candle
Récemment, nous avons fêté les 101 ans de ma grand-mère. Nous sirotions une coupe de champagne, quand elle me dit tout à coup : « J'ai entendu dire que la Russie allait nous sauver ». Une remarque des plus inattendue, étant donné que nous n'avions jamais parlé de la Russie auparavant, et encore moins de politique internationale. Mais au lieu de la questionner sur cette remarque, j'ai compris que Grand-Maman était au fait du discours actuel concernant l'éventualité d'une « guerre nucléaire » entre la Russie et l'Occident et que, ayant vécu deux guerres mondiales, elle aimerait mieux éviter d'en subir une nouvelle. Alors je lui ai simplement répondu : « C'est vrai, tu as raison, Vladimir Poutine nous sauvera », et nous sommes passés à un autre sujet.

Malgré ma réponse rassurante et optimiste, je doute que Vladimir Poutine - ou quiconque, d'ailleurs - nous sauve, ou qu'il sauve le monde. Mais la remarque de Grand-Maman m'avait rendu perplexe. Je me demandais d'où elle tenait cette information. Il est peu probable qu'elle l'ait lue ou entendue dans les médias mainstream, qui sont alignés sur leurs homologues occidentaux dans leur campagne de désinformation anti-russe/anti-Poutine. Peut-être qu'un membre du personnel de la maison de retraite s'était hasardé à faire une telle remarque ? Peut-être que, par un processus de résonance limbique, ma grand-mère s'était mise sur la même longueur d'onde que les partisans de la politique du gouvernement russe, et avait pu « capter » cette information ?

Outre la question de savoir d'où venait la remarque de Grand-Maman, je me suis également interrogé sur l'influence exercée par Poutine sur la population mondiale - pas au niveau politique, économique ou géostratégique (ces aspects-là ont été traités en profondeur par d'autres observateurs), mais à un niveau plus profond, subtil et symbolique.

Mais avant d'aborder cette question, parlons d'un sujet en apparence sans rapport : la mort.

La peur de la mort

The denial of death, cover book
The Denial of Death, Ernest Becker, 1997
Grand-Maman ne veut pas vivre une troisième guerre mondiale parce que les guerres sont synonymes de mort - de morts violentes par millions ; c'est la plus grande peur de la plupart des gens.

Dans The Denial of Death (Le déni de la mort - NdT), l'auteur Ernest Becker démontre avec brio la nature paradoxale de l'homme. Nous avons la tête dans les étoiles : nous sommes capables de penser et d'imaginer les choses les plus merveilleuses, de plancher sur les concepts les plus abstraits, de résoudre les problèmes les plus complexes, de nourrir les sentiments les plus nobles, de créer les œuvres d'art les plus grandioses, et même d'imaginer l'immortalité. Mais en même temps, nous avons les pieds dans la boue ; incarnés dans des enveloppes charnelles vulnérables, nous sommes condamnés à la dégénérescence.

La conscience est notre don le plus précieux, parce qu'elle nous permet d'appréhender la stupéfiante beauté de l'Univers, mais elle est aussi notre pire malédiction. Comme le ver, l'homme est un animal. Mais contrairement au ver, l'homme est doué de la conscience de soi ; il est profondément conscient de sa mortalité et de son destin inexorable : se faire manger par les vers.

Le fait que nous soyons condamnés à mourir un jour pourrait bien être la vérité la plus tangible qu'une personne puisse atteindre, mais accepter pleinement cette vérité conduirait très certainement l'esprit le plus fort à la folie. L'horreur de notre condition est tellement accablante que nous avons inventé toutes sortes de mensonges, de distractions, d'histoires et de garde-fous pour nier la certitude de notre inévitable trépas. Cela donne lieu à des paradoxes étonnants, comme cette forme de narcissisme naturel : c'est toujours l'autre qui va mourir, mais jamais vous. Mais quand il s'agit de refouler nos peurs les plus profondes, la raison passe au second plan, ou est carrément reléguée aux oubliettes.

jacob
L'échelle de Jacob, William Blake, 1805.
« C'est ici la maison de Dieu, c'est ici la porte des cieux ! » (Genèse, 28:17)
Pour comprendre à quel point la peur de mourir est omniprésente, il suffit de regarder les religions : si elles ont eu autant de succès au cours de ces derniers millénaires, c'est parce qu'elles offraient une « solution » à la mort.

Si le fidèle suit les dogmes et rituels prescrits, il sera sauvé de la mort et obtiendra une place au « paradis ». Même si ce marché peut paraître pour le moins simpliste et trompeur, cette idée pourrait venir d'un concept plus profond et plus objectivement vrai.

En effet, une fois que l'individu affronte pleinement le fait que, malgré ses inclinations spirituelles, il n'est qu'une créature faible et mortelle, il devra aussi admettre que l'existence de la créature implique celle d'un créateur. Admettre qu'il n'est qu'une créature fragile et limitée lui permet de transcender cette condition en s'associant, grâce à la foi, à un créateur omnipotent et sans limites.

Ma grand-mère fait partie de ces gens qui ont trouvé du réconfort dans la religion. Elle croit qu'en se comportant bien sur Terre, elle sera sauvée et accédera au paradis.

Ma grand-mère a vécu à une époque où la religion imprégnait pratiquement chaque aspect de l'existence humaine ; mais pour la plupart d'entre nous, ces temps de dévotion religieuse sont révolus depuis longtemps. Depuis ces dernières décennies, une vague d'athéisme matérialiste balaie l'humanité, qui désormais ne peut plus être sauvée par Dieu, puisqu'il n'y a plus de Dieu.

Les héros, notre pont vers l'immortalité et la transcendance

Pour ce qui est d'apaiser les peurs, les héros jouent un rôle très similaire à celui que jouait Dieu jadis, via un processus de transfert sur une figure de leader/héros, comme le décrit brillamment Ernest Becker :
C'est ainsi que nous pouvons comprendre l'essence du transfert : comme un moyen de dompter la terreur. Soyons réalistes, l'Univers recèle en lui des puissances écrasantes. Au-delà de nous-mêmes, nous percevons le chaos. Nous ne pouvons pas grand chose contre cette puissance incroyable, si ce n'est ceci : nous pouvons doter certaines personnes d'une telle puissance. L'enfant focalise l'émerveillement et la terreur naturels sur des individus [...] Ainsi, revêtu des pouvoirs transcendants de l'Univers, l'objet du transfert a désormais le pouvoir de les contrôler, de les ordonner et de les combattre.

~ Ernest Becker, The Denial of Death
Ce processus s'applique à nos peurs en général et à notre peur de la mort en particulier. En nous attachant à une figure immortelle héroïque, en nous reliant à sa destinée, nous devenons également immortels.

Les Lumières définissent l'immortalité comme le fait, pour un individu, de « vivre dans l'estime d'hommes qui ne sont pas encore nés, grâce au travail qu'il a accompli pour améliorer leur existence et faire progresser l'humanité ». De ce point de vue, un héros est effectivement immortel :
Tout groupe, petit ou grand, tend vers « l'éternisation » [l'immortalisation], qui se manifeste dans la création et l'attachement aux héros nationaux, religieux ou artistiques... l'individu [héroïque] ouvre la voie au désir collectif d'éternité.

~ Otto Rank, Art and Artist, p.411
C'est l'une des raisons pour lesquelles lorsqu'un vrai héros meurt, on voit tous ces rassemblements populaires, toutes ces masses plongées dans la tristesse qui affluent aux obsèques du héros.

Bien sûr, les fidèles ne pleurent pas seulement ce disparu qui incarnait une formidable source d'inspiration et l'espoir d'un monde meilleur : ils pleurent aussi sur eux-mêmes, choqués et bouleversés par la perte de celui qui était leur rempart contre la mort, et la perte de cette grande âme leur rappelle douloureusement leur propre mort inéluctable.

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© InconnuLes funérailles de JFK. En l'espace de 18h, 250 000 personnes, certaines ayant fait la queue sur des kilomètres pendant 10h, rendirent personnellement hommage au président.
Remarquez que, lorsqu'un héros meurt, des rues, des bâtiments, des aéroports sont immédiatement rebaptisés du nom du défunt, comme si nous voulions l'immortaliser physiquement afin de compenser, en quelque sorte, sa disparition physique.

La peur de la mort est certes puissante, mais elle n'est pas l'unique motivation pour s'attacher à des héros. L'homme tend naturellement vers le bien, l'un des deux mystères sublimes de la création selon Emmanuel Kant, ce qu'il appelait « la loi morale intérieure à l'homme ». L'homme aspire en son for intérieur à la beauté, à l'harmonie, à la perfection.

Conscient de son isolation et de sa faiblesse, l'homme peut choisir de s'associer à une figure héroïque animée par des idéaux, des valeurs et des objectifs qui s'accordent aux siens, voire qui les transcendent. Ainsi, il peut devenir partie intégrante de quelque chose de plus grand, il peut se sentir croître, trouver une source d'inspiration à laquelle se fier.

Pour Carl Jung, ce besoin de s'identifier à une figure héroïque est si fort qu'il l'a même qualifié d'« instinct ». Cette identification vient combler le besoin individuel de transcendance, de complétude, le besoin d'atteindre quelque chose de plus vaste et de plus grand que soi.

De ce qui précède, on peut voir que s'attacher à une figure héroïque offre plusieurs bénéfices majeurs, comme le fait de soulager la peur et de nous orienter dans une direction positive. Toutefois, cela peut aussi prendre des proportions excessives, comme nous allons le voir.

Le cas des suiveurs autoritaristes

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Berlin, Allemagne, 01/05/1934. Une foule salue Hitler le jour de la fête du travail
Le terme « Right Wing Authoritarians » (autoritaristes de droite) décrit un type spécifique de suiveur autoritariste. Ce terme a été inventé en 1981 par le psychologue canadien Bob Altmeyer.

Les deux principaux traits psychologiques du suiveur autoritariste sont un fort degré de soumission aux autorités perçues, et une agressivité dirigée contre les individus qui s'opposent à cette autorité perçue.

Les RWA sont-ils ainsi parce qu'ils ont une peur accrue de la mort et qu'ils ne possèdent pas de boussole interne ?

Pour illustrer ce point, je vais partager quelques souvenirs personnels. Je me rappelle plusieurs débats enflammés à propos de la mort. En général, la moitié des participants étaient profondément convaincus qu'il n'y avait rien après la mort, et en avaient logiquement peur. Quant à l'autre moitié, elle était tout aussi convaincue que la mort était une sorte de transition, et que l'âme poursuivait son voyage après la mort. Cela ne veut pas dire que ces personnes n'avaient pas peur de la mort, de la souffrance, ou du changement et de l'incertitude qui l'accompagnent. Mais dans l'ensemble, elles étaient probablement moins terrorisées par la mort que les autres.

Et si les deux groupes avaient raison ? En fait, c'est ce que suggèrent certains philosophes comme Mouravieff ou Gurdjieff lorsqu'ils font allusion à la coexistence de deux types d'êtres humains : ceux dotés d'une âme, et ceux qui en sont dépourvus. Si c'est le cas, cela expliquerait les différences entre les personnes évaluées sur l'échelle du suiveur autoritariste. Les personnes qui ne possèdent pas encore d'âme individuée ont peut-être davantage besoin d'un leader que les autres en raison de leur crainte profonde (et justifiée) de la mort et leur manque de boussole interne (leur manque de conscience).

Dans les superorganismes, comme les colonies de fourmis ou d'abeilles, les individus présentent une forte soumission aux règles collectives, et s'ils sont bien orientés, ils atteignent des résultats collectifs qui dépassent de loin la somme de leurs contributions individuelles. On pourrait arguer que, du point de vue de l'évolution, l'obéissance à une autorité extérieure aboutit à un groupe plus cohérent et efficace, ce qui accroît alors ses chances de survie... si l'autorité est bénéfique et œuvre dans l'intérêt du groupe.

Donc, il n'y a rien de mal à être un suiveur. Le problème est que la plupart de nos dirigeants ont une influence néfaste sur leurs suiveurs. Pour empirer les choses, les individus psychopathiques semblent être les principaux candidats à des positions de leadership en raison de leur assurance et de leur audace sans vergogne, de leur charisme apparent et de leur capacité à mentir et à manipuler. En conséquence, ils sont surreprésentés chez les dirigeants.

cognitive disonance
Mais adhérer aux valeurs et aux objectifs d'un dirigeant malfaisant peut provoquer une forte dissonance cognitive chez ses partisans. D'un côté, le substrat animal/instinctif de l'individu désire suivre un leader et faire partie de la meute ; mais de l'autre, son inclination naturelle au bien est incompatible avec les mauvaises actions perpétrées par le groupe.

La seule façon de réconcilier ces deux forces antinomiques est d'accepter les mensonges. Les mensonges répandus par le dirigeant permettent au suiveur/partisan de faire partie du groupe tout en croyant faire le bien.

Voilà pourquoi les dirigeants psychopathiques déforment la réalité : ils ne parlent pas de guerres de conquête, mais de « liberté et de démocratie », ils ne parlent pas d'asservissement, mais de garantir notre sécurité, il ne parlent pas de coup d'État, mais de révolution populaire...

Mais que se passerait-il si un dirigeant bienveillant émergeait et utilisait l'instinct de suiveur des autoritaristes dans leur intérêt (et dans celui de toute la population), en suscitant, par l'exemple et la suggestion, des améliorations de la connaissance, la compassion, le progrès et la cohésion de la communauté ?

La puissance des symboles et des archétypes

Dans l'expérience de Milgram, une figure d'autorité demande à des sujets d'administrer des décharges électriques à un « élève ». Les sujets sont assis devant un pupitre muni de manettes envoyant des décharges électriques. Des inscriptions sous les manettes mentionnent la puissance des décharges ainsi que le niveau de douleur : de « choc léger » à « attention, choc dangereux », le niveau maximal étant « XXX ». Dans l'expérience originelle, le sujet ne peut voir la « victime », mais peut l'entendre.

L'expérience montra que 80 % des participants étaient prêts à monter jusqu'à 285 volts (à ce stade, l'« élève » émet des hurlements d'agonie). Plus de 62 % étaient prêts à administrer la décharge maximale (450 volts), malgré les hurlements des victimes et les mentions « choc dangereux » et « XXX » !

Mais l'expérience de Milgram révéla un autre résultat moins connu : des variantes de l'expérience montrent que c'est la légitimité de l'autorité qui suscite avant tout l'obéissance, légitimité principalement transmise au moyen de symboles :
  • lorsque l'expérience était conduite dans des bureaux délabrés plutôt qu'à l'impressionnante Université Yale, le taux d'obéissance chutait ;
  • quand l'expérimentateur portait des vêtements de tous les jours au lieu d'une blouse blanche (symbole d'autorité scientifique), le taux d'obéissance chutait également.
baby
Publicité pour un journal avec en vedette un adorable bébé. Qu'est-ce qu'un bébé a à voir avec un journal ? Rien, mais cela déclenche une association positive.
Les symboles déclenchent des émotions puissantes et des réactions inconscientes, et ce n'est qu'après-coup que notre intellect élabore une « histoire » afin de rationaliser un comportement irrationnel et en grande partie inconscient.

L'industrie publicitaire a compris cela il y a des années, et l'utilise à son avantage. Les pubs court-circuitent notre centre intellectuel et activent directement notre centre émotionnel.

Le but principal d'une pub n'est pas d'affirmer que telle ou telle voiture est plus rapide, ou que telle ou telle lessive lave plus blanc (raisonnement rationnel), même si c'est le message affiché. Le but est de vous faire associer le produit à des émotions positives. C'est pourquoi on vous montrera toujours une belle femme à côté d'une voiture ou un adorable bébé à côté d'un bidon de lessive, avec une musique agréable en fond sonore.

Et ça marche. Ça marche tellement bien que des études montrent que les pubs déclenchant des associations positives vous feront choisir un produit dont vous savez parfaitement qu'il est inférieur à ses concurrents.

Bien sûr, après avoir acheté le produit, le consommateur rationalisera sa décision irrationnelle au moyen d'arguments intellectuels : la voiture qu'il a achetée est plus fiable et plus économique. C'est peut-être le cas, mais la vraie raison de l'achat est émotionnelle : la forme de la voiture, son nom ou le contenu de la pub ont suscité des émotions positives désormais attachées au produit acheté.

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Plusieurs personnages archétypaux figurant dans Star Wars
Pour ce qui est des dirigeants et des héros, les symboles et les émotions sont encore plus puissants, parce que le héros est un archétype majeur. Les archétypes sont des motifs humains fondamentaux ancrés dans l'inconscient collectif. Ils sont profonds, instinctifs et automatiquement reconnus dans les images et les émotions. Plus que tout autre concept, ils sont directement et intimement reliés à notre inconscient.

Pour Jung, tout le monde porte dans son subconscient le même motif de base inné de ce qu'est un « héros » ; cela explique pourquoi des gens qui ne parlent pas la même langue peuvent apprécier les mêmes histoires et résonneront de façon identique avec un héros archétypal.

Prenons l'exemple de Star Wars. Sans doute le film le plus populaire de tous les temps, une des raisons de son succès phénoménal pourrait être sa nature profondément archétypale. George Lucas a étudié en profondeur les travaux de Joseph Campbell (auteur du Héros aux mille et un visages) et a incorporé de nombreux traits de la quête du héros archétypal dans ses films, ce qui fait de Star Wars une création profondément et universellement captivante.

Qu'est-ce qu'un héros ?
Le véritable héroïsme est remarquablement sobre (...) il ne réside pas dans l'envie de dépasser les autres à tout prix, mais dans celle de servir les autres à tout prix.

~ Arhur Ashe
À présent que nous connaissons le rôle joué par les héros dans notre subconscient, tentons de comprendre les traits majeurs d'un héros. Avant tout, le héros fait montre de courage, en particulier face à la mort.

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Le lieutenant de la Navy JF Kennedy à bord du PT-109
Si un héros affronte la mort sans broncher, en nous identifiant à lui (ou elle), nous pouvons apaiser notre peur viscérale de la mort. Mais il ne s'agit pas d'une attitude de défiance vis-à-vis de la mort, de cette attitude boostée à l'adrénaline que l'on retrouve aujourd'hui chez les pseudo-héros pratiquant des sports à haut risque (par exemple) ; il s'agit au contraire d'une forme de courage allié à des principes moraux. Les héros font passer les principes supérieurs tels la justice, la liberté et la loyauté avant tout le reste, y compris leur propre vie.

Lorsque Sylla ordonna à Jules César de répudier sa femme Cornelia, le jeune époux (qui n'avait que 16 ans à l'époque) refusa, encourant de ce fait la peine de mort. L'intervention de plusieurs amis de sa famille permit d'alléger la sentence. Au final, César fut privé de la fortune de Cornelia et fut proscrit. Dans ce cas, il avait eu le courage d'affronter la mort plutôt que de renier les liens sacrés du mariage et son amour pour Cornelia.

Dans une veine similaire, JFK risqua sa vie, et échappa miraculeusement à la mort, pour sauver son équipage dont le patrouilleur avait été coupé en deux par une torpille japonaise. Pour JFK, la vie de son équipage était plus importante que sa propre vie.

Quant au président russe Vladimir Poutine - aujourd'hui principal défenseur des pauvres et des faibles, et seul opposant sérieux à l'expansion destructrice de l'empire US - on pourrait arguer qu'il risque sa vie en permanence. Regardez Fidel Castro, qui même s'il constituait une menace bien plus insignifiante pour l'empire US, aurait subi 638 tentatives d'assassinats orchestrées par la CIA ; pourtant, il n'a jamais renié ses principes consistant à défendre le peuple cubain.

Vladimir Poutine, héros archétypal

Ce que Poutine a accompli pour la Russie depuis sa première élection en 2000 n'est rien de moins qu'un miracle économique et social. Le tableau ci-dessous montre l'évolution des principaux indices économiques et sociaux de la Russie sur la période 2000-2014.
russia stats
© The Guardian/AwaraÉvolution de la Russie (2000/2014)
La plupart des politiciens occidentaux vendraient leur âme pour ne serait-ce qu'un dixième de ces résultats. Ils seraient également ravis d'avoir la côte de popularité exceptionnels de Poutine. Depuis juin 2014, Poutine jouit d'un taux d'approbation de près de 90 %. Mais malheureusement, tous les politiciens ne sont pas Vladimir Poutine.

En fait, la popularité de Poutine dans son propre pays dépasse de loin l'enthousiasme que suscitent habituellement les dirigeants politiques. Des millions d'objets souvenirs à l'effigie de Poutine se vendent chaque année. Dans son pays, Poutine est bien plus qu'un brillant homme d'État ou un homme politique exceptionnel. En Russie, il est plus vénéré que n'importe quelle rock star ; c'est un héros national.

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Des Russes arborant et vendant des t-shirts à l'effigie de Poutine.
Vous porteriez un t-shirt à l'effigie d'Obama ?
Certains analystes attribuent cet engouement à une propagande pro-Poutine soigneusement planifiée et orchestrée par des médias contrôlés par l'État. Mais dans ce cas, comment expliquer sa côte de popularité phénoménale en Grande-Bretagne, en Europe, ou même aux États-Unis ? Comment expliquer ses 92 % de popularité en Chine et la fascination littérale du peuple chinois pour Vladimir Poutine ?

Étonnamment, en dépit d'un « Poutine bashing » systématique de la part des médias occidentaux, Poutine a un taux de popularité plus élevé que les dirigeants politiques occidentaux dans leurs propres pays. Par exemple, un récent sondage de lecteurs révèle que 4 Britanniques sur 5 préfèreraient Poutine à Cameron comme Premier ministre de la Grande-Bretagne.

La position fortement anti-Poutine des médias occidentaux, en contradiction avec son taux de popularité si élevé, suggère que la reconnaissance d'un leader par le peuple n'est pas fortement influencée par les données, analyses ou mots. Quelque chose d'autre est à l'œuvre.

Le processus à l'œuvre ici pourrait être illustré par cette conversation en apparence innocente que j'ai eue il y a quelques semaines. Un ami me décrivait toutes les horribles choses que fait Poutine (selon la presse occidentale, bien évidemment). Je lui dis : « Alors tu dois vraiment détester Poutine ». Il me répond : « Non, pas du tout, je l'aime bien, c'est mon homme d'État préféré ». Interloqué par cet apparent paradoxe, je lui demande : « Pourquoi tu l'aimes bien, s'il fait tant de mal ? » Sa réponse finale en dit long : « Parce que j'aime sa démarche quand il sort du Kremlin, il marche comme un homme ».

En entendant ça, je me suis rappelé le livre de Gustave Le Bon, Psychologie des foules. L'auteur montre que ce ne ne sont pas les aspects analytiques (raisonnement logique, faits bruts, déductions scientifiques, etc.) qui séduisent les gens, mais des choses simples, comme des slogans, des images et des symboles.

Un homme d'État peut faire les discours politiques les plus éloquents, avoir le soutien de tous les experts et les louanges de journalistes serviles, s'il ne possède pas les attributs symboliques d'un grand leader, à un niveau profond, il ne sera jamais considéré comme tel par les gens. L'archétype du héros est tellement puissant que nous sommes capables d'identifier viscéralement les héros. Cette capacité est probablement ancrée dans notre substrat instinctif depuis l'aube des temps. Depuis des millions d'années, des groupes d'animaux comme les singes ou les loups identifient naturellement les mâles alpha, mettent en place une hiérarchie et jouent leur rôle dans l'intérêt du groupe.

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« Poutine à 63 ans, un vrai macho » - une des photos utilisées pour le discréditer. À un niveau symbolique, cette tentative a probablement eu l'effet inverse
Vous remarquerez l'ironie de la situation : les médias mainstream tentent de ridiculiser Poutine en inventant ou en déformant certains de ses traits. Ils se focalisent particulièrement sur ce qu'ils appellent son machisme (Poutine torse nu, Poutine qui fait du sport, Poutine qui tire à la carabine, etc.). Ils ne réalisent peut-être pas que leur tentative de ridiculiser Poutine auprès de la population (tentative qui a peut-être porté ses fruits à un niveau conscient) a probablement eu l'effet inverse aux niveaux plus fondamentaux, inconscients/symboliques, car à ces niveaux-là, ces traits (virilité, etc.) sont considérés comme des attributs symboliques associés à l'archétype du héros.

Vladimir Poutine a fait une entrée spectaculaire sur la scène internationale à l'été 2014, en défendant les habitants de l'Est de l'Ukraine et de Crimée contre les assauts répétés du régime de Kiev soutenu par les Occidentaux. Il a ensuite consolidé son statut de dirigeant exceptionnel le 30 septembre 2015, quand il a ordonné à l'aviation russe d'intervenir en Syrie pour contrer la menace mondiale n°1 : l'État islamique, un groupe défini (et ce n'est pas un hasard) par sa capacité à susciter la peur de la mort chez le public occidental.

Aux yeux du peuple, cette intervention courageuse et efficace a de facto valu à Poutine le rôle de gardien de la paix mondiale, de dirigeant protecteur de la population. À travers l'intervention syrienne, Poutine est devenu, volontairement ou non, un héros d'envergure mondiale.

Peur induite par le terrorisme et hystérisation

Le XXIe siècle est celui de la terreur. Cela a commencé avec les attentats du WTC en 2001, et cela s'est poursuivi avec les attentats de Madrid (2004), ceux du métro de Londres (2005), les attentats multiples de Bombay (2008), l'attentat de Sousse en Tunisie (2015) et les deux massacres à Paris (2015), pour ne citer que les exemples les plus frappants.

Cette longue série d'attentats terroristes a exacerbé notre peur de la mort parce que, désormais, un attentat peut avoir lieu n'importe où, n'importe quand. Chacun d'entre nous est une cible potentielle. Chacun d'entre nous peut mourir à tout moment, même si nous sommes en parfaite santé et prenons toutes les précautions nécessaires.

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Le chancelier Adam Sutler (V pour Vendetta)
La peur de la mort exacerbée par le terrorisme pourrait expliquer pourquoi les stars (de la musique, du cinéma ou du sport) sont si populaires de nos jours : elles sont les héros, bien qu'artificiels, de nos sociétés actuelles. Elles possèdent l'apparence du héros, mais pas sa substance. Bref, ce sont des pseudo-héros.

Le terrorisme opère de façon sournoise. En exacerbant notre peur de la mort, il accroît notre besoin de sécurité, et donc notre dépendance aux autorités.

Comme l'illustre le chancelier Adam Sutler dans le film V pour Vendetta : « Je veux que ce pays réalise que nous allons sombrer dans l'oubli. Je veux que chaque homme, femme et enfant comprenne que nous sommes au bord du chaos ! Je veux que chacun se rappelle pourquoi il a besoin de nous ! »

Ironiquement, le terrorisme nous pousse à soutenir les dirigeants qui, très souvent, sont précisément les architectes du terrorisme.

En outre, la peur induite par le terrorisme nous hystérise, nous embrume le cerveau, désactive notre pensée critique et nous fait prendre les plus grossiers mensonges pour la vérité.

Pendant longtemps, cette stratégie fut payante, parce qu'il n'y avait pas d'alternative. Tout ce que nous avions, c'était des dirigeants néfastes et des versions mensongères des événements. Même si nombre de gens avaient des doutes sur l'intégrité de leurs dirigeants, ils préféraient se soumettre à ces autorités peu reluisantes que d'affronter la terreur de la mort sans autorité/sauveur pour l'apaiser.

Mais comme l'a un jour dit Lincoln : « On peut tromper une partie du peuple tout le temps et tout le peuple une partie du temps, mais on ne peut pas tromper tout le peuple tout le temps. »

vote turnout trend
Évolution de la participation électorale dans cinq pays sélectionnés
Aujourd'hui, un Étatsunien sur deux a des doutes sur la version officielle du gouvernement concernant les attentats du 11/9. Plus de 60 % des Étatsuniens pensent que JFK a été victime d'un complot. 62 % des électeurs britanniques pensent que les « politiques mentent tout le temps et qu'on ne peut pas croire un seul mot de ce qu'ils racontent ». En parallèle, le parti le plus populaire dans presque tous les pays développés est celui de l'abstention, et il continue de gagner du terrain.

Il y a donc beaucoup de gens désillusionnés sur cette planète. Beaucoup de gens qui désapprouvent les élites, qui voient à travers les mensonges mais qui restent silencieux parce qu'ils se sentent isolés, désemparés et menacés. Tous, sans exception, ont soif de vérités spirituelles qui permettraient d'alléger le fardeau de l'existence. En effet, de telles vérités spirituelles sont leur droit fondamental, dans un monde idéal bien entendu. Je me demande souvent ce qui arriverait si ces gens avaient face à eux un dirigeant/héros d'envergure internationale qui désire véritablement et sincèrement apaiser leurs pensées, désirs et peurs cachés - un héros/leader qui défend la vérité et la justice ?

Conclusion

Avec un héros comme Poutine, la donne a changé. Le terrorisme intensifie toujours notre peur de la mort et donc, notre besoin de héros, mais c'est devenu une épée à double tranchant, car il peut pousser les gens dans les bras de Poutine.

Il est certain que Poutine séduit profondément tous ceux qui partagent sa vision du monde : justice, multipolarité, respect des nations souveraines, fin des guerres d'agression, interdiction des OGM, respect des religions, véritable neutralisation du terrorisme, réduction des inégalités, fin de la désindustrialisation, etc., ... mais pas seulement ces gens-là. Certains de ses futurs partisans pourraient même figurer à l'opposé du spectre politique.

L'une des découvertes les plus intéressantes concernant la personnalité autoritariste est qu'elle est loyale à un dirigeant, mais pas nécessairement à une idéologie en particulier. Les autoritaristes peuvent, par conséquent, très facilement basculer d'un dogme à l'autre, si le dirigeant leur convient. Ce point a été illustré par Adorno et al., qui soulignent qu'un dirigeant peut faire basculer une personnalité autoritariste du catholicisme vers le communisme. Dans la même veine, ils mentionnent les nombreux fervents nazis d'Europe de l'Est qui se sont transformés en fervents communistes après la guerre.

Même les conservateurs Étasuniens n'ont pas manqué de remarquer la nature héroïque de Vladimir Poutine :
L'analyste stratégique de Fox News, Ralph Peters, a déclaré : « [La Russie] a un vrai leader, tandis que notre président est un incapable qui rechigne à gouverner. »

L'ancien maire de New York, Rudy Giuliani : « Quand Poutine prend une décision, il l'exécute en une demi-journée, avec diligence, et tout le monde réagit. C'est ce qu'on appelle un vrai leader. »

Sarah Palin : « Quand les gens regardent Poutine, ils voient un type qui se bat contre des ours et fait du forage pétrolier, tandis que notre président porte des jeans de mémère et tergiverse. »

Donald Trump : « [Poutine] conduit son pays, au moins c'est un dirigeant, contrairement à ce que nous avons dans notre pays ».
Ces représentants connaissent leurs électeurs et savent ce qu'ils veulent (un dirigeant fort). Ils ont immédiatement reconnu un tel leader en la personne de Poutine et se servent de son exemple pour rabaisser leur rival démocrate Obama. Ce qu'ils ne voient peut-être pas, par contre, c'est qu'au final, Poutine pourrait bien puiser dans leur réservoir de partisans - les autoritaristes typiques - parce qu'il possède davantage qu'eux les attributs héroïques qui attirent ce type de personnalités.

L'entrée de Poutine sur l'arène héroïque a également révélé l'insipidité de pseudo-dirigeants comme Obama et Hollande. Sur Internet, on trouve pléthore de comparaisons entre Poutine et ces pseudo-dirigeants. Même si ces blagues peuvent paraître inoffensives, elles révèlent une vérité plus profonde, ce qui explique probablement leur grande popularité. Elles symbolisent le contraste frappant entre les attributs héroïques de Vladimir Poutine (courage, virilité, etc.) et la mollesse teintée de couardise de ses homologues.
putin vs obama
© Inconnu
Les élites sont conscientes de la puissance symbolique et politique des héros. Voilà pourquoi dès qu'une célébrité ose contredire la « vérité » officielle (voyez l'exemple de Charlie Sheen), elle est descendue en flamme par tous les représentants des médias, parce que les stars ont une grande influence sur nos opinions et croyances (une influence bien plus grande que celle des politiques ou des journalistes).

En effet, la bataille la plus décisive se livre dans nos esprits ; il s'agit d'influencer nos émotions et pensées. C'est pourquoi l'essor de la chaîne de TV Russia Today est perçu comme une telle menace par Washington. Pour avoir une dimension internationale, un héros a besoin d'un public international. Une présentation exhaustive de la vérité nécessite une couverture mondiale. C'est désormais le cas. Poutine a émergé de façon spectaculaire, avec force, sur la scène internationale, et la Russie est devenue un joueur d'envergure mondiale.

Le système global oppressif est toujours basé sur le mensonge, mais aujourd'hui, nous avons une autorité qui présente une version authentique des événements. Et il est bien plus facile de discerner entre les mensonges et la vérité lorsqu'on peut examiner les deux, que d'identifier un mensonge quand nous n'avons en tout et pour tout que des versions faussées présentées ad nauseam comme l'unique vérité.

Bref, comme je l'ai déjà dit, il est peu probable que Poutine « sauve l'humanité », mais il nous offre à tous un précieux cadeau : l'opportunité de comparer les paroles et les actes de nos dirigeants occidentaux, et par là-même, la possibilité de choisir de nous aligner sur des valeurs véritablement positives, et de choisir la vérité au lieu des mensonges. Et c'est un cadeau d'enfer ! (Au fait, l'enfer n'existe pas, alors n'ayez pas peur).