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Comme beaucoup d'entre vous, je n'ai rien à cacher. Enfin ... si, mais rien qui ne menace la vie de mon voisin. Ainsi, lorsqu'on nous promet un peu moins de liberté pour un peu plus de sécurité, la conclusion semble logique car, finalement, qui ira faire grand cas de mes messages si banals ou de mes photos de vacances. Pourtant, cette question mérite que nous nous y attardions plus longuement.

Si vous n'étiez pas au courant, nos députés devront se prononcer le 5 mai prochain sur un projet de loi concernant le renseignement. Les idées que je souhaite développer ici viendront sûrement s'ajouter au brouhaha de ces derniers jours, mais je reste persuadé que cela est nécessaire et je m'en expliquerai. Pour ma part, je ne suis pas juriste et je m'en tiendrai uniquement à ce qui se trouve dans le texte et vous devriez faire de même sans écouter les interprétations et les grandes promesses, surtout lorsqu'on vous dira que des amendements changent ces dispositions. Ils apportent éventuellement des nuances sur la forme mais ne changent rien sur le fond. En revanche, étant très impliqué dans le numérique, et notamment dans les systèmes en réseaux, je suis en mesure de saisir toute la portée de ce texte dans ce qu'il permettra de faire aujourd'hui mais aussi demain.

Le renseignement

Il me semble primordial de savoir ce que l'on entend par « renseignement ». C'est une activité visant à rechercher des informations sur toutes les composantes d'une situation passée, en cours ou à venir afin d'adopter le comportement le plus efficace en fonction d'un ou plusieurs objectifs que nous poursuivons. L'activité de renseignement comporte deux étapes principales : la collecte des informations et leur analyse. Le volume collecté doit être en relation avec la capacité d'analyse et l'analyste doit être en mesure de filtrer l'information selon sa pertinence, de vérifier sa cohérence et, enfin, de l'interpréter en fonction de la situation et de toutes les autres informations.

C'est une activité plus ou moins formelle, plus ou moins discrète et, dans certains cas, plus ou moins légale. Elle reste cependant un préalable essentiel à l'action. Disons le tout de suite, tout le monde fait du renseignement ! Vous-même irez peut-être vous « renseigner » sur les fréquentations de vos enfants. Il faut donc comprendre que cette activité n'est pas d'une nature malsaine. Seuls les objectifs poursuivis et les décisions prises seraient alors discutables.

A l'échelle d'une nation, quel que soit le domaine, le renseignement est primordial et ne se limite pas à des considérations étrangères. Le nom de la Direction Générale de la Sécurité Intérieure ne laisse d'ailleurs aucun doute à ce sujet. En raison de divers fantasmes et divertissements étayés par des faits bien réels, ces services ont clairement une mauvaise réputation et induisent une sorte de crainte dans l'inconscient collectif, notamment parce qu'ils interviennent dans une zone floue où un acte répréhensible n'a pas été commis mais une suspicion plus ou moins grande existe sur une potentialité d'action. Cet état est contradictoire avec notre conception de la justice qui impose la présomption d'innocence avant qu'un juge acte du contraire à la suite d'un procès équitable.

Une action judiciaire recherche des preuves d'une culpabilité quand des faits paraissent suffisants pour établir une réelle infraction à une règle mais s'attache aussi à un examen contradictoire.

Une action de renseignement recherche des indices laissant à penser qu'une action répréhensible ou nuisible pourrait être commise dans un avenir plus ou moins proche. Sa nécessité est laissée à la libre appréciation du service qui l'engage ou à l'autorité qui la demande.

Actuellement, l'action judiciaire est encadrée par le code de procédure pénale, l'action de renseignement n'a quasiment aucun cadre légal et cohérent en accord avec les évolutions technologiques de ces dernières années. Seule une loi de 1991 régit les interceptions téléphoniques de sécurité.

Ce qui pose problème

Tout d'abord, les promoteurs du projet affirment que cette loi donne des moyens en rapport avec notre époque aux services de renseignement. C'est absolument faux. Les moyens existent et sont adaptés aux dernières technologies voir même sont en avance. Seul le cadre légal manque permettant de justifier les actions de renseignement et d'éviter un parfum de scandale quand une personne comme Edward Snowden révèle les pratiques, et surtout leurs ampleurs, des services de renseignements. Nous avons donc l'impression qu'il y a un manque quelque part car la loi, ou l'absence de dispositions légales, viendrait empêcher toutes actions. Certes, nous pourrions y voir une limite en raison d'un certain nombre de scrupules sur des opérations plus ou moins justifiables...

Ensuite, nous avons aperçu que la frontière entre enquête judiciaire et action de renseignement reste plutôt mince tout comme celle avec la surveillance abusive. La différence entre les deux est qu'en définitive, l'enquête judiciaire aboutira à une exposition publique des faits. Le renseignement non. D'autant plus lorsqu'il est couvert par le secret défense qui a le double avantage de protéger l'action et de ne pas devoir se justifier de cette protection. Pratique. Ce projet de loi n'arrange en rien ce constat.

Que des finalités, autrement dit les domaines des motifs possibles de mise en œuvre, soient définies, cela est une (bonne) chose. Que ces finalités couvrent un périmètre extrêmement large et flou, cela reste un problème majeur. Les promoteurs du projet se justifient assez largement d'une lutte contre le terrorisme, à en croire M. Larrivé, nous sommes en guerre et les dispositions de cette loi permettrait d'assurer notre protection par un « bouclier numérique ». Néanmoins, il est aussi question de renseignement économique et lors des débats publics à l'Assemblée Nationale, le fait que des nations « alliées » aient des pratiques plus ou moins nuisibles a été admis. Les récentes révélations du Spiegel ne viennent pas démentir cela.

Posons-nous alors quelques questions :

- Avec qui sommes-nous en guerre et pour quels intérêts publics ?
- Si des projets d'attentat ont été déjoués, où sont les procédures judiciaires ?

Enfin, le dispositif laisse le pouvoir exécutif relativement libre de toutes actions sous le regard d'une commission sensée assurer un contrôle. Cette commission ne donne qu'un avis consultatif et peut éventuellement saisir le conseil d'état si elle estime la présence une dérive. Les défenseurs du projet et le gouvernement nous jurent la main sur le cœur qu'il ne sera pas question de dérive et que leur action restera mesurée et proportionnée, tout en nous expliquant que les pratiques existent déjà et que le projet ne fait que donner un cadre légal.

- Quelle confiance pouvons-nous accorder à un pouvoir exécutif (passé, actuel ou à venir) qui ne s'embarrasse pas du tout de pratiques alégales ou illégales ?
- Quelles garanties avons-nous que d'autres pratiques alégales et illégales ne seront pas utilisées ?
- Quelles garanties avons-nous que ce dispositif sera toujours respecté même lorsque la fin justifiera toujours les moyens ou au nom d'une raison d'état ?

Le gouvernement nous parle de confiance mais les différents gouvernements passés n'auraient-ils pas par hasard largement érodé cette confiance ?

En finir avec le terrorisme

Bien que le projet concerne le renseignement, la justification centrale est la lutte contre le terrorisme alors que c'est une finalité parmi sept autres qui ne menacent pas immédiatement votre sécurité. Je m'étonnerai toujours de cette rapidité à faire trembler la population pour justifier un renforcement de « notre sécurité »...

Je suis d'accord, il faut lutter contre le terrorisme et j'irai même plus loin en affirmant qu'il faut en terminer avec lui. Toutefois, qu'appelle-t-on « terrorisme » ? Qui sont les terroristes ? Est-ce deux personnes qui rentrent dans un bâtiment pour tuer des gens ? Ce type d'évènement se produit aux États-Unis un peu trop régulièrement du reste sans que cela soit qualifié de terrorisme. D'ailleurs, les États-Unis ont adopté un « Patriot Act » sensé protéger les citoyens américains mais cela n'a pas empêché un fou de tirer dans un cinéma ou un autre dans une école primaire !

Le problème avec le terrorisme est que tout le monde l'utilise pour tout et n'importe quoi et, bien souvent, pour désigner un groupe en particulier opposé au pouvoir en place. D'ailleurs, les résistants français auraient été sûrement qualifiés de terroristes par l'administration de Vichy. Pour nous aujourd'hui, ce sont des héros. En 1980, le moudjahid afghan était un « combattant de la liberté » quand il se battait contre les troupes russes, à peine 15 ans plus tard, il devient un dangereux terroriste. Attention, je ne cautionne pas les différents évènements qui se sont produits ni même n'approuve leurs actions mais je souhaite mettre en lumière que dire « lutte contre le terrorisme » ne permet pas d'accepter tout et n'importe quoi.

Pour en finir avec le terrorisme, j'aurai quelques pistes à proposer. Quelques idées qui me semblent bien absentes du débat public, du moins du plus médiatisé.

Tout d'abord, nous pourrions arrêter de soutenir des dictatures pour ensuite les renverser quand elles ne sont plus trop coopératives. La France a un glorieux passé en diverses manipulations et autres ingérences en Afrique et les États-Unis ne se sont jamais privés de modeler le reste du continent américain suivant leurs besoins. Nous acceptons d'être très proches de nations comme l'Arabie Saoudite alors que cette nation participe au financement des mouvements radicaux au moyen orient. Dans le même esprit, nous pourrions arrêter les campagnes d'assassinats par drones car quand pour mettre hors d'état de nuire 41 personnes, plus de 1100 deviennent victimes collatérales des frappes, il ne faut pas s'attendre à être acclamé. Lorsqu'une population est opprimée, l'action violente n'est pas loin, voir même apparait comme une issue logique.

Ensuite, nous pourrions songer à développer sans contre partie le niveau de vie des pays pauvres ce qui permettrait alors de leur éviter de risquer leur vie pour venir gagner de quoi survivre chez nous. Dans le même ordre d'idées, nous pourrions arrêter d'exploiter indument leurs ressources naturelles, ce qui est directement lié au soutien des dictatures, et arrêter d'y expédier nos déchets polluants.

Enfin, à l'aube de ce siècle, nous pourrions tous admettre que la civilisation humaine dans son ensemble n'a pas pris la bonne direction et que notre idéologie économique fait à présent plus partie du problème que de la solution. Quoique vous puissiez en penser, la crise financière mondiale de 2008 n'est toujours pas soldée, a toujours des répercussions bien concrètes pour nous tous et les personnes qui en sont à l'origine sont bien identifiées et ne sont surtout pas redevables de leurs malversations.

Je sais, nous ne sommes pas dans un monde de bisounours pourtant je me permettrais de citer Graham Fuller :
« Même s'il n'y avait pas eu une religion appelée islam ou un prophète nommé Mohammed, l'état des relations entre l'Occident et le Proche-Orient aujourd'hui serait plus ou moins inchangé. Cela peut paraître contre-intuitif, mais met en lumière un point essentiel : il existe une douzaine de bonnes raisons en dehors de l'islam et de la religion pour lesquelles les relations entre l'Occident et le Proche-Orient sont mauvaises (...) : les croisades (une aventure économique, sociale et géopolitique occidentale), l'impérialisme, le colonialisme, le contrôle occidental des ressources du Proche-Orient en énergie, la mise en place de dictatures pro-occidentales, les interventions politiques et militaires occidentales sans fin, les frontières redessinées, la création par l'Occident de l'État d'Israël, les invasions et les guerres américaines, les politiques américaines biaisées et persistantes à l'égard de la question palestinienne, etc. Rien de tout cela n'a de rapport avec l'islam. Il est vrai que les réactions de la région sont de plus en plus formulées en termes religieux et culturels, c'est-à-dire musulmans ou islamiques. Ce n'est pas surprenant. Dans chaque grand affrontement, on cherche à défendre sa cause dans les termes moraux les plus élevés. C'est ce qu'ont fait aussi bien les croisés chrétiens que le communisme avec sa "lutte pour le prolétariat international" »
Comme le dirait Paul Jorion, « le danger de se concentrer sur les individus est d'ignorer les problèmes de structure », nous pourrions en finir avec le terrorisme si nous arrêtions de le produire !

De la surveillance de masse

Pour ce qui va suivre, gardez toujours à l'esprit que les différents intervenants autour de ce projet admettent sans difficultés que les pratiques existent et que les autres nations en usent sans problème.

Prenons un exemple qui nous concerne tous. L'article 2 (14),dans sa version original, ajoute dans le code de la sécurité intérieure la disposition suivante :
« Pour les seuls besoins de la prévention du terrorisme, le Premier ministre ou l'une des personnes déléguées par lui peut, après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, imposer aux opérateurs et aux personnes mentionnés à l'article L. 851‑1 la mise en œuvre sur leurs réseaux d'un dispositif destiné à détecter une menace terroriste sur la base de traitements automatisés des seules informations ou documents mentionnés au même article L. 851‑1, sans procéder à l'identification des personnes auxquelles ces informations ou documents se rapportent et sans procéder au recueil d'autres données que celles qui répondent aux critères de conception des traitements automatisés.

Si une telle menace est ainsi révélée, le Premier ministre ou l'une des personnes déléguées par lui peut décider, après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement dans les conditions prévues au chapitre Ier du titre II duprésent livre, de procéder à l'identification des personnes concernées et au recueil des informations ou documents afférents. Leur exploitation s'effectue alors dans les conditions prévues au chapitre II du même titre.»
Il faut ici comprendre quatre choses :

1. Les opérateurs sous le coup de la loi devront s'exécuter ;
2. Il s'agit de « quelque chose » qui traitera automatiquement des données dans le but de « détecter une menace terroriste » ;
3. Les données traitées resteront anonymes tant qu'ils ne constitueront pas une menace, dans ce cas la ou les personnes seront identifiés et feront l'objet d'une surveillance ciblée. Ils seront donc suspect ;
4. Seules les données nécessaires au fonctionnement du traitement automatique seront utilisées.

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Le terme « traitements automatisés » fait directement référence à un système d'informatiques qui contiendra un logiciel. Ce qui est nommé « algorithme » n'est plus ni moins qu'un ensemble de logiciels comme un anti-virus analyse des fichiers ou un anti-pourriels analyse des messages électroniques. Les « métadonnées »,qui ont été très souvent désignées comme les données « qui répondent aux critères de conception » de ces traitements automatisés, sont des données qui décrivent d'autres données. Par exemple, un titre, une date d'édition sont des métadonnées d'un livre.

Il existe diverses analyses techniques de cet article, toutefois le parallèle postal me parait être le plus approprié pour vous présenter le dispositif.

Internet, en tant que système permettant de transférer une information entre un émetteur et un destinataire, a par certains aspects un fonctionnement très proche d'un service national d'acheminement de courrier. Il vous sera facile de constater que, dans ce service postal, des enveloppes de différentes tailles circulent, tout comme des colis de différents poids, et leur contenu est encore plus varié. A ce stade, nous pouvons mettre en évidence des métadonnées comme l'adresse, le code postal, le type, le poids, etc.

Si nous observions le contenu des enveloppes au format entreprise, nous pourrions trouver des devis, des factures, des lettres de licenciement, etc. Pour chacune des métadonnées spécifiques à leur utilisation comme la date, l'objet, mais un numéro de facture n'existera que pour une facture. Chaque métadonnée permet à chaque acteur du transport de la donnée d'effectuer sa tâche :

- Le code postal permettra de faire un tri national,
- l'adresse permettra la livraison,
- le numéro de facture permettra de déclencher un paiement en y indiquant la référence.

Nous pouvons immédiatement comprendre que les métadonnées ne sont pas anodines car suivant le niveau de traitement de la donnée, il est possible d'entrevoir la signification même de cette donnée. De plus, toutes les métadonnées ne sont pas accessibles immédiatement. Pour la plupart d'ailleurs, l'enveloppe doit être au moins ouverte pour les atteindre.

Votre internet quotidien est à peu près identique. Vous échangez des données avec d'autres systèmes suivant différents protocoles (une page d'un site, un courrier électronique, ...) contenu dans des enveloppes accompagné de métadonnées. Particularité de taille, chaque donnée, un courrier électronique par exemple, est divisé en plusieurs morceaux et chacun d'eux contenu dans plusieurs enveloppes imbriquées. Ainsi chaque acteur ne traite que le niveau qui lui est utile ce qui permet notamment d'optimiser le temps de traitement. Vous pouvez comprendre que votre facteur n'a pas besoin de connaitre « le numéro du bon de commande » pour vous remettre le courrier contenant « un bon de commande ».

Ce projet de loi propose ainsi de traiter toutes les enveloppes et colis en France, en partance ou à destination afin d'analyser les métadonnées pour y détecter une menace terroriste. Des métadonnées, il y en a beaucoup pour différentes choses, à différents niveaux, pour différentes utilisations. Au-delà de l'évidente question de comment détecter une telle menace, nous sommes logiquement amenés à nous demander de quelles métadonnées est-il concrètement question ? Le texte n'en fait pas mention et les réponses des promoteurs du projet n'apportent pas plus d'éclaircissement tout en nous jurant qu'il n'y aura pas ouverture de toutes les enveloppes ...

Je sens que vous n'avez pas saisi la contradiction, alors prenons un exemple simple sous la forme d'un algorithme tout aussi simple : prenez un bon de commande comportant une métadonnée « date » ;

1. Coupez ce papier en 100 morceaux ;
2. Glissez chaque morceau dans une enveloppe ;
3. Glissez une première fois chaque enveloppe dans une nouvelle enveloppe ;
4. Glissez une seconde fois chaque enveloppe dans une nouvelle enveloppe ;
5. Inscrivez l'adresse sur chaque enveloppe sans oublier d'y coller un timbre ;
6. Expédiez chaque enveloppe.

Voilà grosso-modo comment un courrier électronique se présente. M. Cazeneuve vous affirme que son « algorithme » arrivera à comprendre que c'est un bon de commande et lire la métadonnée date sans reconstituer le message complet et sans ouvrir chaque enveloppe ! Certes, je ne suis pas ministre mais je suis en mesure de comprendre que cela n'est pas possible.

Vous rappelez-vous que lorsqu'une menace est détectée, votre anonymat est levé et que vous devenez une cible du renseignement ? Ainsi,si vous intitulez un courriel électronique « une bombe dans la gare » en faisant référence à une personne physiquement attrayante et si l'algorithme y détecte une menace, vous devenez une cible. Même si le gouvernement vous assure qu'il n'y aura pas surveillance de masse, le procédé reste très flou et le législateur pas vraiment à la hauteur techniquement.

Choisissez bien vos mots à présent et ne venez pas dire que vous ne saviez pas !

Surveiller ou prédire

Surveiller ? Sûrement !
Protéger ? Éventuellement, il y aura incontestablement des coups de chance.
Prédire ? C'est ce qui devient très intéressant.

Imaginez vous être à la tête d'un pays et avoir un outil qui puisse vous renseigner fidèlement de l'opinion publique sur une question précise ou l'intention sur tel ou tel sujet. Avant de me déclarer complotiste ou fou, qu'il me soit permis de porter à votre attention les réflexions suivantes.

Jacques Attali, ancien conseiller du président François Mitterrand, conclu le documentaire « Un Oeil Sur Vous Citoyens Sous Surveillance » (Arte - 2015) par la réflexion suivante :
« Ces techniques de surveillance vont permettre, de surveiller l'électeur, de savoir comment il vote, comment il se comporte, et comment l'orienter dans son comportement. Toutes ces techniques de Big Data sauront, par exemple, sur quels réflexes appuyer pour faire voter les gens dans telle ou telle direction. On saura les faire consommer, on saura les faire voter. Il y a un vrai risque d'une sorte de transformation de la démocratie en une mascarade de démocratie où les gens ne seraient plus que des citoyens-consommateurs ou consommateurs-citoyens utilisés par des systèmes qui sauront très les manipuler. »
Fabrice Epelboin, enseignant à la Sorbonne et à Sciences Po, vous explique très simplement que des plateformes logicielles comme Palantir permettent d'analyser des masses de données afin de réaliser des modèles prédictifs.

D'ailleurs, la société Palantir elle même en présentant ces produits dit :
« La plate-forme Palantir Metropolis est idéale pour réaliser des enquêtes quantitatives à grande échelle. Elle agrège de multiples sources de données, rassemblant des informations disparates dans un environnement unifié d'analyse quantitative. Jusqu'à présent, nous avons trouvé qu'elle est parfaite pour suivre et analyser les flux de trafic réseau et la structure des échanges financiers mais les applications sont infinies. Les analystes commencent à enrichir leur compréhension des données en construisant et en effectuant des calculs par rapport aux modèles à l'aide d'une bibliothèque riche d'opérateurs mathématiques et statistiques. »
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Une startup comme SalePredict s'efforce de prédire l'avenir :
"Une fois ces calculs de faisabilité établis, il est tout à fait possible de déterminer la faisabilité d'un fait similaire. [...], par exemple, une zone enclavée avait davantage de risques d'être contaminée par une épidémie de choléra après des tempêtes et une période de sécheresse. Lorsque le logiciel s'est intéressé à la dernière épidémie de choléra en Ouganda, le logiciel a pu retenir que ces deux mots clés ont été associés à l'épidémie de Cuba, mais aussi en Asie."
Le problème n'est pas de savoir si la technologie est en mesure de le faire mais de l'alimenter en données. Ce texte pose toutes les bases d'un tel système d'analyse et d'anticipation de comportement à l'échelle d'une nation.

N'oubliez pas que l'une des missions des ex renseignements généraux était de fournir des informations dites « d'ambiance » et, depuis 2014, le Service central du renseignement territorial a été créé pour, sur l'ensemble du territoire, exploiter les renseignements concernant tous les domaines de la vie institutionnelle, économique et sociale susceptibles d'entraîner des mouvements revendicatifs ou protestataires.

Nous pouvons alors comprendre la détresse de M. Cazeneuve lorsqu'il s'insurge que des sociétés comme Facebook peuvent à loisir exploiter vos données personnelles pour ses opérations marketing et que l'état devrait se l'interdire. Il oublie de préciser que l'utilisation de Facebook est un choix personnel alors qu'aucun ne pourra échapper aux dispositions du texte qui est proposé. Même l'éventualité d'une dérive vers un gouvernement autoritaire n'est pas exclue y compris dans les niveaux les plus élevées de la république.

La question n'est donc pas de savoir si nous avons quelque chose à cacher mais quelles informations allons-nous offrir. « Ai-je vraiment le choix quand je n'ai que l'illusion de ce choix ? » Voilà la question cruciale !

Défendre vos droits

Ce projet de loi demande une réflexion de fond sur l'état de notre monde en 2015.

Si vous êtes convaincu que moins de liberté est nécessaire pour notre sécurité, n'oubliez pas que l'agression américaine contre l'Irak en 2003 s'est fondée sur des mensonges et personne n'a à répondre de la mort de 162 000 personnes. La France a fait le choix de ne pas soutenir cette intervention car ses réseaux de renseignement démentaient les propos même de Collin Powell. D'aucun ne pourra nier l'évidente relation entre cette période et la situation actuelle. De nos jours, les tensions en Ukraine ont été présentées comme une réponse à une tentative russe d'invasion. Cependant le 25 mars 2015, le chef de la Direction du Renseignement Militaire, le général Christophe Gomart, a déclaré :
« L'OTAN avait annoncé que les Russes allaient envahir l'Ukraine alors que, selon les renseignements de la DRM, rien ne venait étayer cette hypothèse - nous avions en effet constaté que les Russes n'avaient pas déployé de commandement ni de moyens logistiques, notamment d'hôpitaux de campagne, permettant d'envisager une invasion militaire et les unités de deuxième échelon n'avaient effectué aucun mouvement. La suite a montré que nous avions raison car, si des soldats russes ont effectivement été vus en Ukraine, il s'agissait plus d'une manœuvre destinée à faire pression sur le président ukrainien Porochenko que d'une tentative d'invasion. »
Il précise en outre que « La vraie difficulté avec l'OTAN, c'est que le renseignement américain y est prépondérant, tandis que le renseignement français y est plus ou moins pris en compte ».

Posez-vous donc la question de quelles actions mettent réellement notre sécurité en jeu ...

Si vous êtes très sceptique sur ce projet mais que vous ne savez pas quoi faire ou dire et encore moins comment le faire ou le dire, n'oubliez pas que vous n'êtes pas plus bête qu'un ou qu'une autre. Notre civilisation met en avant des élites sensées prendre les meilleurs décisions pour l'intérêt commun. Aucune de ces élites n'a été en mesure de construire un monde plus sûr ni même éviter une défaillance majeure de notre système économique hypothéquant l'avenir de chacun d'entre nous. Vous n'avez pas besoin de ces élites là ! Internet vous permet d'avoir les informations à porter de main et d'échanger avec vos semblables. Informez-vous et prenez position comme je le fait à présent ! Posez des questions et si ce n'est toujours pas compréhensible, posez à nouveau ces questions. Contactez votre député ou votre sénateur par courrier électronique ou par téléphone pour faire entendre votre opinion.

Edward Snowden disait, à propos du système des programmes de surveillance américains, que :
« L'objet de ces programmes n'a jamais été le terrorisme : c'est l'espionnage industriel, le contrôle social et la manipulation diplomatique. L'objet est bien le pouvoir. »