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L'Accord National Interprofessionnel du 11 janvier, s'appellera désormais loi Sapin, ou loi de sécurisation de l'emploi. Cet « ANI » permet, en France, depuis le 1 juillet 2013 de faire baisser les salaires, et de licencier plus facilement. Focus sur quelques uns des 28 points de cet accord de flexisécurité, aux contreparties plus que douteuses, que le MEDEF n'avait pas pu faire passer sous Sarkozy, et qui l'a été sous Hollande !

Cette loi a été définitivement adoptée le 14 mai 2013, dans un silence quasi absolu, alors qu'elle consacre un recul sans précédent des droits des travailleurs, en attaquant la « sécurité » apportée par le CDI. Un accord qui n'attend plus que des décrets d'applications !

Comment l'esprit du temps transforme l'esprit des lois

La finance dirige le monde et quand Goldmann Sachs s'exprime en demandant à ce que les salaires des français baissent de 30 %, Hollande s'exécute, sous la tutelle de la commission européenne.

Car Barroso qui a reçu Hollande il y a peu pour lui accorder du temps pour résorber les déficits, le lui a accordé à plusieurs conditions : une réforme du marché du travail, une réforme du système de retraite et enfin la libéralisation des marchés des biens et services. Une vraie bombe a retardement, car libéraliser les services, c'est attaquer de front 70 % de notre PIB : le retour de la directive Bolkestein !

Vous la voyez où la sécurité ?


On nous avait présenté, dans les médias, la fin de la négociation sur l'ANI, comme une victoire des salariés sur le MEDEF, avec la taxation des contrats courts. En réalité, alors que ces contrats précaires (CDD, temps partiel...) représentent 82 % des embauches désormais, seuls ceux inférieurs à un mois seront taxés, le reste en sera exclu : une paille au regard du volume global !

On promet aussi aux chômeurs des droits rechargeables à l'assurance chômage, si cela n'augmente pas le déficit de l'Unedic ! Alors qu'au moment ou cela a été signé l'UNEDIC (assurance chômage) perdait 5 milliards. (Notez cependant qu'avant la crise, en 2007 l'assurance chômage était excédentaire de 4 mds € environ). Une promesse qui n'engage que ceux qui y croient !

Les contrats à temps partiel ne pourront pas être inférieurs à 24 H, sauf si le salarié en fait la demande par écrit (mais oui bien sûr, ceux qui dégotent un emploi vont faire la fine bouche et exiger plus que ce qu'on leur propose déjà !).

Autre pseudo avancée sociale, une mutuelle d'entreprise sera accordée à tous les salariés...mais les entreprises ne devront pas la financer avant 2016 ! Demain il fera beau !

Enfin un compte personnel à la formation sera créé sur les cendres de l'ancien DIF (Droit individuel à la Formation). C'est peut être la seule chose intéressante dans tout ce fatras. Voilà pour la soit-disant sécurité pour les salariés.

La flexibilité on la voit mieux !

Le patronat a obtenu la mobilité interne forcée : auparavant, on ne pouvait vous forcer à aller travailler dans un établissement éloigné, que si vous aviez une clause de mobilité sur votre contrat ; désormais c'est terminé ! Si votre employeur veut vous imposer de changer de site, il le pourra et si vous refusez, ce sera un motif légitime de licenciement ! Adieu la sécurité du CDI !

Bravo à la CFDT, la CFTC et la CGC qui ont permis que cela devienne possible !

Mais la plus grosse victoire réside sans conteste dans les accords de maintien dans l'emploi : les patrons associés à des syndicats dits « majoritaires » (au moins 30 % des votes) pourront s'entendre pour faire baisser les salaires ou négocier une hausse du temps de travail (sans hausse de salaire évidemment). Dans leur grande mansuétude les négociateurs ne toucheront pas aux salaires inférieurs à 1200 €.

En contrepartie l'employeur s'engage à ne pas licencier pour une durée de deux ans. Mais comme la loi ne dit pas si ce genre d'accord pourra être reconductible, potentiellement le cirque pourra continuer ! Par la suite, quand la situation ira mieux, un partage des bénéfices sera organisé... quand les poules auront des dents !

Pour définir l'ordre des licenciements, on prenait en compte, la situation de famille, l'âge, l'ancienneté... La compétence des salariés sera désormais privilégiée (si rien n'existe dans la convention collective) : la direction pourra désormais choisir subjectivement, et gardera les plus dociles ! Une autre protection qui saute !

Dans une procédure individuelle de licenciement, si le motif invoqué par l'employeur était imprécis, cela donnait auparavant faute de forme et donc déboutais l'employeur. Désormais cela vaudra comme absence de motif, et aboutira quand même au licenciement du salarié...

Les patrons n'aiment pas le risque ; alors une procédure aux prud'hommes cela peut signifier un risque financier s'il faut indemniser un salarié revendicatif. Pour faciliter la conciliation prudhommale, des barèmes seront mis en place, qui permettraient aux employeurs d'avoir des sommes « connues » à l'avance, à verser aux salariés dans la phase de conciliation (amiable), peu importe l'infraction qu'ils auraient commise. Notre conseil : ne pas concilier et aller au bout. « Quand on est dans son droit on ne faiblit pas », une des citations que j'ai retenu du Menhir !

Comme toutes les infractions des employeurs coutent aux entreprises, ils ont négocié une réduction des délais de prescription lors des contentieux aux prud'hommes : auparavant, on pouvait poursuivre son employeur sur 5 années. Désormais ce sera 36 mois pour les litiges sur les salaires et 24 mois sur les contrats de travail. Une incitation de plus à frauder contre les salariés, puisque derrière il y aura quasi impunité !

Le CDI intermittent... voilà l'objectif final !

Les patrons pourront aussi expérimenter, pendant un an, le CDI intermittent pour les intérimaires : un contrat de mission à durée indéterminée qui permettrait de fidéliser les intérimaires en leur garantissant un accompagnement et une rémunération entre deux missions.

L'ensemble de ces mesures est quasi unanimement désigné comme une régression sociale sans précédent en France ; même certains patrons l'admettent ! Il s'agit ici de détruire les protections autour du contrat de travail car le stock d'emploi est constitué à 91% de CDI. Si on arrive à fragiliser ce stock de travailleur, on renforcera alors la précarité et la vulnérabilité de toute une population.

Le rouleau compresseur libéral avance sur les ruines de la défense des travailleurs, mais aussi sur les ruines de la cohésion communautaire « nationale ». Bravo la théorie libérale, bravo la rigueur patronale, syndicale et gouvernementale !!!

Ainsi continue la destruction programmée du salariat, ce statut « protecteur » des salariés (même si cela n'est pas la panacée). Mais rien n'est terminé, cela va s'amplifier, car il faut bien en être conscient, Hollande va chercher ses consignes à Bruxelles ; Olli Rehn, le commissaire européen chargé des affaires économiques et monétaires dit au gouvernement français ce qu'il doit faire... Sil veut rester en place !

Article de Roberto Fiorini initialement publié dans le Magazine Terre et Peuple n°57 - Automne 2013