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Dilma Roussef, actuelle présidente du Brésil, et Marina Silva, candidate aux prochaines élections d’octobre 2014
Succédant au populaire Lula, l'actuelle présidente du Brésil, Dilma Rousseff, a surpris tout le monde par son désir d'émancipation à l'égard de l'influence américaine intense, qui a maintenu ce pays pendant des décennies dans un statut de semi-colonie de Washington.

Dans cette voie, elle est même récemment allée plus loin encore que Lula. À la mi-juillet, à Fortaleza (Brésil), n'a-t-elle pas quasiment pris la tête du groupe des pays du BRICS (B pour Brésil), lors de leur dernier sommet, en soutenant les mesures de dédollarisation entreprises, mesures dont nous avons souvent parlé ici [1] [2]. N'a-t-elle pas rencontré Vladimir Poutine à cette occasion ? N'envisage-t-elle pas de faire du Brésil la tête d'un monde numérique, en développant ses propres outils, pour échapper à la domination des géants américains de l'informatique et du Web ? Ne cherche-t-elle pas à échapper aux industriels américains du pétrole et du gaz en confiant le soin à Petrobras, l'acteur brésilien du secteur, le soin de développer l'exploitation des riches gisements gaziers off-shore récemment découverts au large des côtes brésiliennes ? Enfin, ne soutient-elle pas des projets de contrats militaires (tel celui du Rafale français) susceptibles d'échapper aux industriels américains, jusqu'ici maîtres de ces fructueux marchés ?

Le talon d'Achille de Dilma

Mais la présidente Rousseff a un talon d'Achille. Elle est venue au pouvoir en partie grâce aux votes des défavorisés du capitalisme brésilien, les habitants des favelas, à qui le Parti des travailleurs (PT) du président Lula avait dû son succès. Or, malgré un certain nombre de décisions améliorant sensiblement leurs conditions de vie, les pauvres ont été déçus. Ils auraient voulu davantage et plus vite. Lors de la Coupe du monde 2014 de Football au Brésil [3], ils ont reproché à Rousseff des dépenses ostentatoires jugées inutiles. Ces critiques ont eu un grand effet dans un pays, dont les travailleurs avaient espéré, comme en France avec l'arrivée au pouvoir de François Hollande, que leur niveau de vie allait s'améliorer rapidement et de façon substantielle.

De Dilma à Marina ?

Aujourd'hui, dans la perspective de la future élection présidentielle du 5 octobre 2014, les sondages ne donnent plus à Dilma Rousseff qu'environ 20 % de votes favorables. Si bien que son principal adversaire, avec un indice de popularité voisin, la populaire Marina Silva, présentée par le Parti socialiste brésilien (PSB), risque de l'emporter. Marina Silva a suivi un parcours complexe et sinueux [4].

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La cathédrale da Igreja Universal do Reino de Deus
Les Églises évangéliques

Le Parti socialiste brésilien n'a de socialiste que le nom (ce qui semble être désormais le cas partout dans le monde). Ce parti est l'instrument des fondamentalistes évangéliques, lesquels ont progressivement investi le secteur politique et économique au Brésil. Ces fondamentalistes sont en liaison étroite avec les Églises évangéliques qui dominent une partie de la scène politique américaine. Ils se sont épanouis dans l'ensemble du territoire brésilien, en particulier dans les quartiers populaires et les favelas. Les prédicateurs évangéliques dirigent désormais de véritables entreprises, donnant de l'espoir à des millions de fidèles, qui proviennent des milieux pauvres et déçus par le socialisme de Lula.

Les petites entreprises dites bibliques, prospérant sur la misère des fidèles qu'ils exploitent sans vergogne, rassemblent désormais plus de 40 millions de Brésiliens soit plus de 20 % de la population. Certaines de ces entreprises ont construit de véritables empires financiers, telle la puissante Église universelle du Royaume de Dieu [5], dite « la Pieuvre par la presse brésilienne. Son fondateur et évêque est un ancien employé de la loterie nationale du Brésil, aux méthodes véritablement maffieuses.

Les Églises évangéliques ont pénétré aussi le monde politique : le groupe évangélique comporte 73 députés à l'Assemblée nationale brésilienne. Son pasteur-député, un certain Marco Feliciano, élu bizarrement avec l'entremise du Parti des travailleurs à la Commission des droits de l'homme et des minorités, multiplie les déclarations incendiaires contre les juifs, les athées, les homosexuels, l'avortement et les recherches scientifiques, par exemple dans le domaine des cellules-souches.

Le retour en force de l'Amérique

Marina Silva semble avoir perdu toute autonomie à l'égard de ces puissances évangéliques [6], comme à l'égard de leurs homologues américaines. Or, derrière ces Églises se dissimulent les intérêts politico-industriels américains, qui veulent reprendre en mains le Brésil. Autrement dit, les prochaines élections présidentielles, si elles voyaient Marina Silva remplacer Dilma Rousseff, auraient des conséquences géopolitiques mondiales.

Marina Silva propose des mesures destinées à diminuer le rôle économique de l'État en redonnant du pouvoir aux intérêts financiers internationaux. Son programme consiste à privatiser la Banque centrale, cesser les exploitations pétrolières off-shore, affaiblir le Mercosur au profit d'une Union douanière bilatérale avec les États-Unis, et finalement à tuer le rôle jusqu'ici jugé exemplaire du Brésil dans la lutte pour l'émancipation des pays de l'Amérique Latine à l'égard des États-Unis. SI Marina Silva devient présidente, le Brésil se retrouverait vis-à-vis des États-Unis dans la même dépendance que l'Argentine. Dans le même temps, Marina Silva ne propose plus rien visant à protéger le Bassin amazonien des défricheurs.

Avec la perte du Brésil, le BRICS, devenu RICS (Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), perdrait beaucoup de son aura aux yeux des États pauvres du monde qu'il espérait rallier.

Notes :

[1] Sommet des BRICS : des décisions très significatives (vineyardsaker, français, 17-07-2014)

[2] BRICS + OCS : simple défi à la domination américaine ou changement profond dans les équilibres du monde ? (vineyardsaker, français, 11-08-2014)

[3] La chute d'une superpuissance, ou La Coupe du Monde comme vous ne l'avez jamais lue (vineyardsaker, français, 12-07-2014)

[4] Ministre de l'Environnement de 2003 à 2008, Marina Silva a dû quitter sa fonction à cause de ses prises de position écologiques jugées trop radicales par l'establishment. En 2009, elle avait délaissé le Parti des travailleurs pour le Parti vert du Brésil. En 2010, elle avait brigué pour la première fois la présidence du Brésil, sous la bannière écologiste et obtenu 20 millions de votes. Ce succès l'a incité à fonder son propre parti, le Réseau durable, en vue de la présidentielle de 2014. Mais, faute de soutiens suffisants, elle a accepté d'être la seconde, derrière un certain Eduardo Campos, candidat du Parti socialiste du Brésil, et politicien douteux. Campos ayant péri avec son équipe de campagne dans un accident d'avion, d'ailleurs suspect, Marina Silva a pris sa place.

[5] L'Église universelle du royaume de Dieu (EURD, en portugais : Igreja Universal do Reino de Deus) est un mouvement issu de la mouvance dite néopentecôtiste très importante au Brésil et dans le monde. Elle fut fondée en 1977 au Brésil par Edir Macedo Bezerra. Les doctrines de l'Église se réclament de la Bible. (wikipedia, français)

[6] Élection présidentielle 2014 : Le Brésil aux prises avec les fondamentalistes religieux ? (agoravox, français, 12-09-2014)