Arendt
Vivons-nous dans un système totalitaire ? La question paraît peut-être sulfureuse, si l'on réduit la notion de totalitarisme à une forme de despotisme tyrannique où le joug d'un parti unique régit l'État. C'est aujourd'hui le cliché le plus simplet que beaucoup de personnes peuvent déduire d'un système totalitaire. Cependant, si l'on se réfère au totalitarisme tel que le conçoit Hannah Arendt, alors la discussion peut légitimement s'ouvrir.

Il me semble que l'idéologie, la logique d'une idée forcenée du parti unique et le châtiment donné à toutes les personnes jugées - par leur race ou leur classe - contraire eu égard de cette idéologie, s'est substituée à une pensée dominante mélangeant à la fois hédonisme vulgaire, et consumérisme joint au matérialisme le plus souillé. Tant de -isme, qui une fois encellulés donnent naissance à des émissions telles que Secret Story ou Grand journal, qui pour le coup mériteraient réellement d'être châtiées. Ce mélange accouche d'une sorte de politiquement correct, ostracisant quiconque s'opposant radicalement à ce dernier, par un mécanisme subtil d'incorporation générale des nouvelles normes créées pour la nouvelle masse.

Il faut apporter une forme de cohérence à la question que j'ai jugé utile de soulever. Aussi je me contenterai d'énumérer les quelques passages du livre Système Totalitaire (1972) de Hannah Arendt que j'ai jugé (arbitrairement en effet) d'actualité, et pour le coup pertinents.

Un premier passage a fortement attiré mon attention, celui qui traite de la question d'une domination d'idiots dans les régimes totalitaires : « Le totalitarisme, une fois au pouvoir, remplace invariablement tous les vrais talents, par ces illuminés et ces imbéciles dont le manque d'intelligence et d'esprit créateur reste la meilleure garantie de leur loyauté. ». Évidence serait de constater que nous assistons aujourd'hui à une « ère des crétins », où les individus ne sont plus mis en avant pour leur créativité ou leur intelligence, mais pour un physique supposé avantageux, où des jeunes ne fondent plus leurs mœurs sur une élite intellectuelle digne de ce nom mais en s'imprégnant des comportements d'animateurs décérébrés, de rappeurs et de stars de la télé-réalité.

Lorsque Hannah Arendt nous indique qu'à un moment donné, dans les sociétés totalitaires, il apparaît désuet de continuer d'affirmer des idées fausses par le biais d'une propagande, voilà ce que nous devons comprendre : « Le caractère factice de la réalité quotidienne rend la propagande en grande partie superflue. [...] Mais une fois acquise la possibilité d'exterminer les Juifs comme des punaises, au moyen de gaz toxiques, il n'est plus nécessaire de propager l'idée que les Juifs sont des punaises. ». Explicitons ici l'exemple donné. Si on pousse la jeunesse à s'identifier à des personnages qui n'ont pour fin que le fric, alors il devient inutile de préciser que la valeur d'un individu se mesure au contenu de son compte en banque. Allons même plus loin, si les euro-sceptiques comme Nicolas Dupont-Aignan et des personnes critiques envers la City et Wall Street tel que Jacques Cheminade sont systématiquement ridiculisés et tournés en dérision dans les médias, il devient caduc de scander que la sortie de l'Union Européenne est inconcevable et que les lieux où sont commis de véritables crimes économiques sont une bonne chose pour la sécurité financière mondiale. Toutes les tentatives d'interrogation de l'homme-masse sont par ce moyen rendues impossibles.

Pour ce qui est des convictions des hommes-masse, voilà ce qui nous est dit : « Le but de l'éducation totalitaire n'a jamais été d'inculquer des convictions mais de détruire la faculté d'en former aucune. ». C'est la comparaison la plus osée à laquelle je m'emploie dans cette démonstration, mais l'analogie est plus que nécessaire à établir. L'école aujourd'hui n'est plus un sanctuaire où l'on se charge d'instruire les enfants, dans le but qu'ils puissent se faire une opinion, une philosophie, et des convictions. L'école est devenue une office d'endoctrinement tout sauf salutaire, où l'impuissance des professeurs est souhaitée et fomentée par les différents gouvernements qui se succèdent. Cette situation a pour conséquence de placer le nihilisme et le déracinement au centre de l'éducation. La suite logique de tout ceci étant bien sûr, l'affaiblissement de la créativité et de la pensée divergente, qui reste l'apanage d'une poignée microscopique d'élève, tandis que de l'autre côté nous nous rendons compte de l'émergence d'un germe considérable de petits hommes-masse.

Tous ces éléments sont alarmants. Mais que faire ? Hannah Arendt, par son œuvre nous enseigne que la défaite du système totalitaire entraîne avec elle la chute de son idéologie. La défaite n'est possible que par une prise de conscience générale et la fin de la réduction de l'homme à l'état de masse. Il est temps de se réveiller.

Ryu