Traduction : Info-Palestine.net/JPP

Quelque 70 000 livres ont été dérobés dans les maisons vides des Palestiniens fuyant en 1948. Ces livres, dont certains se trouvent actuellement à la Bibliothèque nationale d'Israël, attestent d'une tentative de destruction de toute une culture.
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Le pillage des livres, conjugué à la destruction des centres urbains palestiniens,
représente la destruction de toute une culture et un résultat important de la guerre de 48.
Juin 1948 : des soldats israéliens s'avancent dans un riche quartier arabe, aujourd'hui quasiment désert, dans l'ouest de Jérusalem. Les soldats sont suivis par plusieurs bibliothécaires de la Bibliothèque nationale. Des tirs sporadiques se font entendre. Les hommes se plaquent aux murs alors qu'ils arrivent dans une rue bordée de maisons cossues, vides de leurs habitants qui les ont quittées en hâte. Forçant leurs portes, maison après maison, les bibliothécaires « récupèrent » des bibliothèques entières dans des boîtes chargées ensuite dans des camions. La même scène se répète dans tous les quartiers arabes de l'ouest de Jérusalem, et plus tard, dans Haïfa, Jaffa, Nazareth et partout ailleurs. Au total, 70 000 livres palestiniens ont été « récupérés » de cette manière.

En 1948, après le rejet arabe de la résolution de partition des Nations-Unies de novembre 1947, le nouvel État d'Israël s'est servi de sa force militaire pour s'emparer du maximum de terres qu'il a pu - des terres qui devaient former initialement l'État arabe -, et a nettoyé les territoires nouvellement occupés de leurs habitants arabes. A l'époque, ce pillage des livres ne paraissait que secondaire à côté des principaux évènements de la guerre. Mais considéré dans une perspective historique plus large, le pillage des livres, conjugué à la destruction des centres urbains palestiniens, représente la destruction de toute une culture et un résultat important de la guerre de 48.

Des milliers de livres ont été recyclés en papier tandis que d'autres ont été intégrés à tout ce qui avait déjà été rassemblé à la Bibliothèque nationale d'Israël, de sorte qu'il est impossible aujourd'hui de les retrouver. Quelque 6000 de ces livres ont finalement été répertoriés comme étrangers et confiés au Département des Études orientales de la Bibliothèque nationale, bien qu'ils soient en principe toujours à la charge du Dépositaire des Biens des Absents. Le sort de ces livres ressemble beaucoup à celui du peuple palestinien : retirés illégalement de leurs foyers, expulsés et déclarés étrangers dans leur propre pays. Chaque livre porte l'étiquette « AP » (bien abandonné).

Ces livres sont le point focal d'un projet à multiples facettes, « Le Grand Vol des Livres ». En 1997, Benny Brunner était le premier directeur de production à faire un documentaire dévoilant l'histoire de la Nakba, le mot arabe pour « catastrophe » utilisé pour décrire la destruction et l'exil que les Palestiniens ont subi en 1948. Aujourd'hui, Brunner est le premier à produire un documentaire sur le pillage méthodique des 70 000 livres palestiniens durant la guerre de 1948. Tout comme la Nakba est maintenant partie intégrante du discours international sur la Palestine, l'importance de la préservation de la culture palestinienne est cruciale pour le débat. Dans la bande-annonce du film, Nasser Eddin Nashashibi, l'un des vrais propriétaires des livres, raconte ce que leur perte signifie pour lui. « J'ai assisté à cela avec un énorme... chagrin. Une œuvre de poésie, une peinture, une copie rare du Coran, manuscrite, ornée d'or. Comment pouvoir retrouver cela ?! »

Les inscriptions personnelles de Nashashibi peuvent encore être trouvées dans un livre qui aujourd'hui se trouve sur des étagères froides, stériles, de la Bibliothèque nationale. La bibliothèque numérique est une traduction des livres palestiniens « récupérés » tels qu'ils apparaissent sur le catalogue en ligne de la Bibliothèque nationale d'Israël. Elle documente 500 livres avec leurs titres, auteurs et noms de propriétaires, traduits de l'arabe en Anglais. L'objectif final est de lister tous les 6000 livres, dans un effort pour reconnaître et enregistrer leurs véritables origines. Enfin, le site est utilisé comme espace d'informations et de débats ; son « Forum » propose un espace aux universitaires, bibliothécaires, étudiants, journalistes, cinéastes et à d'autres, pour échanger des points de vue sur la préservation culturelle.

En 2006, le doctorant Gish Amit fut le premier à découvrir des documents attestant du pillage des livres. Amit a recherché les 6000 livres étiquetés AP et leur emplacement dans le Département des Études orientales de la Bibliothèque nationale. S'appuyant sur la théorie de l'Orientalisme d'Edward Saïd, Gish déclare que ces livres ont été « orientalisés », intégrés de force dans le concept construit de l'Orient. Ce projet vise à révéler non seulement le pillage qui a eu lieu, mais la véritable identité des livres. En exposant ce récit, le projet révèle un nouvel aspect de la Nakba.

Au cours des étés 2010 et 2011, j'ai voyagé en Palestine et en Israël, espérant en apprendre davantage, de première main, sur le conflit. Circulant à travers Israël, j'ai vu les ruines cachées de villages vestiges de la Nakba. En marchant dans Jaffa, j'ai remarqué des constructions aux fenêtres voûtées, marque d'une architecture arabe, aujourd'hui maisons israéliennes. La même chose s'est répétée à Jérusalem. Cependant, m'étant toujours concentrée sur la réoccupation des maisons et le transfert des personnes, je n'avais pas été consciente du pillage de dizaines de milliers de livres qui avait eu lieu ici, et je n'avais pas pris en compte l'importance de la préservation de la culture nationale palestinienne face à l'occupation israélienne. C'est justement ce que tente de faire Le Grand Vol des Livres.