Image
« Flower girl », de Banksy, en août 2013 à Los Angeles (REX/Julien’s Auctions/REX/SIPA)
La vidéosurveillance, c'est pratique quand on se fait voler son iPhone. Mais être arrêté car un logiciel juge nos attitudes suspectes ou reconnu par des panneaux publicitaires dans la rue, c'est une autre histoire.

Lorsqu'on évoque la reconnaissance faciale ou la vidéo-surveillance, les réaction vont de la moue sceptique accompagnée d'une réflexion pragmatique (« Bien pratique quand tu te fais tirer ton iPhone »), à l'écarquillement oculaire angoissé du gars qui a vu « Minority Report ».

Dans tous les cas ou presque, l'interlocuteur a conscience qu'il existe un risque de dérive orwello-kafkaïen.

Mais à peine évoqué, le cauchemar est rapidement balayé par son côté science-fiction et la confiance placée dans les pouvoirs publics pour nous en protéger.

Certaines technologies babillant dans les labos ou déjà en service sont pourtant en train de paver la voie. En voici quelques exemples.

1 Un logiciel capable de reconnaître (tous) les visages

Grâce à des algorithmes plus fiables que l'œil humain

Cela n'échappera pas à ceux qui ont suivi les révélations d'Edward Snowden : les services secrets anglo-saxons sont très friands de toute information vous concernant, à commencer par votre visage. Le programme Optic Nerve en est la triste preuve.

Entre 2008 et 2010, les renseignements américains et britanniques ont intercepté les images provenant des webcams de près de deux millions d'utilisateurs de Yahoo Messenger - peu importe si certaines de ces communications étaient de nature sexuelle.

L'objectif est évident : créer le plus grand outil de traçage jamais inventé. Pour cela, les États-Unis (et tout gouvernement suivant leur trace) ont besoin de trois choses :
  • un réseau de caméras étendu, avec un maillage le plus fin possible ;
  • une base de données rassemblant l'empreinte faciale de chaque individu ;
  • un logiciel capable d'analyser en temps réel les images et les lier avec les profils établis.
Work in progress

Le réseau de caméra est déjà en place et s'agrandit rapidement, justifié tantôt par la lutte contre le terrorisme, tantôt par l'insécurité croissante. La base de données se construit peu à peu, en croisant des informations publiques, en faisant jouer les obligations légales des réseaux sociaux envers le gouvernement, ou en leur arrachant illégalement (le programme Optic Nerve, par exemple).

Le défi principal restait de bâtir un algorithme suffisamment performant pour devenir le moteur efficace de cette machine de surveillance.

Le business de la peur dopant les labos, ceux-ci ont fait des avancées spectaculaires dans le domaine de la reconnaissance faciale. A titre d'exemple, l'entreprise Cognitec propose un logiciel de reconnaissance qu'elle affirme fiable à 98,75%, un taux qui a bondi de 20% en moins de dix ans.

2 Un trombinoscope planétaire

Signé les géants du Web

En 2012, Facebook rachetait Face.com, une start-up israélienne spécialisée dans les logiciels de reconnaissance faciale. Peu étonnant, venant d'un réseau qui est né d'un trombinoscope d'étudiants se notant entre eux sur la base de leur photo de profil, et décidant qui est « hot or not ».

L'entreprise était par la suite restée plutôt silencieuse sur ses progrès dans le domaine. Une discrétion qui a duré jusqu'en mars dernier, lorsque Facebook a révélé (discrètement là encore) son système de reconnaissance faciale baptisé DeepFace.

Vous êtes tagué là. Et là. Et Là...

Testé sur quatre millions de photos extraites d'un « réseau social populaire », le logiciel est capable, sinon de mettre un nom sur un visage, de comparer deux images entre elles et d'en déduire si la personne se trouve sur les deux.

Taux de réussite : 97,25%, soit à peu près aussi bon que ce que pourrait faire l'œil humain.

Bientôt une recherche par visage sur Google ?

Google n'est pas en reste : la firme de Mountain View a, elle aussi, racheté plusieurs start-up spécialisées dans la reconnaissance faciale.

La tentation est forte, étant donné la quantité d'empreintes faciales à sa disposition en croisant services de vidéos (Youtube), banque d'images (Google Images), réseau social (Google+) et tous les terminaux tournant sur Android.

On imagine aisément que Google ait envie d'agrémenter à son moteur de recherche par image une recherche par visage. Une chose est sûr : elle n'ignore pas cette technologie. Histoire de ne pas paraître trop flippante, elle a testé son système sur des vidéos et images de... « lol cats ».

3 Votre nom taggué sur votre visage en temps réel

Pour ceux qui portent des lunettes connectées

Début 2014, le pire cauchemar des gens discrets et le rêve de tout voyeur s'est incarné (un bref instant) dans une appli : NameTag.

Le concept : une appli sur Google Glass pour analyser en temps réel les visages en ligne de mire, et chercher l'identité des personnes captées dans une base de données croisée (profil public Facebook, Twitter, etc.).

L'horreur ? Les créateurs de l'app voulaient aller encore plus loin, en révélant non seulement l'identité, mais aussi toute information publique récoltée - profession, âge, numéro de téléphone, etc.

Et si vous aviez le malheur d'avoir un casier judiciaire, disons pour agression sexuelle, celui-ci s'afficherait également (si vous êtes américain). Célibataire ? Pour peu que la personne soit sur un réseau de rencontre qui a des paramètres de « matching », pourquoi ne pas l'afficher aussi ?

« Le but n'est pas d'envahir la vie privée de qui que ce soit, mais de connecter des gens qui veulent l'être », s'est défendu son créateur, Kevin Alan Tussy.

Si vous ne le voulez pas, par défaut, vous le serez quand même.

Google fait barrage, pour l'instant

Soufflez un bon coup, l'app ne devrait pas voir le jour immédiatement. Face à l'hystérie déclenchée par la start-up, Google a réagi prestement, en déclarant son hostilité à ce genre de projets. Avec quelques réserves :
« Comme Google l'a affirmé depuis plusieurs années, nous n'ajouterons pas de reconnaissance faciale à nos produits sans avoir prévu de fortes garanties de respect de la vie privée.

Avec cela à l'esprit, nous n'approuverons pas d'application de reconnaissance faciale pour le moment. »
Rassurant ? Pas vraiment. La décision de Google n'est manifestement pas arrêtée, et clairement sujette à interprétations ou assouplissement quant aux « garanties ».

Rien n'indique en outre, en cas de succès des lunettes connectées auprès du grand public, que NameTag se tourne vers des concurrents moins regardants.

4 Les « précriminels » (vous ?) tenus à l'œil

Quand les caméras trouvent votre comportement suspect

Si le monde décrit par Philip K. Dick dans le film « Minority Report » est encore loin, l'ambition d'anticiper un comportement criminel, elle, est à nos portes. On appelle cela l'analyse prédictive comportementale, déclinée dans sa dimension criminelle.

L'idée est simple : certaines attitudes (tics, postures, gestes brusques, agitation, etc.) pourraient former les schémas récurrents et identifiables qui précèdent toujours la réalisation d'un acte criminel. Les caméras pourraient capter ces comportements « suspects » dans les lieux publics et communiquer votre signalement aux forces de police.

Pour une fois, pas besoin d'aller dans les couloirs des start-up de la Silicon Valley ou de la NSA. En Europe, ce projet a un visage et un nom : INDECT acronyme anglais de « Système d'information intelligent soutenant l'observation, la recherche et la détection pour la sécurité des citoyens en milieu urbain ».

Le projet a été lancé en 2009 sous le regard bienveillant (et le financement) de l'Union Européenne. Le but ultime est supprimer toute supervision humaine et de lier directement un algorithme prédictif (dont l'œil est le réseau de caméras) aux forces de police.

« Précrime » : adieu la présomption d'innocence

Si ses artisans se déclarent respectueux de la vie privée et de la présomption d'innocence, le premier pavé est posé sur un chemin nettement moins séduisant : on est à deux doigts du « précrime », la condamnation pour un crime à venir. Difficile à avaler, et pourtant on voit mal quelle autre utilisation on pourrait faire de pareille technologie.

Dans une longue enquête sur les systèmes de « précrime » à Chicago où, comme dans d'autres villes américaines, des technologies prédictives sont déjà effectives, le site américain The Verge s'interrogeait sans ambages sur le racisme que pouvait induire cette logique.

En cause : des « heat listes », ou listes noires recensant des individus susceptibles de commettre des crimes, et bâties sur un large panel de critères. L'auteur de l'enquête soupçonne, lui, que des critères ethniques puissent entrer en ligne de compte. La même logique peut évidemment s'appliquer à la vidéo-surveillance comportementale...

5 Les rassemblements vus de haut

Grâce à des drones invisibles

Les drones ont souvent décroché la une des journaux lorsque leurs modèles militaires bombardaient le Pakistan, quand leurs modèles pour enfants ornaient les vitrines de Noël ou lorsque leur modèles commerciaux promettaient de nous livrer nos colis chez nous.

On évoque moins la surveillance civile.

Pourtant, de petits drones équipés de caméras sont déjà capables de filmer des foules en haute résolution. La recherche américaine avance très vite en la matière, et il n'est pas exclu que ces engins soient très prochainement liés à des bases de données pour identifier en temps réel les visages capturés.

Sans même parler de nos démocraties, on peut facilement imaginer ce que de telles technologies auraient donné si elles avaient existé pendant les révoltes populaires en Tunisie ou en Egypte.

6 Des panneaux publicitaires qui savent ce que vous voulez voir

A condition que vous posiez les yeux sur eux suffisamment longtemps

Autre convergence inquiétante et invasive : la reconnaissance faciale alliée à la publicité ciblée. Cela donne des panneaux publicitaires ciblés.

Si vous pensiez les pubs personnalisées limitées à votre activité en ligne, vous avez tout faux. Demain, les panneaux publicitaires du métro vous reconnaîtront instantanément et diffuseront une publicité sur mesure.

C'est ce que propose à terme Amscreen, société de communication qui possède 6 000 écrans publicitaires au Royaume-Uni. Grâce à une petite caméra, son logiciel OptimEyes analyse en temps réel les réactions faciales des individus face à une publicité.

A terme, le but est bien de proposer une publicité taillée sur mesure pour qui pose les yeux suffisamment longtemps sur le panneau. D'abord selon des critères évidents (sexe, habits, âge...), puis, pourquoi pas, selon l'identité réelle de la personne.