Au vu de l'actualité juridique qui la concerne, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) semble traverser une mauvaise passe, qui se prolonge depuis plusieurs mois. Malgré des efforts médiatiques pour relancer l'intérêt à l'égard de la lutte contre les dérives sectaires, elle doit assumer différents revers qui mettent sérieusement en doute sa légitimité.

Un double désaveu

Tandis que le discours antisectes convainc avec difficultés depuis l'échec de la commission parlementaire sur les sectes et les mineurs de 2006, la Miviludes a accusé un premier coup dur, lorsque la Cour européenne des droits de l'homme a condamné la France pour avoir porté atteinte à la liberté de religion des Témoins de Jéhovah, de manière indirecte par une taxe à hauteur de 60 % reconnue inédite et excessivement lourde (1).

Or, le redressement fiscal de l'Association les Témoins de Jéhovah constituait l'argument principal pour justifier le combat mené depuis la fin des années 1990 contre cette confession chrétienne. Ainsi les sept parlementaires membres du Conseil d'orientation de la Miviludes avaient-ils déclaré sans détour, à la suite de la validation en cassation de la taxation de leur denier du culte : «Cette condamnation vient confirmer et légitimer l'action menée par les parlementaires, de droite comme de gauche, contre des mouvements dont les pratiques sont contraires aux lois de la République.» (2)

Maintenant que cette condamnation a été jugée sans fondement, n'est-il pas temps de remettre en question l'acharnement parlementaire contre les Témoins de Jéhovah ?

Il n'y a encore pas si longtemps, malgré la recevabilité de la requête de l'association religieuse déjà prononcée par la CEDH, les représentants de la Miviludes avaient encore évoqué cet argument complètement hors sujet dans le débat sur leur demande d'agrément d'aumôniers des prisons. Lors d'une interview en mai 2011 sur RTL, le président Georges Fenech n'a-t-il pas réussi à placer «que les Témoins de Jéhovah sont redevables à la France, aujourd'hui, de quelques 50 millions d'euros de dette fiscale puisqu'ils n'ont pas déclaré leurs dons et legs» ? Et d'ajouter : «Ils ont toujours refusé de payer» (3). Pareillement, son secrétaire Hervé Machi a souligné «que, par ailleurs, l'association Les Témoins de Jéhovah, autre structure du mouvement, association loi 1901, doit environ 56 millions d'euros au fisc français pour non-déclaration de dons reçus de ses fidèles » (4).

Quel rapport avec la mise à disposition de ministres du culte dans les centres pénitentiaires ? N'est-ce pas une tentative de contourner les vraies questions de fond, en laissant croire qu'il y a eu fraude fiscale et qu'une telle malhonnêteté justifierait l'impossibilité pour eux d'apporter une assistance spirituelle dans les centres pénitentiaires ? Cette décision définitive au niveau européen a donc permis de rétablir la réputation des Témoins de Jéhovah et d'écarter l'un des moyens détournés de restreindre la pratique de leur culte en France.

Cependant, le gouvernement français a lui aussi désavoué la prise de position sans nuance de la Miviludes dans cette affaire. Bien que Georges Fenech, ancien magistrat, ait réclamé haut et fort dans la presse le renvoi de l'affaire devant la Grande chambre de la Cour européenne, le ministre du Budget a répondu dans le cadre des questions parlementaires à l'Assemblée nationale que cet arrêt condamnant l'État français «n'était pas susceptible d'un réexamen par la grande chambre» (5). D'ailleurs, en admettant que «l'association les Témoins de Jéhovah [a] été la première à être redressée sur cette base», la réponse ministérielle reconnaît que ce redressement fiscal ne découlait pas d'une quelconque dissimulation malhonnête d'offrandes cultuelles, mais seulement d'une nouvelle interprétation de la législation, inventée pour les besoins du moment.

Échec du projet d'immunité

Le second coup dur subi par la Miviludes a été sa tentative de faire inscrire dans la loi son immunité pénal en matière d'abus de liberté d'expression et de diffamation publique. Le lobby constitué à l'Assemblée nationale sous le nom officiel de «Groupe d'étude des sectes» avait proposé un amendement dans ce sens dans une proposition de loi qui devait être adoptée de manière globale dans un tout autre domaine.
Premièrement, le Sénat a rejeté à deux reprises ce texte qui lui a été soumis à chaque fois dans le cadre de la procédure accélérée (6). En particulier, l'article qui proposait l'impossibilité de poursuivre légalement la mission interministérielle a été critiqué pour deux raisons principales :

- Dans la forme tout d'abord : «L'existence de la mission ne relève pas aujourd'hui de la loi. » (7) Il est évident que la loi ne peut prévoir une telle disposition en faveur d'un organisme dont l'existence de dépend pas d'elle-même.

- Dans le fond surtout : « une telle immunité n'existe à ce jour que pour deux autorités administratives indépendantes, le Défenseur des droits et le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, alors que cette mission interministérielle n'est pas une autorité indépendante» (7). Le rapport du Sénat conclut en toute logique : « Une réflexion plus large, tant sur les immunités de certaines autorités administratives dans l'exercice de leurs fonctions que sur le rôle et les conditions de l'activité de la MIVILUDES, pourrait être pertinente. » (7) Outre la remise en cause de l'indépendance de la Miviludes, le rapporteur suggère en toute sagesse d'élargir la question à l'ensemble des organismes publics et surtout de prendre le temps de la réflexion en analysant la nécessité ainsi que les conséquences d'une telle mesure non anodine.

Deuxièmement, après que l'Assemblée nationale ait voté seule cette proposition de loi contre l'assentiment du Sénat, le Conseil constitutionnel a finalement annulé quelques dispositions, entre autres «cavaliers législatifs» l'article 134 qui instituait une protection des membres de la Miviludes contre toute poursuite légale concernant leurs propos publiés dans le rapport annuel (8). En effet, il est apparu manifeste que «ces dispositions, introduites à l'Assemblée nationale en première lecture, ne présentent pas de lien, même indirect, avec celles qui figuraient dans la proposition de loi» et que, par conséquent, «elles ont été adoptées selon une procédure contraire à l'article 45 de la Constitution».

La réaction de l'ADFI à propos de cette affaire juridique est plutôt cocasse : loin d'accepter l'évidence de la contrariété avec la constitution de l'inclusion d'un texte au sein d'une proposition de loi votée globalement sur un sujet totalement étranger, elle est allée chercher que l'un des membres du conseil serait proche d'un avocat, qui aurait défendu à une époque un groupe sectaire... (9) En réalité, l'association militante oublie de préciser ce point qui change tout : si le Conseil constitutionnel s'est prononcé, c'est parce qu'il a été saisi par plus de 60 députés et plus de 60 sénateurs. Y aurait-il aussi des liens à relever à l'encontre de parlementaires qui seraient eux aussi copains avec l'ami d'un proche d'un mouvement présumé sectaire ?

Au contraire, la présence de représentants du Conseil d'orientation de la Miviludes parmi ceux qui ont engagé cette procédure révèle plutôt à quel point cette tentative ne pouvait être prise au sérieux... Car c'est l'auteur même de l'amendement, Philippe Vuilque, qui a signé ce recours invalidant l'immunité pénale des membres de la mission.

D'ailleurs, pour l'anecdote, la sanction de ce député des Ardennes par le parti socialiste (10) ne contribuera pas à améliorer l'image de l'organisme public chargé de lutter contre les dérives sectaires. Oserait-on comparer son exclusion à l'excommunication pratiquée dans les Églises contre les dissidents et critiquée par ces défenseurs sélectifs des libertés fondamentales ? Le combat va-t-il connaître un renouvellement en s'intéressant aux éventuelles dérives dans le monde politique ?

Notes

(1) Cour européenne des Droits de l'Homme, 30 juin 2011, affaire Association les Témoins de Jéhovah c. France.
(2) Bercy doit « exiger » que les Témoins de Jéhovah paient (parlementaires), AFP, 7 octobre 2004.
(3) RTL Midi, RTL, 19 mai 2011, 12h30.
(4) La Croix, 30 mai 2011.
(5) Journal officiel, Assemblée nationale, Questions, 24 janvier 2012, n° 118 631, p. 832.
(6) Motion de rejet, opposant la question préalable à la délibération de la proposition de loi, Sénat, 10 janvier 2012, texte n° 43 ; Motion de rejet, opposant la question préalable à la délibération de la proposition de loi, Sénat, 20 février 2012, texte n° 77.
(7) Rapport n° 224 fait au nom de la commission des lois, M. Jean-Pierre MICHEL, 21 décembre 2011.
(8) Conseil constitutionnel, Décision n° 2012-649 DC du 15 mars 2012.
(9) Loi Warsmann : le Conseil constitutionnel censure des dispositions mineures, ADFI Nord Pas-de-Calais Picardie, 16 mars 2012.
(10) L'Union, 29 mars 2012.