L'Europe traverse une crise socioéconomique profonde, et le nombre des personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté a, selon les statistiques officielles, dépassé les 84 millions d'individus. Selon les dernières données de la Commission européenne, 26 millions de personnes sont toujours sans emploi dans l'UE.

Et il s'agit là des chiffres officiels, qui ne prennent pas en compte le grand nombre de migrants illégaux. Selon l'ONG Oxfam, aujourd'hui les 10 % de personnes les plus riches de l'Union européenne possèdent 24 % du total de ses richesses, contre 3 % pour les 10 % d'individus appartenant à la catégorie des plus pauvres. Une telle stratification sociale amène à penser à l'émergence d'un nouveau Moyen Age européen. Les pays qui se trouvent actuellement dans une situation difficile réussiront-il à éviter l'explosion de troubles sociaux et la radicalisation de leur société ?

La paupérisation de la population en Europe est une tendance qui s'accentue. En effet, dans le cadre de la politique d'austérité, les prestations sociales sont réduites, et des programmes de plusieurs milliards visant à venir en aide aux plus démunis sont suspendus. L'initiateur des mesures les plus drastiques est l'Allemagne, pourtant si fière de son statut d'« Etat providence ». Nous assistons en fait à la marginalisation de l'Europe : sur fond de hausse du nombre des migrants et d'augmentation du chômage, les forces d'extrême- droite se consolident et le niveau de vie baisse inévitablement. « Dans certains des pays les plus touchés par la crise, nous observons une montée de l'extrémisme, de la démagogie et des préjugés. En stimulant la croissance économique, il ne faut pas oublier celle de la justice», selon Luca Jahier, président du Comité économique et social européen, dont les propos sont relayés par l'agence ITAR- TASS. Pendant ce temps, seuls 31 % de la population de l'Union européenne croit aujourd'hui en l'idée d'une Europe commune.

Selon les estimations de la Commission européenne elle-même, le processus de sortie de crise en Europe pourrait se prolonger encore durant les 10 prochaines années. Cela indique que dans les années à venir, la situation ne devrait pas s'améliorer, estime Boris Chmelev, directeur du Centre de politique étrangère de l'Académie des sciences de Russie :

« Tout ce qui se passe actuellement en Europe est très mal vécu par la population. Les perspectives des citoyens européens sont à présent réduites. Personne ne sait ce qui l'attend demain ou le jour suivant. Cela provoque une certaine irritation, et des sentiments xénophobes dans de nombreux pays, qui voient dans les étrangers qui travaillent chez eux des concurrents qui leur retirent le pain de la bouche. Et cela, bien sûr, affecte l'équilibre des forces politiques dans ces pays. Toutes les institutions démocratiques en Europe subissent aujourd'hui une forte pression. »

Boris Chmelev estime que le système de protection sociale dans les grands pays de l'UE permet d'amortir le choc, mais jusqu'à un certain degré. Et avec la montée du mécontentement et la progression des mouvements d'extrême-droite, ce n'est pas seulement l'avenir de l'UE qui est en jeu mais aussi celui du système démocratique dans son ensemble. Les pays européens en faillite - la Bulgarie, la Grèce, l'Espagne - sont les plus exposés aux dangers de troubles sociaux. Cependant, dans ces pays, on est plus habitué à la pauvreté qu'en France ou au Royaume-Uni, d'ordinaire plus à l'aise. Or ce dernier a déjà annoncé l'organisation d'un référendum pour sortir de l'UE.

Mikhaïl Krylov, expert en économie et directeur du département d'analyse chez United Traders, est optimiste dans ses prévisions. Il estime que l'on est loin des émeutes alimentaires en Europe, et que l'économie a déjà donné des signes de reprise. Cependant, il reconnaît que cette croissance ne touchera que les pays les plus solides de l'UE :

« L'Europe, dans l'avenir, se prépare à faire face à une croissance inégale, et peut-être à un débat sur l'intérêt du maintien de la zone euro, débat qui n'est cependant pas nouveau. Et je dois dire que le fait que cette zone se soit construite en réponse aux intérêts de l'Allemagne n'est pas un danger pour elle, car l'Allemagne a justement intérêt à sa conservation. »

L'explosion sociale peut être évitée dans les pays où la classe moyenne est le garant de la stabilité, selon Tatiana Razumova de la Faculté d'Economie de l'Université de Moscou. Mais il n'existe pas partout de classe moyenne suffisamment stable. Et en fin de compte le bien-être dépendra du développement économique. Cependant, on peut espérer qu'en raison de la crise, l'afflux de migrants va décroître et que les Européens se montreront moins exigeants dans le choix de leur profession, se substituant sur le marché du travail à une partie des migrants.

Les critères de pauvreté sont bien entendu différents en Europe et en Afrique. Mais la représentation du bien-être et du niveau de vie acceptable dans une ville européenne et dans un village africain sont tout à fait comparables. Les sentiments d'humiliation et de privation sont les mêmes dans les deux cas. Les Européens accepteront-ils cet état de choses ? Lors des élections au Parlement européen, qui se tiendront en mai 2014, on assistera sans doute à une manifestation record de l'apathie politique intégrationniste des Européens.