manifestants contre les décès mystérieux de personnes hospiatlisés en France
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Que se passe-t-il avec nos morts ? La question se pose, sérieusement, en France, en 2013. Les légistes traitent trop souvent les morts comme le feraient des bouchers (et encore), mais pourquoi ? Impossible d'obtenir une enquête sérieuse sur ce qu'il advient des corps dans les morgues où des problèmes ont été repérés. Quant aux enquêtes concernant ces patients décédés mystérieusement une fois arrivés à l'hôpital, et que leurs proches peuvent retrouver avec des entailles sur tout le thorax, ne rêvons pas : elles n'existent pas.

On avait parlé il y a quelque temps de l'affaire Eliane Kabile, cette femme venue en 2001 à l'hôpital de Gonesse pour un problème à la cheville, et qui y est décédée quelques jours plus tard. Pour sa famille, impossible de mettre la main sur son corps : ce sont des morceaux corps d'enfants qui se trouvaient dans le cercueil lors de l'autopsie. Bien d'autres mésaventures ont attendu la sœur d'Eliane Kabyle, qui a eu le malheur de chercher à comprendre ce qu'il était advenu de sœur avant et après son décès.

Il semble en effet que dans certaines morgues, on réserve un étrange traitement aux cadavres.

En juin 2010, dans le quotidien La Dépêche, on pouvait lire un article évoquant le cas d'un homme qui s'est suicidé, mais pour lequel le Procureur a réclamé une autopsie, qui devait être effectuée à la morgue de l'hôpital Rangueil à Toulouse. Quand sa compagne veut voir le corps de son conjoint, pas moyen : on lui dit qu'on a « perdu le corps. On ne le retrouve plus », avant d'annoncer qu'il a été enterré le vendredi à la place de quelqu'un d'autre. Il a quand-même fallu six jours avant de découvrir cette « erreur » de lecture d'un numéro de corps.

Apparemment, on a refait les fonds de tiroirs suite à cette affaire, et on a retrouvé le corps d'un militant basque recherché par la police alors qu'il était depuis près d'un an à la morgue[1]. D'après ses proches, le cadavre était « abîmé », mais pour quelle raison, cela reste un mystère. Un autre cadavre séjournait dans cette même morgue depuis sept ans et demi. Cela pose question : pourquoi préfère-t-on payer pour conserver ces corps au lieu de les enterrer sous X dans l'espace des indigents, ce qui revient à beaucoup moins cher ? De fait, dix-sept corps dont ceux de deux bébés tués par infanticide étaient alors « en attente à l'institut médico légal à Rangueil », écrit le journaliste. Enfin, on a aussi retrouvé dans les sous sols de l'hôpital le corps momifié d'un homme d'une soixantaine d'années, probablement un SDF qui s'abritait là disait-on.

Si des gens cherchent un de leurs proches, ils peuvent quand-même d'appeler le procureur de la République à Toulouse pour êtres certains que la personne ne traîne pas dans les tiroirs de cette morgue.

Extrait journal_Un corps non recousu après autopsie
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A Lens, une femme qui a attrapé d'étranges maladies sexuellement transmissibles a fini par apprendre que son conjoint, brancardier, violait des cadavres de la morgue sans utiliser de préservatif. Bizarrement, le procès concernant les affaires de deux personnes dont les corps ont été anormalement traités à Lens a été annulé en juillet 2012. Hervé Louvrier, proche de l'une de ces personnes, a expliqué avoir reçu de nombreux appels de proches de personnes dont les corps ont été mutilés, non recousus et parfois perdus. Si l'l'institut médico-légal de Lens a été fermé fin 2008, les questions de ces familles restent sans réponse.

On interdit à des familles de voir les corps en leur présentant un cercueil déjà scellé, par exemple. Ainsi, Hervé Louvrier expliquait que suite à l'autopsie de son épouse, les pompes funèbres ont refusé de lui laisser voir le corps : « Ils ont dit que ma femme n'avait pas été recousue, que sa tête était posée entre ses jambes. Ses organes en vrac mis dans un sac-poubelle jeté dans le cercueil ». En outre, d'après certains témoignages, des organes sont parfois prélevés sur les corps, des personnes SDF sont conservées, des membres de cadavres sont éparpillés dans d'autres cercueils, cela « afin de récupérer des cercueils pour les revendre ! », insiste le journal L'Union. Pourtant, aucun de ces faits n'a été suivi de poursuites...

Marie-Christine Daugimont, la sœur d'Eliane Kabyle qui a monté une association de défense des citoyens face au traitement des corps de leurs proches, expliquait à l'Union au sujet de l'affaire de la morgue de Lens que « Nous avons mené notre propre enquête, rencontré des agents d'amphithéâtre qui ont même assuré que toutes les têtes étaient décapitées, que certains organes étaient systématiquement prélevés et qu'il y avait un risque que des corps aient pu être intervertis. ça concernerait 90 % des corps passés par la morgue de Lens, soit six cents à sept cents corps. Elle a finalement fermé suite à une visite inopinée des services de l'Etat en 2008. Les deux médecins légistes et les agents d'amphithéâtre ont été traduits en justice. Malheureusement, le 7 juin dernier, le tribunal de grande instance de Béthune a refusé de les juger décidant qu'il y avait prescription ». Même si au moins deux médecins légistes étaient coupables, les faits étaient prescrits.

Morgue
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Récemment, ce sont les cadavres de deux femmes âgées qui ont été échangés à la morgue. L'un devait être mis en terre mais il a été incinéré. Les corps ont été confondus à la morgue de l'hôpital Bichat à Paris, mais encore une fois les responsables de ladite morgue ne parlent que d'une « erreur ». Une « thèse réfutée par les trois personnes présentes lors du transfert de corps : l'employé de la morgue, le représentant des pompes funèbres et l'officier assermenté. En effet, tous auraient identifié le bon nom sur le bracelet », ajoutait la dépêche sur cette histoire.

Dans un autre style, on a ce thanatopracteur mis en examen pour avoir exercé sans licence depuis plusieurs mois, mais surtout pour avoir stocké sept cents litres de sang dans son garage. En l'espace de deux ans, mille quatre cents corps sont passés entre ses mains, ce qui représente environ sept mille litres de sang et des dizaines de litres d'autres substances organiques... Le quotidien local Midi Libre s'interroge : « Mais qu'aurait-il donc fait des milliers d'autres litres restants ? Sachant que la profession a l'obligation de faire incinérer le sang comme les substances organiques selon un protocole très précis. Pourtant, l'homme n'aurait aucun contrat avec aucune société compétente, ni document pouvant attester qu'il a fait détruire ces déchets auprès d'une société d'incinération ou un crématorium ».

Quand la broyeuse passe

Toutes ces affaires pourraient, à la rigueur, sembler anodines. Mais, quand on entend la succession d'événements qui ont permis d'étouffer ces affaires, notamment l'affaire Eliane Kabile, on reste perplexe.

Depuis douze ans, Marie-Christine Daugimont cherche à comprendre : qu'est-il arrivé à sœur. Et à son neveu, dont le corps a subi le même sort. En douze ans, aucune procédure n'a abouti alors que les incohérences dans le dossier, ne serait-ce que le dossier médical, sont flagrantes.

Extrait journal_Morte deux fois autopsiée trois fois
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Par exemple : pourquoi a-t-on fait une dizaine de prises de sang par jour durant les neuf jours d'hospitalisation d'Eliane Kabile, alors qu'elle est venue à l'hôpital de Gonesse pour un problème à la cheville[2] ? Et pourquoi cette ponction de moelle au sternum, sans anesthésie ? Sans parler des autres examens, tout aussi incongrus.

Pourquoi serait-elle allée dans cet hôpital pour un « problème de sang », devenu une leucémie, alors que l'établissement ne prenait pas en charge cette pathologie ?

Pourquoi, lorsque sa famille vient la voir à l'hôpital, Eliane Kabile est-elle intubée, ayant l'air de respirer alors que l'encéphalogramme était totalement plat ? Et pourquoi avait-elle une énorme cicatrice sur tout le thorax ? Aucune opération n'était prévue à cet endroit.

Pourquoi deux infirmières ont-elles « débouché » (éviscéré) Eliane Kabile alors que sa sœur se trouvait encore dans le couloir, à quelques mètres de la chambre d'Eliane, dans laquelle l'opération s'est déroulée ?

Pourquoi le service de médecins interne contredit-il les rapports d'autopsie (qui, certes, n'étaient pas réalisées sur les bons corps) ?

Pourquoi la première autopsie mentionne-t-elle une personne de couleur blanche, alors qu'Eliane Kabile était Noire ? Pourquoi ni le poids ni la taille ne correspondent-ils ?

Pourquoi, lors de cette deuxième autopsie à laquelle elle a assisté, Marie-Christine Daugimont a-t-elle vu « une cage thoracique d'enfant de quatre ou cinq ans », mais aussi de deux petits foies « frais », pas du tout dans l'état dans lequel ils auraient du être deux ans après le décès, pourquoi cette matière étrange dans le fond du cercueil ? Pourquoi cette « impression qu'on avait brûlé ces corps à l'acide » ? Pourquoi ce crâne mou avec les yeux brûlés et une fausse mâchoire emboîtée ?

Pourquoi à chacune des quatre autopsies, ce sont des corps différents qu'on trouvait dans le cercueil d'Eliane Kabile ?

Pourquoi deux cercueils au nom d'Eliane Kabile ont-ils circulé le jour de l'une des autopsies, l'un pour un aller et retour de l'Hôpital de Gonesse à l'Institut Médico légal (ILM) de Garches, l'autre pour un aller et retour également, mais de Villetaneuse jusqu'à l'ILM de Garches ? Deux corps au nom d'Eliane Kabile sont sortis ce jour-là du cimetière.

Et que venait faire « Me Collard » dans cette histoire, lui qui n'est jamais venu plaider (mais a réclamé des honoraires comme si cela avait été le cas) ?

Pourquoi la date de décès officielle est-elle le 13 février 2001, alors que le médecin traitant d'Eliane Kabile a reçu le 9 février un courrier déclarant le décès de sa patiente ?

Six avocats en douze ans, des économies englouties en frais judiciaires, des problèmes administratifs incompréhensibles, une famille détruite, un fils qui a subi deux mois d'internement psychiatrique avec un traitement médical aberrant pour un jeune homme normal de vingt-huit ans, sorti quelques instants se promener [3], et plus aucune procédure possible à moins de trouver des « éléments nouveaux ». Attention : « éléments nouveaux » pour la justice signifie « des éléments autres que ceux que nous avons refusé d'examiner la fois précédente ». Car, les juges, en France, ont le « pouvoir d'appréciation », c'est-à-dire qu'ils peuvent ne pas tenir compte de certaines pièces qui les dérangent, et mettre en exergue celles qui les arrangent, cela bien sûr sans avoir à le justifier... Avec ça, bonne chance pour lutter contre la broyeuse, pardon : la justice.

Et en douze ans, Marie-Christine Gudérat n'a pas eu le moindre début de réponse à toutes ces questions, et à bien d'autres.

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« Cela touche surtout les pauvres qui n'ont pas les moyens de se défendre », explique Marie-Christine Daugimont. C'est peut-être pour cela que tout le monde s'en moque ?

Il est intriguant de constater que finalement, en France, en 2013, on met qui ont veut dans un cercueil, sous n'importe quel nom. Avec n'importe quels « morceaux » de corps, y compris des enfants, jetés dans le tas. Et de voir des gens qui arrivent en parfaite santé à l'hôpital, puis se dégradent, et meurent découpés en morceaux sans qu'on ne retrouve trace du corps.

Que d'autres restent à la morgue plusieurs années, sans que cela ne pose problème...

Notes

[1] Bizarrement, personne n'a fait le rapprochement avec les nombreux avis de recherche placardés dans la région, et personne n'a cherché à l'identifier, par exemple en prenant ses empreintes digitales. Son corps a été retrouvé onze jours après sa disparition, dans le centre de Toulouse, et emmené à Rangueil. En outre, cette morgue avait répondu négativement à la demande du procureur pour savoir si le corps de ce militant se trouvait dans l'une d'elles. A-t-il été conservé ainsi parce qu'il se promenait avec une grosse somme d'argent sur lui ? Ou parce que, comme le pensent ses amis, il a été liquidé par la police espagnole ? L'enquête sur la mort de ce militant a été classée sans suite il y a un mois.

[2] Mais étrangement son médecin traitant lui a demandé de séjourner à l'hôpital où il lui avait réservé une chambre, cela disait il pour un problème sanguin. Sauf qu'à peine un mois plus tôt, Eliane Kabile avait subi des examens et on n'avait rien trouvé d'anormal. Etait-ce l'instinct ? Eliane Kabile ne voulait pas y aller.

[3] Un cocktail détonnant administré sans aucune raison (ni aucun antécédent psychiatrique, d'ailleurs) et à une dose de cheval, il y a quatre ans de cela et pendant deux mois, à ce jeune homme : 40 gouttes de Théralène (somnifère), 40 de Rivotril (contre l'épilepsie), 1 comprimé d'Akineton (contre les symptômes et la maladie de Parkinson), 350 gouttes d'Haldol (antipsychotique, utilisé par exemple contre la schizophrénie, qui « à faible dose », nous dit Wikipedia, « est efficace pour contrôler les sautes d'humeur et les hallucinations ». Mais 350 gouttes, ce n'est plus des « faibles doses ») par jour, 150 grammes de Tercian (contre la psychose), du Risperdal (contre la schizophrénie). Depuis, il est complètement déphasé, ne communique plus, le fait plus rien, reste dans le noir et a peur d'être agressé. Et il ne serait probablement pas sorti si sa famille n'avait pas fait intervenir un avocat. Là, l'hôpital l'a laissé dans la nature, en ville et incapable de se repérer.