L'Angleterre est frappé par un véritable scandale, celui de l'hôpital de Stafford. Depuis plusieurs années, une réforme d'envergure du système de santé anglais est en cours, visant principalement à en optimiser les coûts. Stafford est l'exemple caractéristique de ce type d'optimisation financière dans le domaine de la santé humaine, réalisée par un système centralisé et fonctionnarisé ayant réussi à écarter le corps médical et infirmier de la gestion hospitalière et dont le seul credo est l'atteinte d'objectifs sanitaires mesurables et la réduction des budgets passant par la mise en place de protocoles calibrés et la réduction du personnel hospitalier.Le scandale a éclaté il y a déjà plusieurs années, mais l'enquête sur les évènements qui se sont déroulés dans cet hôpital public entre 2005 et 2009 est seulement sur le point d'aboutir. Elle aura couté 13 millions de livres sterling mais aucun homme politique n'a cette fois tenté de couper les budgets tant l'Angleterre attend les conclusions avec impatience. Les révélations du rapport d'enquête qui dépasse dorénavant le million de pages, laissent pantois.
Au cours de ces 4 années, au moins 1200 patients sont décédés par manque de soin, par erreur médicale, ou absence totale de prise en charge de leur pathologie. Les auditions de 290 témoins ont révélé le quotidien des patients et du personnel hospitalier totalement dépassé : des patients affamés, assoiffés, deshydratés, dont certains expliqueront avoir bu l'eau des vases, des patients laissés dans leurs excréments des jours entiers, d'autres souffrant sans aucun antalgique, les sonnettes vibrant continuellement sans qu'aucun infirmier ne puisse se déplacer, absence de traitement pour certain, confusion et inversion des thérapeutiques pour d'autres. Des décisions thérapeutiques auraient été prises par des réceptionnistes laissés seuls aux urgences face aux malades qu'il fallait "trier", des médecins débutant devaient prendre en charge des patients lourds, et certain personnels infirmiers n'ayant pas été formés à l'utilisation des équipements, préféraient débrancher les moniteurs cardiaques plutôt que de laisser les alarmes sonner.
L'objectif de la direction de l'hôpital était de rentrer dans le cadre financier nécessaire à obtenir le statut de fondation au sein du NHS. Pour cela un équilibre financier drastique était réclamé. Une infirmière pour 20 patients, licenciement de 160 personnels infirmiers, et embauches d'assistants de santé non formés et payé au salaire minimum. Comment cela a t-il pu durer 4 longues années sans que personne n'intervienne? La réponse avancée à l'heure actuelle est la peur, la culture de la peur au sein de la hiérarchie du NHS. La santé humaine n'était plus l'objectif, seul la réduction des dépenses importait. Pour cela les ordres des gestionnaires descendaient vers le conseil de direction puis étaient appliqués à la lettre par les responsables, imposés aux cadres infirmiers, aux infirmiers et aux médecins sous la menace d'un licenciement immédiat. Le délai d'attente aux urgences ne devait par exemple pas dépasser 4 heures : pour atteindre cet objectif technocratique, des patients graves étaient abandonnés pour s'occuper de patients plus légers qui rentreraient facilement dans le cadre dicté par la gestion, les fiches des patients étaient falsifiées pour ne pas montrer que le temps imparti à une prise en charge médicale avait été dépassé, et dans certains cas les patients non vus étaient dirigés vers une "unité de décision clinique", ou ils allaient s'accumuler sans soin, mais en respectant la règle des 4 heures. Le personnel avait surnommé le service des urgences Beyrouth. La nuit le cauchemar s'envenimait encore, sans aucun sénior pour supporter les plus jeunes médecins abandonnés face à un hôpital à la dérive. Et cela a pu se poursuivre impunément pendant 4 longues années.
Pourtant dès 2007, alors que les statistiques de mortalité de l'hôpital explosaient, des membres du personnel ont tenté d'alerter : Une infirmière qui avait oser remettre en cause le fonctionnement de l'hôpital a été accusée de faute professionnelle. L'ensemble du personnel était soumis à une culture de l'intimidation et du harcèlement pour que les réductions de coût se poursuivent impunément, malgré les souffrances et les morts. Par exemple, quatre membre d'une même famille sont décédés dans cet hôpital : un enfant de 6 ans renvoyé chez lui après 48 heures d'hospitalisation où il est décédé 4 jours plus tard d'une pathologie cardiaque grave, une jeune femme de 37 ans dont le cancer n'avait pas été diagnostiqué, un homme de 48 ans suite à une perforation du colon pendant une opération et une personne âgée de 80 ans, morte affamée et déshydratée. Une autre femme enceinte a perdu son enfant lors de l'accouchement suite à l'administration d'un antalgique auquel il était noté dans son dossier qu'elle était allergique. Une seconde n'a pas eu le droit à aucune douche pendant les 4 semaines qui ont précédées son décès.
Toute la chaine décisionnaire, du conseil de direction de l'hôpital jusqu'au ministre de la santé, est éclaboussée par ce scandale, témoin moderne de ce que la gestion financière appliquée à la santé humaine est capable de générer. Ne croyons pas que l'hôpital de Stafford où cette politique aveugle a été appliquée à la lettre, soit un exemple isolé. Faire croire au public qu'il est possible d'obtenir une bonne médecine pour un coup faible est un mensonge manié par les responsables politiques de nombreux pays, y compris le nôtre. Les fonctionnaires ayant appliqué ce plan inhumain ont été promus, et l'hôpital a obtenu son accréditation : en récompense, le personnel hospitalier à reçu 25 livres sterling en bon d'achat. C'était en 2008, un an avant que la presse anglaise ne révèle la réalité sanitaire de Stafford. Aujourd'hui, le gouvernement a changé et les mots et les larmes de crocodiles manquent aux responsables politiques pour montrer au public anglais combien ce qui s'est passé à Stafford est "inexcusable", et "épouvantable". La réforme financière du NHS, elle, se poursuit pourtant. La réforme de la santé en France aussi...
SourceStafford Hospital: the scandal that shamed the NHS
Laura Donnelly The Telegraph 7:20AM GMT 06 Jan 2013
Neglect and indignity: Stafford hospital inquiry damns NHS failings
Denis Campbell, The Guardian, Thursday 1 December 2011 20.33 GMT
Commentaire : Royaume-Uni : nouveau scandale pour le système de santé public