Extrait de Strangers to Ourselves - Discovering the Adaptive Unconscious de Timothy D Wilson

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« Pourquoi les gens ne se connaissent souvent pas très bien (par exemple, pourquoi ne connaissent-ils pas bien leurs propres personnalités, les raisons de leurs sentiments, ou même les sentiments eux-mêmes) ? Et comment peuvent-ils accroître leur connaissance de soi ? Il y a sans doute de nombreuses raisons à ce manque de lucidité; les gens peuvent être aveuglés par leur orgueil (l'hybris est un thème cher aux grecs et à Shakespeare), être confus, ou simplement n'avoir jamais pris le temps d'examiner leurs propres vies et psychés avec attention. La raison tient au fait que ce que nous voulons connaître se trouve en grande partie en dehors de la perception consciente (...).

Les gens forment des « tendances de la pensée » habituelles qui ne sont pas conscientes, et ces schémas de pensées peuvent conduire à former des « préjugés inconscients, qui sont souvent plus forts que les préjugés conscients; et de ce fait plus dangereux, car nous ne pouvons pas nous en prémunir. » (...)

Il est donc peut-être inutile de chercher à examiner l'inconscient adaptatif en regardant vers l'intérieur. Il est souvent préférable de déduire la nature de notre esprit caché en tournant notre regard vers l'extérieur, sur notre comportement et la manière dont les autres réagissent par rapport à nous. (...)

En effet, il est prouvé que de trop regarder en soi est contre-productif. Nous verrons des données indiquant qu'un excès d'introspection par rapport à ses sentiments peut amener à prendre de mauvaises décisions et à être encore plus confus sur son ressenti. Pour être clair, je ne dénigre pas toutes les sortes d'introspection. Socrate n'avait que partiellement tort lorsqu'ils disait qu'une « vie sans examen ne vaut pas la peine d'être vécue ». La clé réside dans le type d'examen que les gens font, et dans quelle mesure ils cherchent à se connaître qu'en regardant vers l'intérieur, au lieu de regarder à l'extérieur leur propre comportement et comment les autres réagissent par rapport à eux. (...)

Notre propre comportement est une autre source d'information qui peut être très révélatrice. En étant les observateurs attentifs de nos propres actions, nous pouvons en apprendre beaucoup sur nous-mêmes. Il est très fréquent pour les gens de négliger les influences situationnelles de leurs actions et d'en déduire qu'ils ont agi sur la base de leurs états intérieurs - c'est d'ailleurs si fréquent qu'on appelle ce phénomène « l'erreur d'attribution fondamentale ».

Les gens ont développé d'innombrables défenses pour éviter de connaître leurs propres motivations et sentiments inconscients, dont certains (comme la sublimation) sont plus sains que d'autres (comme la répression, la formation réactionnelle, etc).

Le processus thérapeutique implique l'élucidation et le contournement des défenses malsaines, ce qui est difficile justement parce que les gens désirent fortement ne pas dévoiler leurs motivations et sentiments inconscients. (...)

Si les gens disaient toujours exactement ce qu'ils pensaient de leurs amis, ils n'en auraient pas beaucoup. (...)

Le terme « inconscient adaptatif » implique que la pensée non-consciente est une adaptation évolutive. La capacité d'évaluer nos environnements, de les désambiguïser, de les interpréter, et d'adopter un comportement rapide et de manière non-consciente confère un avantage de survie et a donc été sélectionné.

Nous sommes équipés d'un filtre non-conscient qui examine l'information captée par nos sens et qui décide de ce qui est admissible à la conscience.

L'inconscient adaptatif est donc plus qu'un simple gardien, choisissant les informations admissibles à la conscience. C'est également un maître de la manipulation (« spin doctor ») qui interprète l'information en dehors de la conscience.

Les défenses psychologiques sont souvent plus efficaces quand elles opèrent dans les recoins obscurs de nos esprits, nous empêchant de voir les distorsions effectuées. Si les gens savaient qu'ils changeaient leurs croyances juste pour se sentir mieux, le changement ne serait pas aussi convaincant.

Le conflit entre la nécessité d'être exact et le désir de se sentir bien dans notre peau est l'un des principaux champs de bataille du soi. Les manières par lesquelles cette bataille est menée et remportée déterminent fondamentalement qui nous sommes et comment nous nous percevons.

En d'autres termes, nous en savons moins sur notre propre esprit, et avons moins de contrôle que nous le pensons. Et pourtant, nous conservons une certaine capacité à influencer la façon dont nos esprits fonctionnent.

Nombre de tendances chroniques, traits de caractère, et tempéraments font partie de l'inconscient adaptatif - et les gens ne peuvent pas directement y accéder. Par conséquent, ils sont forcés de construire des théories sur leurs propres personnalités en se basant sur d'autres sources, comme ce qu'ils ont appris de leurs parents, de leur culture, et évidemment, des idées qu'ils aiment à avoir sur eux-mêmes.

En outre, les gens diffèrent par la fréquence avec laquelle ils reconnaissent leurs propres sentiments. En effet, l'une des définitions de l'intelligence émotionnelle est la capacité à reconnaître ses désirs, ses besoins, ses joies et ses peines. Certaines personnes arrivent à percer l'écran de fumée de leurs théories personnelles et culturelles, en reconnaissant quand leurs sentiments sont en désaccord avec ces théories et ces normes. D'autres personnes sont moins douées à en prendre conscience.

L'inconvénient d'un système qui traite les informations rapidement et efficacement, c'est qu'il est lent à répondre à des informations nouvelles et contradictoires. En fait, nous déformons généralement les nouvelles informations pour les faire correspondre à nos idées préconçues, ce qui fait qu'il est presque impossible de réaliser que nos idées préconçues sont fausses. (...)

On peut donc dire que la tendance de l'inconscient adaptatif à tirer des conclusions hâtives, et à ne pas changer d'avis devant des preuves contraires, est responsable de certains des problèmes les plus inquiétants de la société. (...)

L'inconscient adaptatif est un système ancien conçu pour examiner rapidement l'environnement et y détecter des schémas, surtout ceux qui peuvent présenter un danger pour l'organisme. Il enregistre facilement des schémas, mais ne les révise pas très bien; c'est une fabrique de déductions assez rigide et inflexible. Il se développe tôt et continue de guider le comportement à l'âge adulte. (...)

L'esprit humain est une réalisation incroyable, peut-être la plus étonnante de l'histoire de la Terre. Cela ne signifie pas, cependant, qu'il s'agit d'un système optimal ou parfaitement conçu. Notre connaissance consciente de nous-mêmes peut être assez limitée, à nos risques et périls (...) »