence, Wolfgang Schaüble a volontairement commis l'indiscrétion à Bruxelles de dire qu'il était prêt à étudier de nouvelles aides pour le Portugal, dès que le sujet grec aurait été traité. L'Europe ferait ainsi la part du feu dans la crise de l'euro.

Une sortie de la Grèce de l'euro, cela signifie un défaut organisé ou non du pays. Les financiers ne l'ignorent pas et en redoutent déjà les conséquences. En premier lieu, cet événement amènerait immanquablement le paiement des CDS, ces fameuses assurances crédit censées protéger contre les risques de défaut et qui ont surtout servi de vecteurs de spéculations contre les dettes publiques européennes. Quatre banques américaines tiennent 80 % de ce marché totalement opaque. Elles ont vendu des garanties pour plusieurs milliers de milliards de dollars, sans constituer les provisions d'assurances en face. Demander le remboursement des CDS risque donc de déclencher un nouveau tsunami financier à Wall Street.

Dans une note à ses clients, Joachim Fels, chef économiste de Morgan Stanley, une des banques les plus exposées au risque des CDS, parle « du très, très mauvais scénario » de la sortie de la Grèce de la zone euro. D'autant que la théorie de la part du feu, avancée par l'Allemagne, ne convainc pas du tout le monde financier. L'exemple grec peut faire des émules. « Si un pays de la zone euro peut faire défaut et quitter l'euro, un autre peut l'imiter. C'est une simple donnée que les banquiers et les gestionnaires de fonds prendront en compte, quoi que disent Angela Merkel et Nicolas Sarkozy », avertit Costas Lapavistas, économiste à l'université de Londres. Avant d'ajouter : « Le Portugal et l'Irlande ont aussi un niveau d'endettement insoutenable. Deux plus deux, cela fait toujours quatre. »


A ce stade, les uns et les autres ne savent plus dans quelle direction il conviendrait de se tourner. Le monde financier n'a qu'une certitude : l'Europe a totalement échoué dans sa gestion de la crise de la zone euro. Selon un sondage publié par l'agence de notation Fitch, ce lundi, 48 % des personnes interrogées - des investisseurs spécialisés sur le marché obligataire - s'attendent à ce que la crise de l'euro se poursuive sans évolution notable cette année. Un quart est encore plus pessimiste et redoute une nette détérioration. 3 % d'entre eux seulement s'aventurent à prédire la fin de la crise de l'euro cette année.

La gestion de la crise par l'Europe est un échec patent. Plus grave, pour le monde financier, elle fait courir un grand risque désormais à l'ensemble de l'économie mondiale, d'autant que les dirigeants de l'union ont avivé des risques politiques et sociaux au sein même de l'Europe, qui rendent la situation explosive.