Traduction : Jean-Jacques pour Vineyardsaker

Image
© Inconnu
L'Union européenne n'est plus aujourd'hui guidée par des hommes politiques ayant une conscience historique, une estimation réaliste de la réalité globale, ou simplement un sens commun en rapport avec les intérêts à long terme de ceux qu'ils dirigent. Si une quelconque preuve de plus devait être apportée, elle a assurément été apportée par les sanctions qu'ils ont acceptées la semaine dernière afin de punir la Russie.
Une façon de sonder leur folie consiste d'abord à commencer par les médias, car quelle que soit la compréhension ou l'implication que ces politiciens puissent avoir personnellement il doivent faire des choses correctes, qui sont surveillées par la TV et les journaux.


Dans la plus grande partie de l'Union européenne, la compréhension de la réalité globale depuis l'horrible destin des voyageurs à bord du vol de Malaysian Airlines, vient des médias de masse et de la TV qui ont copié le point de vue des médias de masse anglo-américains, et ont présenté des nouvelles dans lesquelles les insinuations et la calomnie se substituent à l'information normale. Des publications respectables, comme le Financial Times ou autrefois respectées comme NRC Handelsblad des Pays-Bas, pour lequel j'ai travaillé pendant seize ans comme correspondant en Extrême-Orient, non seulement se sont jointes à ce journalisme corrompu mais l'ont poussé à des extrémités démentes. Le mandarinat et les éditoriaux qui ont germé à partir de là ont été plus loin que tous les exemples précédents d'hystérie, alimentée pour des raisons politiques, dont je peux me souvenir. L'exemple le plus flagrant qui me vient à l'esprit, un dirigeant anti-Poutine dans The Economist Magazine ( 26 juillet) avait le ton de Henry V, dans Shakespeare, exhortant ses troupes avant la bataille d'Azincourt alors qu'il envahissait la France.

On devrait se souvenir qu'il n'y a pas de journal, d'audience européenne, qui pourrait représenter une sphère publique européenne, dans le sens d'un moyen qui permettrait aux Européens intéressés par la politique de débattre entre eux de l'un ou l'autre aspect des développement internationaux. Du fait que ceux qui s'intéressent aux affaires du monde lisent les éditions internationales du New York Times ou du Financial Times, les questions et réponses en matière de géopolitique sont, de façon routinière, formatées ou fortement influencées par ce que les éditeurs à Londres ou à New-York ont décidé être important pour eux. Penser que cela peut dévier significativement comme on peut le voir maintenant dans Der Spiegel, le Frankfurter Allgemeine Zeitung, Die Zeit et Handelsblad, ne sort pas des frontières allemandes. De là vient que l'on ne voit rien de tel qu'une opinion européenne s'intéressant aux affaires globales, même lorsque celles-ci ont un impact direct sur les intérêts de l'Union européenne elle même.

La population hollandaise a été rudement secouée par la complaisance générale concernant des événements mondiaux qui pouvaient l'affecter, à travers la mort de 193 compatriotes (avec 105 personnes d'autres nationalités) dans la destruction de l'avion abattu, et par les médias qui ont été prompts à suivre l'index américain pointé vers Moscou. Les explications qui, de quelque façon que ce soit, ne collaient pas avec la culpabilité du président russe étaient hors de propos. Cela était complètement contradictoire avec les sobres déclarations du premier ministre hollandais, qui subissait une pression considérable pour suivre la consigne, mais qui insistait pour que l'on attende les résultats d'un examen minutieux et la connaissance précise de ce qui s'était passé.

Les nouvelles télévisées que j'ai vues dans les jours qui ont immédiatement suivi avaient invité, parmi d'autres commentateurs anti-russes, des Américains têtes de file, liés aux néocons, pour donner des explications à une audience perplexe et bouleversée. Un spécialiste hollandais des affaires Étrangères expliquait que ni le premier ministre, ni son délégué, ne pouvaient aller sur le site du crash (comme l'ont fait des officiels malaisiens) pour récupérer les restes des citoyens hollandais, car cela reviendrait à une reconnaissance implicite du statut diplomatique des séparatistes. Lorsque l'Union européenne, en bloc, reconnaît un régime issu d'un coup d'État fomenté par les Américains, vous êtes diplomatiquement scotché par ça.

Les habitants et les résistants sur le site du crash ont été caricaturés, sur YouTube, comme des criminels hostiles, ce qui, pour beaucoup de monde confirmait leur culpabilité. Cela a changé lorsque, dans des reportages ultérieurs, des journalistes ont montré des images de villageois choqués et profondément concernés, mais la contradiction n'était pas analysée, et les précédents préjugés d'infamie n'ont pas laissé place à une quelconque analyse objective des raisons pour lesquelles ces gens se battaient, après tout. Des tweets et vidéos YouTube contenant des nouvelles tendancieuses ont constitué la base de l'indignation des officiels hollandais au sujet des ukrainiens de l'est, et une opinion générale s'est formée que quelque chose devait être vrai, qui était, encore dans l'opinion générale, matérialisé par une réception solennelle des restes humains télévisée sur une grande chaîne nationale (diffusée par l'intermédiaire de la Malaisie) au cours d'une cérémonie digne, sobre et martiale.

Rien de ce que j'ai vu ou lu ne laissait même entendre que la crise ukrainienne, qui a mené au coup d'État et à la guerre civile, était fabriquée par les néoconservateurs et quelques R2P (« Responsabilité de protéger ») fanatiques du Département d'État et de la Maison Blanche, auxquels Obama avait apparemment donné carte blanche. Les médias hollandais n'ont pas été concernés, semble-t-il, par le fait que la catastrophe ait été immédiatement exploitée par le cirque politique dans l'intérêt de la Maison Blanche et du Département d'État. La possibilité que Poutine ait eu raison en disant que la catastrophe ne serait pas arrivée si l'on avait écouté ses appel insistants à un cessez-le-feu, n'était même pas mentionnée.

En fait, Kiev a rompu le cessez-le-feu, le 10 juin, dans sa guerre civile contre les russophones en Ukraine de l'Est qui ne voulaient pas être gouvernés par une bande de voyous, descendants d'ukrainiens nazis, et par des oligarques flirtant avec le FMI et l'Union européenne. Les supposés rebelles ont réagi aux débuts des opérations de nettoyage ethnique (bombardements de terreur systématiques et atrocités, au moins 30 ukrainiens brûlés vifs) commises par les forces de Kiev, dont rien, ou si peu, n'a filtré dans les reportages en Europe.

Il est peu vraisemblable que les ONG américaines, qui ont elles-mêmes admis avoir dépensé 5 milliards de dollars dans leurs efforts de déstabilisation avant le putsch de février, aient soudain disparu d'Ukraine, ou que les conseillers militaires américains et les troupes spéciales soient restés assis tranquillement alors que l'armée ukrainienne et les milices planifiaient la stratégie de la guerre civile ; après tout, le régime des nouveaux voyous vit grâce au cordon ombilical financier qui le relie à Washington, à l'Union européenne et au FMI. Ce que nous savons, c'est que Washington encourage les tueries en cours contre les civils, dans une guerre qu'ils ont aidé à déclencher.
Mais Washington a toujours eu la main gagnante dans la guerre de propagande contre un opposant involontaire, contrairement à ce que les médias de masse ont voulu nous faire croire. Des vagues de propagande nous viennent de Washington et sont fabriquées pour coller à l'hypothèse d'un Poutine, poussé et soutenu par un nationalisme exacerbé par la disparition de l'Union soviétique et qui essaie d'étendre les frontières de la Fédération de Russie jusqu'à la limite de son défunt empire. La pontifiance la plus aventureuse, infectée de fièvre néocon, voit la Russie menaçante engloutir l'Occident. C'est pourquoi on fait croire aux Européens que Poutine refuse la diplomatie, alors qu'il la réclame depuis toujours. De là également, le fait que la propagande dominante a eu pour effet que ce n'est pas l'action de Washington mais celle de Poutine qui est vue comme dangereuse et extrémiste. Quiconque ayant une histoire personnelle qui met en lumière les mauvais aspects de Poutine doit le faire savoir immédiatement ; les éditeurs hollandais semblent insatiables en ce moment.
Il n'y a aucun doute que la propagande de Moscou, à laquelle on fait souvent référence, existe. Mais il y a des moyens pour les journalistes sérieux de mesurer le poids comparatif des propagandes et discerner combien de vérités et de mensonges et de foutaises elles contiennent. Dans mon champ de vision cela a seulement commencé à se voir en Allemagne. Pour le reste, nous devons rapiécer la réalité politique en faisant confiance aux sites web américains, aujourd'hui toujours plus indispensables, qui accueillent les lanceurs d'alertes et les journalistes d'investigation ancienne-manière, qui spécialement depuis le début de la guerre contre le terrorisme et l'invasion de l'Irak ont crée une sorte de forme stable de publications samizdat.

Aux Pays-Bas, presque tout ce qui vient du Département d'État est pris pour argent comptant. L'histoire américaine, depuis la disparition de l'Union soviétique, est pratiquement déconsidérée, les mensonges vraiment époustouflants : Panama, Afghanistan, Irak, Syrie, Libye, Corée du Nord ; le nombre de gouvernements renversés, les opérations secrètes et coups montés ; l'encasernement furtif de la planète avec un millier de bases militaires. La quasi-hystérie durant la semaine qui a suivi la destruction de l'avion a empêché les gens, qui avaient quelques connaissances pertinentes de l'affaire, d'ouvrir la bouche. La sécurité de l'emploi dans le monde journalistique est plutôt précaire, et aller contre le courant reviendrait à chevaucher avec le diable, car cela endommagerait la crédibilité journalistique.

Ce qui fait et interpelle la vieille génération de journalistes sérieux à propos de la crédibilité des médias de masse, est l'indifférence éditoriale aux indices qui, potentiellement, mineraient ou détruiraient la ligne officielle ; une ligne narrative qui a déjà imprégné la culture populaire comme cela paraît évident dans les propos acculturés qui embellissent les critiques de livres et de films, entre autres choses. Aux Pays-Bas l'histoire officielle est déjà gravée dans le marbre, ce qui n'est pas étonnant lorsqu'elle a été répétée dix-mille fois. Cela ne peut pas être décompté, bien sûr, mais c'est appuyé sur pas mal de preuves.

La présence de deux avions de chasse prés du Boeing malaisien constatée par les radars russes est un indice potentiel qui m'intéresserait beaucoup si je faisais les recherches en tant que journaliste ou membre de la mission d'investigation que les Pays-Bas dirigent officiellement. Cela semble avoir été corroboré par un reportage de la BBC avec des compte-rendus de villageois témoins oculaires, qui ont clairement vu, à partir du sol, un autre avion, un chasseur, proche du long-courrier, au moment du crash, et ont entendu des explosions venant du ciel. Ce reportage a récemment attiré l'attention car il avait été retiré des archives de la BBC. J'aimerais parler avec Michael Bociurkiw, l'un des premiers inspecteurs de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) à atteindre le site du crash qui a passé plus d'une semaine à examiner les débris et a décrit sur CBC World News, deux ou trois pièces du fuselage vraiment mitraillées. « Cela ressemble vraiment à un tir de mitrailleuse ; de très, très gros, calibre qui a laissé ces marques uniques que nous n'avons pas vues ailleurs. »

J'aimerais également beaucoup jeter un œil à ces enregistrements des images radars et aux échanges entre les pilotes et la tour de contrôle de Kiev pour comprendre pourquoi l'avion malaisien a changé de cap et est descendu rapidement juste avant qu'il ne soit abattu, et vérifier si les contrôleurs aériens étrangers, à Kiev, ont vraiment été envoyés immédiatement faire leurs valises après le crash. Comme les professionnels vétérans des services de renseignement sur la santé mentale, je demanderais d'urgence aux autorités américaines un accès aux images satellites qui montrent des preuves que les rebelles possédaient une batterie de missiles BUK ainsi que de l'implication des russes, et leur demanderais pourquoi ils ne les ont pas déjà montrées. Jusqu'à présent Washington a agi comme un conducteur qui refuse de souffler dans l'alcootest. Depuis que des officiels des services de renseignement ont fait fuiter dans certains journaux américains leurs doutes quant aux certitudes américaines présentées au monde par le Secrétaire d'État, ma curiosité serait implacable.

Pour mettre en perspective la loyauté des médias européens envers Washington dans le cas ukrainien, ainsi que le comportement servile des politiciens européens, nous devons en savoir plus sur l'atlantisme et mieux le comprendre. C'est une foi européenne. Elle n'a pas donné lieu à l'élaboration d'une doctrine officielle, bien sûr, mais fonctionne comme telle. Cela est bien résumé dans le slogan hollandais à l'époque de l'invasion de l'Irak : « zonder Amerika gaat het niet » (Sans l'Amérique rien ne marche). Inutile de le préciser, la Guerre Froide a donné naissance à l'atlantisme. Étrangement, il a gagné en vigueur alors que la menace de l'Union soviétique devenait moins convaincante pour un nombre grandissant parmi les élites européennes. C'était probablement la conséquence d'un changement de génération : plus on s'éloignait de la Seconde Guerre mondiale, moins les gouvernements européens se souvenaient ce que cela signifie d'avoir une politique étrangère indépendante sur les questions stratégiques. Les chefs de gouvernement actuels de l'Union européenne ne sont pas familiarisés avec les délibérations stratégiques concrètes. La pensée routinière au sujet des relations internationales et des politiques globales est profondément ancrée dans l'épistémologie de la Guerre froide.

Inévitablement, cela formate aussi les politiques éditoriales responsables. L'atlantisme est désormais une terrible affliction pour l'Europe : cela favorise l'amnésie historique, l'aveuglement volontaire et une colère politique dangereusement mal fondée. Mais il prospère sur un mélange de certitudes de l'époque de la Guerre froide, non remises en cause, au sujet de la protection, des loyautés de l'époque enracinées dans la culture populaire, de la pure ignorance des européens, et d'une réticence bien compréhensible à admettre que l'on s'est fait, ne serait-ce qu'un peu, laver le cerveau. Washington peut se permettre des choses outrageantes tout en laissant l'atlantisme intact à cause de la négligence de chacun, que les médias ne font rien, ou si peu, pour corriger. Je connais des Hollandais qui ont été dégoûtés des calomnies contre Poutine, mais l'idée que, dans le contexte ukrainien, il faudrait incriminer Washington est presque inacceptable. Alors, les publications hollandaises, ainsi que beaucoup d'autres en Europe, ne peuvent pas mettre en perspective correctement la crise ukrainienne en reconnaissant que tout a été déclenché par Washington, et que Washington, et non Poutine, a la clef pour résoudre le problème. Cela imposerait une abjuration de l'atlantisme.

L'atlantisme tire l'essentiel de sa force de l'Otan, son incarnation institutionnelle. La raison de l'existence de l'Otan, qui a disparu avec la chute de l'Union soviétique, a été largement oubliée. Créée en 1949, elle était basée sur l'idée qu'une coopération transatlantique en matière de sécurité et de défense était devenue nécessaire après la Seconde Guerre Mondiale, face au communisme, orchestré par Moscou, avec l'intention de s'étendre sur la planète. Ce dont on a beaucoup moins parlé c'était de la méfiance entre les Européens, alors qu'ils faisaient leurs premiers pas vers une intégration économique. L'Otan était une sorte de garantie américaine qu'aucun pouvoir européen n'essaierait de dominer les autres.

L'Otan a, depuis longtemps, été un handicap pour l'Union européenne, dans la mesure où elle empêchait une concertation européenne sur les affaires de défense et sur la politique étrangère, et a contraint les états membres à servir le militarisme américain. C'est également un handicap moral, car les pays participant à la coalition des volontaires, étaient tenus de vendre à leurs citoyens le mensonge selon lequel la mort des soldats en Irak et en Afghanistan était un sacrifice nécessaire pour garder l'Europe à l'abri des terroristes. Les gouvernements qui ont fourni des troupes dans les régions occupées par les États-Unis l'ont généralement fait avec beaucoup de réticences, récoltant les reproches de nombreux officiels américains selon lesquels les Européens n'en faisaient pas assez pour la défense collective de la démocratie et de la liberté.

En tant qu'idéologie, l'atlantisme est an-historique. Comme remède de cheval contre les tourments fondamentaux de l'ambiguïté politique, il fournit sa propre histoire : une histoire qui peut être réécrite par les médias de masse américains dans leur rôle de diffuseur de la parole de Washington.

Il ne pourrait pas y avoir de meilleure démonstration de cela que l'expérience actuelle des Pays-Bas. Au cours de conversations ces trois dernières semaines j'ai provoqué de véritables surprises en rappelant à des amis que la Guerre froide s'est achevée par la diplomatie avec un accord passé à Malte entre Bush père et Gorbatchev en décembre 1989, par lequel James Baker obtint l'accord de Gorbatchev pour la réunification de l'Allemagne et le retrait des troupes du pacte de Varsovie en échange de la promesse que l'Otan ne s'étendrait pas d'un pouce vers l'Est. Gorbatchev promettait de ne pas employer la force en Europe de l'Est où les russes avaient quelques 350.000 soldats, rien qu'en Allemagne, en échange de la promesse de Bush de ne pas tirer profit du retrait des troupes soviétiques d'Europe centrale. Bill Clinton est revenu sur ces promesses américaines lorsque, pour des raisons purement électoralistes il fanfaronnait au sujet d'un élargissement de l'Otan et, en 1999 intégrait la République tchèque et la Hongrie en tant que membres à part entière. Dix ans après, neuf autres pays devinrent membres, au point que le nombre de membres avait doublé depuis la fin de la Guerre froide. Le fameux spécialiste américain de la Russie, Georges Kennan, à l'origine de la politique d'endiguement de la Guerre froide, a jugé l'acte de Clinton : « l'erreur la plus tragique de la politique américaine durant toute la période post-Guerre froide. »

L'ignorance historique encouragée par l'atlantisme est poignante au vu de la dispute selon laquelle, dans le cas de Vladimir Poutine, la preuve ultime est son invasion de la Crimée. Encore une fois, la réalité politique a été créée par les médias de masse américains. Il n'y a pas eu d'invasion, car les soldats et marins russes étaient déjà là, vu que c'est la base pour la flotte russe en Mer Noire, dans les eaux chaudes. La Crimée a été une partie de la Russie aussi longtemps que les États-Unis ont existé. En 1954, Khrouchtchev, qui venait lui-même d'Ukraine, l'a donnée à la République socialiste d'Ukraine, ce qui revenait à déplacer une région dans une province différente par le fait que la Russie et l'Ukraine étaient dans le même pays. La population russophone de Crimée était plutôt satisfaite, puisqu'elle vota d'abord pour l'indépendance par rapport au régime de Kiev issu du coup d'État, et ensuite pour la réunification avec la Russie.

Ceux qui maintiennent que Poutine n'avait pas le droit de faire ce qu'il a fait ne sont pas conscient d'une autre strate historique dans laquelle les États-Unis ont installé des missiles anti-missiles (Star Wars) de plus en plus prés de la frontière russe supposés intercepter des missiles iraniens qui n'existaient pas. Les sermons moralisateurs à propos de l'intégrité territoriale et de la souveraineté n'ont aucun sens dans de telles circonstances, surtout venant de Washington qui s'est assis depuis longtemps sur le concept de souveraineté dans sa politique étrangère, c'est carrément obscène.

Une décision atlantiste détestable a été l'exclusion de Poutine des réunions et autres événements en rapport avec le débarquement en Normandie, pour la première fois en 17 ans. Du coup, le G8 est devenu G7. L'amnésie et l'ignorance ont rendu les Pays-Bas aveugles à une histoire qui les concernait directement, dans la mesure où l'Union soviétique a désintégré la machine de guerre nazie (qui occupait les Pays-Bas) au prix d'un nombre incommensurable de morts ; sans quoi il n'y aurait pas eu d'invasion en Normandie.

Il n'y a pas si longtemps, le désastre militaire complet en Irak et en Afghanistan semblait orienter l'Otan vers un moment où sa disparition n'était pas loin. Mais la crise ukrainienne et la pugnacité de Poutine à empêcher la Crimée et sa base navale russe de tomber entre les mains d'une alliance dirigée par les américains, a été du pain béni pour cette institution défaillante.

Le commandement de l'Otan a déjà déplacé des troupes pour renforcer sa présence dans les états baltes envoyant des missiles et des avions d'attaque en Pologne et en Lituanie, et depuis le crash du Boeing malaisien, il a préparé des mouvements militaires qui pourraient finir dangereusement en provoquant la Russie. Il est devenu clair que le ministre polonais des affaires Étrangères en accord avec les pays baltes, aucun d'eux n'ayant adhéré à l'Otan quand ils avaient des bonnes raisons pour le faire, sont devenus une force motrice derrière elle. On peut faire confiance aux pantins ventriloques Anders Fogh Rasmussen et Jaap de Hoof Scheffer pour prendre la pose dans les écrans de télévision, fulminant contre les dérobades des membres de l'Otan. Rasmussen, l'actuel Secrétaire général, a déclaré le 7 août à Kiev que « le soutien de l'Otan à l'intégrité territoriale et à la souveraineté de l'Ukraine était inébranlable » et qu'il envisage de renforcer le partenariat avec le pays lors du sommet de l'alliance au Pays de Galles en septembre. Ce partenariat est déjà fort, ainsi dit-il : « en réponse à l'agression de la Russie, l'Otan travaille de plus en plus étroitement avec l'Ukraine pour réformer ses forces et ses institutions de défense. »

En même temps, au Congrès américain, 23 sénateurs républicains ont présenté une législation « l'Acte pour la prévention de l'agression russe », qui est supposée autoriser Washington à faire de l'Ukraine un allié hors-Otan posant ainsi les jalons pour un conflit militaire direct avec la Russie. Il faudra probablement attendre les élections de mid-term en novembre aux États-Unis pour savoir ce qu'il en sortira, mais il peut déjà aider à fournir un prétexte politique à ceux qui, à Washington, veulent en découdre en Ukraine.

En septembre dernier, Poutine a aidé Obama en lui donnant la possibilité de sortir de la campagne orchestrée par les néocons, qui le poussaient à bombarder la Syrie, et l'a également aidé en désamorçant la querelle sur le nucléaire en iranien, un autre projet néocon. Cela a conduit à un engagement néocon de briser le lien Obama-Poutine. Ce n'est un secret pour personne que les néocons veulent le renversement de Poutine et le démembrement final de la Fédération de Russie. Moins connu en Europe est l'existence de nombreuses ONG à l'œuvre à Moscou, qui aideront les néocons dans leurs projets. Vladimir Poutine pourrait frapper maintenant ou bientôt, pour contrer l'Otan et le Congrès américain, en prenant l'Ukraine de l'Est, quelque chose qu'il aurait probablement du faire avant, juste après le référendum en Crimée. Évidemment, cela aurait prouvé ses intentions diaboliques dans les colonnes des éditoriaux Européens.

A la lumière de tout ceci, la question la plus fatidique à se poser dans le cadre global des affaires est la suivante : qu'est-ce-qui peut arriver aux Européens s'ils se réveillent, et prennent conscience que Washington joue avec le feu et a cessé d'être le protecteur sur lequel ils comptaient et qui, au contraire, aujourd'hui, les met en danger ? Le moment viendra-t-il où il apparaîtra clairement que la raison de la crise ukrainienne est, avant tout, de pouvoir installer des batteries de missiles anti-missiles tout au long de la frontière russe, ce qui donnerait à Washington, dans le jargon halluciné des stratèges nucléaires, l'avantage de la première frappe.

L'idée commence à s'enfoncer dans le crâne des vieux Européens que les États-Unis ont des ennemis qui ne sont pas les ennemis de l'Europe et qu'ils ont besoin d'eux [les Européens] pour des raisons de politique interne; pour continuer à faire fonctionner une industrie de guerre gigantesque et tester la bonne foi politique des candidats aux offices publics. Mais, prendre les États voyous et terroristes pour cibles de leurs guerres justes n'ayant jamais été convaincant, la Russie de Poutine, diabolisée par une Otan va-t-en guerre pourrait aider à prolonger le statut-quo atlantiste. La vérité derrière le destin de l'avion malaisien, je l'ai su au moment même où je l'ai appris, serait politiquement déterminante. Les boîtes noires sont à Londres. Dans les mains de L'Otan ?

D'autres obstacles à un réveil restent énormes ; la financiarisation et les politiques néolibérales ont produit un enchevêtrement transatlantique intime d'intérêts ploutocratiques. En parallèle avec la foi atlantiste, ces obstacles ont contrecarré le développement de l'Union européenne, et en même temps la capacité de l'Europe à mettre en œuvre des décisions politiques indépendantes : cela depuis que Tony Blair est dans la poche des américains, et avec Nicolas Sarkozy, on peut dire plus ou moins la même chose de la France.

Reste l'Allemagne. Angela Merkel n'était pas du tout satisfaite des sanctions, mais à la fin a suivi le mouvement car elle voulait rester du bon côté du président américain et des États-Unis du fait que le conquérant de la Seconde Guerre Mondiale a encore de l'influence par un grand nombre d'accords. Le ministre des affaires Étrangères allemand, Frank-Walter Steinmeier, cité dans les journaux et apparaissant à la TV, a répudié les sanctions et a désigné l'Irak et l'Afghanistan comme des exemples de résultats provoqués par les escalades et les ultimatums, maintenant il a aussi tourné sa veste et suit le mouvement.

Der Spiegel est l'un des journaux allemands qui donne espoir. L'un des chroniqueurs, Jakob Augstein, attaque les somnambules qui ont soutenu les sanctions, et censure ses collègues qui pointent l'index vers Moscou. Gabor Steigart, qui publie Handelsblatt vocifère contre « la tendance des américains à l'escalade verbale puis militaire, à l'isolement, la diabolisation et enfin l'attaque de l'ennemi » et conclut que le journalisme allemand a aussi « viré du sang-froid à l'agitation en quelques semaines. Le spectre des opinions s'est rétréci au champ de vision d'un sniper. » Il doit y avoir plus de journalistes dans d'autres pays d'Europe qui disent des choses comme ça, mais leur voix ne porte pas à travers le vacarme de la calomnie.

L'histoire se fait, une fois de plus. Ce qui pourrait bien déterminer le destin de l'Europe est que aussi, en dehors des défenseurs de la foi atlantiste, des Européens décents se portent eux-mêmes à croire dans le dysfonctionnement et la responsabilité absolue de l'État américain.