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© Pornchai Kittiwongsakul AFP


Coincées chaque jour des heures dans des bouchons, les contrôleuses de bus de Bangkok ont trouvé une solution radicale pour parer au manque de pauses pipi : porter des couches pour adultes. Malgré des années de croissance économique, de nombreux travailleurs manuels, éboueurs ou ouvriers, font les frais d'une urbanisation folle et des inégalités persistantes dans cette mégalopole de 12 millions d'habitants. Parmi eux, les contrôleuses de la flottille de bus vieillissants qui sillonnent une ville de plus en plus congestionnée, sans suffisamment de pauses pipi pour entrecouper des journées d'au moins dix heures.


Quand elle a eu une infection urinaire, Watcharee Viriya n'a guère eu d'autre choix que de commencer à mettre des couches pour adultes, pour tenir pendant ses longues heures de service sans pause, parfois six ou huit heures. "C'était inconfortable quand je bougeais, notamment quand j'avais uriné dedans (...). Quand j'arrivais au terminal de bus, je devais courir me changer", se souvient-elle. Elle a ensuite eu un cancer de l'utérus, causé selon son médecin par le "port de couches souillées et les substances remontant dans l'utérus", dit-elle. Alors que Bangkok n'est équipé que de quelques lignes de métro, nombre d'habitants dépendent d'un réseau complexe de bus, tuks-tuks, voitures individuelles ou motos pour se déplacer. Et Watcharee n'est pas la seule à avoir opté pour cette solution radicale pour pallier le manque de pauses toilette. Une étude récente a montré que 28 % des contrôleuses de bus à Bangkok avaient déjà porté des couches au travail.

Écart très important entre pauvres et riches

"Nous avons été choqués", commente Jaded Chouwilai, directeur de l'association Women and Men Progressive Movement Foundation, qui a réalisé l'étude. "Nous avons également découvert que nombre d'entre elles souffraient d'infections et de calculs urinaires", précise-t-il, évoquant aussi un taux élevé de cancers de l'utérus. Le fossé entre la classe ouvrière thaïlandaise et son élite est l'une des clefs de la crise politique de sept mois qui vient de secouer le pays, jusqu'à un coup d'État le 22 mai. Les manifestants, soutenus par les élites traditionnelles de la capitale selon les experts, dénoncent les politiques en faveur des plus pauvres lancées depuis 2001 par Thaksin Shinawatra, milliardaire ayant développé un système d'accès aux soins pour tous, entre autres programmes sociaux, malgré les accusations de corruption contre lui.

Les experts estiment que la Thaïlande a fait certains progrès dans la réduction des inégalités. Mais "même s'il s'est réduit, l'écart entre riches et pauvres est toujours considéré comme assez important", commente Somchai Jitsuchon, de l'Institut de recherche sur le développement de Thaïlande. En cause notamment un ascenseur social qui ne fonctionne pas bien, avec une bonne éducation qui n'est pas accessible à tous. Mais dans un pays sans tradition de grèves comme en Europe, les contrôleuses de bus de Bangkok se sont tournées vers des syndicalistes pour tenter de faire entendre leur voix, même si en tant qu'employées d'une entreprise publique elles n'ont pas le droit de cesser le travail pour faire entendre leurs revendications.

Conditions de travail exécrables

"Leurs conditions de travail ne sont pas bonnes", confirme Chutima Boonjai, représentante syndicale des employés des transports en commun de Bangkok. Dénonçant l'absence de pauses pipi comme de pauses déjeuner, elle demande que soient construites des toilettes supplémentaires le long des itinéraires de bus et au sein des terminaux. Les chauffeurs de bus ne sont pas non plus épargnés, poursuit-elle, des maux de dos aux cas d'hypertension en passant par des attaques cérébrales dues à la chaleur, dans ces bus non climatisés alors qu'en mai, saison chaude, la température a quotidiennement approché les 40 °C.

Les candidats ne se pressent pas pour devenir contrôleur de bus, avec une embauche au salaire minimum, soit 300 bahts par jour (moins de sept euros). Et l'arrivée des smartphones et autres nouvelles technologies, qui permettent aux usagers de commenter le fonctionnement des lignes de bus, n'a en rien amélioré leurs conditions de travail. "Si les gens ne sont pas contents, pour la moindre petite chose, ils peuvent se plaindre de notre service. Mais ils ne se soucient pas du bien-être des travailleurs", se désole Chutiwa.