Crimean parliament
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Les habitants de la péninsule ukrainienne de Crimée votaient massivement dimanche pour son rattachement à la Russie, les autorités séparatistes prédisant d'ores et déjà une participation record.

Le référendum, dénoncé tant à Kiev qu'en Occident, se déroule en présence de troupes russes qui contrôlent la région depuis deux semaines aux côtés de milices séparatistes.

A Sébastopol, ville historique qui accueille la flotte russe de la mer Noire depuis plus de 200 ans, les électeurs ont afflué massivement aux urnes dès le petit matin. Comme dans un bureau de vote où plusieurs dizaines d'électeurs ont voté en une seule demi-heure, a constaté une journaliste de l'AFP.

A Bakhtchissaraï, "capitale" de la communauté musulmane tatare de la Crimée dont les leaders ont appelé à boycotter la consultation, les Tatars étaient invisibles dans la rue. Seuls les Ukrainiens d'origine russe votaient avec enthousiasme, ravis de se débarrasser bientôt de leur passeport ukrainien et espérant vivre mieux après les subventions de Moscou.

Le président du Majlis, l'assemblée des Tatars de Crimée, Refat Tchoubarov, a réitéré son appel au boycottage qualifiant le référendum de "spectacle de cirque" et invitant tant les Tatars que "leurs voisins" à ne pas y participer.

Une nouvelle ère

La veille, les Tatars avaient adressé une résolution au Parlement ukrainien, déclarant qu'en tant que seul peuple autochtone de la péninsule ils avaient le droit à l'autodétermination, qu'ils veulent "exercer à l'intérieur des frontières d'un Etat ukrainien indépendant et souverain".

"C'est un moment historique, tout le monde sera heureux", a lancé à la presse le premier-ministre pro-russe de la Crimée, Serguiï Axionov, après avoir voté à Simféropol. "C'est une nouvelle ère qui commence", a-t-il affirmé, pendant qu'un homme agitant un drapeau ukrainien était repoussé par les gardes.

Alors que des troupes russes et des milices pro-russes sont déployées en Crimée, le 1,5 million d'électeurs de cette république autonome est invité à choisir entre l'intégration à la Russie et une autonomie élargie au sein de l'Ukraine.

A Sébastopol, Aleftina Klimova, née en Russie, a eu du mal à dormir. "Je m'attendais à ce que les Etats-Unis, la France, eux tous, soient contre. Je craignais pour (le président russe Vladimir) Poutine. Mais il a su résister", a-t-elle poursuivi.

Dans une péninsule majoritairement peuplée de Russes, rattachée il y a soixante ans sur décision de Nikita Khrouchtchev à une Ukraine qui a toujours semblé lointaine à de nombreux habitants, une large majorité va certainement se prononcer en faveur d'une union formelle avec la Fédération de Russie.

Blindés et lance-roquettes russes

La question posée donne aux électeurs le choix entre "la réunification avec la Russie comme membre de la Fédération de Russie" ou le retour à un statut, datant de 1992 et jamais appliqué, d'autonomie élargie vis-à-vis de Kiev.

Le chef de la diplomatie allemande Frank-Walter Steinmeier a dénoncé une situation "extrêmement dangereuse", et promis une "réponse" lundi de la part de l'Union européenne si la Russie ne renonçait pas à ses projets à la dernière minute.

Les autorités sécessionnistes sont arrivées au pouvoir à Simféropol après la destitution à Kiev, le 22 février, du président pro-russe Viktor Ianoukovitch et à la faveur d'un coup de force monté par des civils pro-russes en armes et des milliers de soldats russes.

Venus de la base maritime de Sébastopol, à la pointe sud de la péninsule puis entrés en Crimée en colonnes blindées depuis le territoire russe, ils assiègent dans les bases militaires et les lieux stratégiques de la péninsule les soldats ukrainiens restés fidèles aux autorités de Kiev.

Le vice-Premier ministre ukrainien Vitali Iarema a dit craindre une invasion de l'Ukraine continentale en affirmant que des lance-roquettes multiples Grad avaient été installés en Crimée près de la frontière avec la région de Kherson dans le sud de l'Ukraine.

A Kiev, l'homme de la rue - ou plutôt du Maïdan - craint la guerre

"C'est une possibilité", dit un membre des groupes d'autodéfense du Maïdan, Vasyl Petrachthouk. "Poutine verra que nous ne sommes pas prêts à nous écarter de son chemin. Aujourd'hui il prend la Crimée, demain il voudra prendre Donetsk, Kharkiv, pas à pas. Il veut rétablir l'Union soviétique".

Dans l'est du pays, des manifestations pro-russes ont rassemblé dimanche des milliers de partisans d'un rapprochement avec Moscou à Donetsk, Kharkiv et Lougansk.

A Kharkiv, bravant une interdiction de la justice, quelque deux mille manifestants pro-russes ont réclamé une plus grande autonomie pour leur région, tout en déployant un énorme drapeau russe. Affichant leur nostalgie de l'ère soviétique, quand l'Ukraine et la Russie faisaient partie du même pays, ils ont accroché sur la statue de Lénine une banderole déclarant "Notre patrie = URSS".

Un rassemblement similaire d'un millier de personnes se tenait à la mi-journée à Donetsk. Les organisateurs ont lu une résolution de soutien aux autorités pro-russes de la Crimée.

"Nous sommes au courant des intentions du peuple de Crimée de rejoindre la Russie et nous l'appuyons, car la majorité des habitants du Donbass sont solidaires des Criméens dans cette aspiration", déclare notamment ce texte.

Crise diplomatique

Le bras de fer entre Moscou et Washington a viré à la pire crise diplomatique entre Russes et Occidentaux depuis la chute de l'URSS en 1991 et pourrait très durablement affecter les relations entre les grandes puissances.

Les premiers résultats préliminaires doivent être annoncés après la clôture des bureaux de vote à 20H00 (18H00 GMT). Mais à Sébastopol, des drapeaux russes étaient déjà distribués dans les rues. A Simféropol, l'annonce lumineuse "Nous sommes en Russie" était projetée sur un bâtiment officiel.