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© NPA Hérault
La construction à Marcoule du réacteur Astrid se prépare discrètement, et c'est cette année que l'Etat doit donner pour cela le feu vert. Or, il s'agit d'un réacteur destiné à relancer la filière plutonium, de la taille de près d'un demi Superphénix.
C'est très grave, il ne faut pas laisser faire. Six semaines après son élection, le président François Hollande aurait signé l'autorisation de poursuivre l'étude préliminaire à la construction du réacteur ASTRID, décision passée presque inaperçue, mais d'importance considérable.

Quel est l'enjeu ? La relance de la filière plutonium-sodium suite à Phénix et Superphénix, par la construction d'un réacteur dit de IVe génération ou surgénérateur, ou encore réacteur à neutrons rapides (RNR), avec comme combustible du plutonium associé à l'uranium "appauvri", et comme fluide caloporteur le sodium liquide qui explose au contact de l'eau et s'enflamme à l'air.


Ce réacteur d'une puissance de 600 MW (mégawatts), soit quasiment la moitié de celle qu'avait Superphénix, représenterait l'aboutissement de l'acharnement du CEA (Commissariat à l'Energie Atomique) à développer une filière « française », relativement autonome vis à vis des ressources en uranium, s'appuyant sur les stocks disponibles en plutonium et uranium, et la possibilité de régénérer du plutonium.

Il faut bloquer ce projet mais la bataille sera dure, et c'est cette année que cela se joue, le planning prévoyant que l'Etat donne son accord en 2014. L'enjeu pour le CEA est considérable, il ne reculera devant rien pour défendre "sa" filière qui implique la poursuite à la Hague du "retraitement" des combustibles usés pour en extraire le plutonium, et la construction de réacteurs utilisant ce combustible de la plus haute dangerosité.

Le CEA avait perdu la bataille contre EDF avec l'abandon de la filière graphite-gaz au profit de la filière Westinghouse à eau préssurisée (réacteurs PWR de la deuxième génération, et EPR de la troisième - tournant au fiasco). Cela s'était joué en 1969 et avait donné lieu à des grèves de protestation dans les centres et même à une grève de la faim.

Depuis le CEA a obtenu (arbitrage Rocard) d'imposer le combustible au plutonium (MOX) dans une partie des réacteurs (les 900 MW), et son influence reste suffisamment puissante pour imposer à l'Etat des investissements considérables pour le développement de la 4ème génération (Iter à Cadarache pour la fusion nucléaire, et Astrid).

La stratégie du CEA

Après les difficultés de fonctionnement et les nombreuses pannes de Phénix à Marcoule, et le fiasco de superphénix à Malville, il n'était plus possible de présenter officiellement cette filière comme celle qui assurerait l'avenir du nucléaire français. Les nucléocrates s'entêtant, ils s'appuient sur la loi n° 2006-739 du 28 juin 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs.

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© Dissident média
Ils prétendent développer le troisième volet de la loi "Bataille", c'est-à-dire celui de la "transmutation" des déchets radioactifs les plus encombrants à gérer. Ils obtiennent ainsi de l'Etat 650 millions d'euros dans le cadre de l'Emprunt National de 2010 (Sarkozy-Rocard), pour l'étude d'un avant-projet de construction à Marcoule du réacteur Astrid.

En effet officiellement, Astrid est destiné à montrer la capacité à « incinérer » le plutonium et ses voisins qui l'accompagnent, les actinides dits mineurs, atomes d'extrême radiotoxicité et de très longue vie (millénaires). On voit là la subtilité rassurante du langage, car on n'incinère pas des atomes comme des ordures, ils ne brûlent pas.

Par contre on peut les briser sous bombardement neutronique, c'est la « transmutation », générant de ce fait de nouveaux éléments radioactifs de durée de vie moins longue (siècles), avec inévitablement de nouvelles nuisances.

Où en est le projet ?

Tout laisse penser qu'un accord tacite existe pour progresser subrepticement. Le calendrier prévoyait avant fin 2012 un avant-projet phase 1, permettant à l'Etat de décider de la poursuite du projet, ce qui semble bien avoir été fait discrètement. Des terrains sont retenus jouxtant Marcoule (sur la commune de Susclan) ; un Institut de Chimie Séparative est créé pour trier les fameux atomes actinides à briser, et annonçant oeuvrer à la préparation d'un "nucléaire durable" ; dès maintenant Bouygues s'est mis sur les rangs pour la construction !

Le planning prévoit que fin 2014 l'avant-projet est finalisé et que l'Etat donne son accord, 2017 début de construction, pour mise en service au début de la décennie 2020. Des équipes bénéficiant d'un large financement travaillent donc à Saclay, Lyon, Cadarache et bien sûr Marcoule.

Elles nous préparent cet avenir i-radieux dont on ne veut pas, compte tenu des dangers encore plus importants qu'avec les centrales actuelles, d'autant que Marcoule repose sur une zone de risque sismique encadrée de deux failles actives supportant la poussée de la plaque Afrique, celle de Nîmes et d'Alès-Cévennes.

L'arnaque
Mais un rapport scientifique du Sénat avait déjà exprimé en 1999 que cette voie n'était pas crédible. La multiplicité des isotopes créés par les réactions nucléaires, et leurs difficultés à capter des neutrons pour être brisés, rendent très aléatoire cette technique (tout physicien sait que la section efficace de capture d'un neutron par un noyau instable de produit de fission est dérisoire).

La transmutation est, certes, une réalité physique, mais son utilisation à échelle industrielle se heurte à un obstacle économique rédhibitoire. Seule une partie des déchets serait ainsi transmutée à un coût exhorbitant, et impliquerait d'accompagner les réacteurs à eau de la construction en France de sept ou huit surgénérateurs pour briser une toute petite partie des déchets...

Cette arnaque destinée aux politiques permet de justifier le projet et un financement public. En effet, au-delà du prétexte officiel, le but inavoué est de relancer cette filière à laquelle travaille le CEA depuis plus de cinquante ans, avant que tous ses acteurs ne partent à la retraite, et ainsi de la sauver. Il s'agit bien d'une duperie, duperie lourde de conséquences.
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© Wikimedia - Superphénix -
Mais l'arnaque est dénoncée par l'ASN (autorité de sureté nucléaire)

Dans son avis du 4 juillet 2013 sur la transmutation des éléments radioactifs à vie longue, l'Autorité de sûreté nucléaire écrit ceci :

"L'ASN considère que les gains espérés de la transmutation des actinides mineurs en termes de sûreté, de radioprotection et de gestion des déchets n'apparaissent pas déterminants au vu notamment des contraintes induites sur les installations du cycle du combustible, les réacteurs et les transports, qui devraient mettre en œuvre des matières fortement radioactives à toutes les étapes. (...)

En conséquence, l'ASN considère que les possibilités de séparation et de transmutation des éléments radioactifs à vie longue ne devraient pas constituer un critère déterminant pour le choix des technologies examinées dans le cadre de la quatrième génération."

Les doutes exprimés au Sénat, la réfutation par l'ASN de justifier la construction du réacteur de quatrième génération par la transmutation des déchets les plus difficiles à gérer, enlèvent au projet Astrid toute légitimité.

Et que dire de cet immense gâchis financier. La construction de Superphénix avait coûté dix milliards d'euros, et il en faudra peut-être autant pour son démantèlement. Les énormes crédits consacrés au nucléaire par l'Etat pourraient être mieux utilisés dans l'économie et la maitrise de l'énergie, le développement des renouvelables, et ainsi à la création de nombreux emplois.