La CIA a lancé il y a quelques jours une campagne de déstabilisation massivement relayée par les médias de l'establishment à l'encontre de Donald Trump. S'il est peu probable que l'agence et ses relais parviennent à compromettre l'investiture du candidat républicain, les allégations d'intelligence avec la Russie lancées à l'encontre du magnat de l'immobilier sont destinées à saboter le changement de politique étrangère voulu par le futur président américain, et plus particulièrement l'abandon de la politique de confrontation avec la Russie.
Michael Morell
© Jason Reed / ReutersMichael Morell
Avant de revenir sur la teneur de ces accusations et leur consistance, il est nécessaire de rappeler le contexte dans lequel se sont déroulées les élections présidentielles.

Hillary Clinton, comme l'ont montré les « Podesta leaks » était ainsi non seulement la candidate de Wall-Street, mais aussi celle de l'appareil médiatique mainstream avec lequel elle a noué des liens « privilégiés » et une véritable collusion d'intérêts, ainsi que je l'avais exposé dans un précédent article. Cette collusion s'était notamment traduite par un parti-pris systématique des médias dominants en faveur de la candidate dans la couverture de la campagne, allant jusqu'à fournir à l'équipe de l'ancienne secrétaire d'état les questions qui lui seraient posées au cours des débats télévisés de la primaire démocrate.

Une fracture idéologique avec les néo-conservateurs

Au sein du « Deep State », dont le noyau dur comprend les grandes agences de renseignement ainsi que l'administration militaire, Hillary Clinton a bénéficié du soutien actif de la CIA, notamment par l'intermédiaire de son ancien directeur Leon Panetta qui a officiellement annoncé son soutien à la candidate durant l'été 2016. En août de la même année, c'est Michael Morell, ancien haut fonctionnaire de la CIA, qui avait annoncé son soutien à la candidate démocrate dans une tribune au New-York Times, affirmant déjà que Donald Trump était « manipulé » par Vladimir Poutine et se comportait comme un « agent involontaire de la Fédération de Russie ». On retrouvait également dans l'équipe de campagne de Mme Clinton Jeremy Bash, ancien chef de cabinet à la CIA sous la direction de Leon Panetta, qui occupait la fonction de « conseiller pour la politique étrangère ». Selon ce dernier, l'une des premières actions d'une présidence Clinton aurait été de redéfinir la politique suivie en Syrie en faisant de la lutte contre le régime de Bachar al-Assad la priorité...

On voit ainsi que ce qui se dessinait dès l'été 2016 dans le soutien de la CIA à Hillary Clinton, c'était la continuation de la politique d'affrontement avec la Russie dans une logique de nouvelle guerre froide, au nom de l'exceptionnalisme américain, doctrine promue dans l'histoire récente par les néo-conservateurs et l'équipe Bush. Ces derniers se sont ainsi engagés massivement derrière la candidate démocrate. Robert Kagan, l'auteur de la feuille de route idéologique des néo-conservateurs mise en œuvre sous G.W.Bush, le Plan pour un nouveau siècle américain (PNAC) s'est ainsi engagé derrière Hillary Clinton, ainsi que Paul Wolfowitz ou encore Richard Armitage, respectivement conseiller spécial et secrétaire d'état dans l'ancienne administration Bush.

Pour ces tenants de l'exceptionnalisme américain qui voient dans l'Amérique une « deuxième Israël », c'est à dire une nation « élue de Dieu » et destinée à dominer et à gouverner le monde, le programme et la ligne idéologique de Donald Trump est une catastrophe car il se situe à l'exact opposé. Ce dernier est fortement inspiré par le courant libertarien qui procède d'une vision politique libérale néo-classique marquée par l'attachement aux libertés individuelles et le recul du champ d'intervention de l'état. La centralité du droit et de la liberté individuelle face à la puissance étatique considérée comme arbitraire et parasitique sur le plan économique, se traduit au niveau international par une politique dite « isolationniste » basée sur le respect du principe de souveraineté et la non-ingérence, soit l'exact opposé de l'exceptionnalisme.

Cette ligne idéologique est par exemple représentée par Ron Paul, candidat libertarien à l'élection de 2008, président du Ron Paul Institue for Peace and Prosperity, et qui intervient régulièrement sur le site Infowars qui a joué un rôle déterminant dans la victoire de Donald Trump. Il s'agit également de représentants des milieux économiques et financiers opposés au capitalisme de prédation et de connivence mis en place par le « Deep State », parmi lesquels on peut citer l'investisseur Bill Bonner, président des publications Agora, qui ne cesse de dénoncer la « parasitocratie » et le « marigot » de Washington.

Donald Trump a également bénéficié de soutiens au sein du FBI, notamment d'agents et de cadres ayant eu accès aux emails de la candidate démocrate stockés sur le serveur personnel de sa collaboratrice Huma Abedin et retrouvés par l'agence fédérale dans le cadre d'une enquête sur les agissements pédophiles de son mari. Ces agents auraient été profondément choqués par leurs découvertes et la véritable nature de la candidate démocrate. Ils auraient ainsi fait pression sur leur directeur James Comey afin qu'il annonce la réouverture de l'enquête en pleine campagne présidentielle.

Une opposition frontale aux médias du système

Malgré les doutes légitimes sur la volonté de Donald Trump « d'assainir le marigot » inspiré par la constitution de son équipe gouvernementale, le candidat républicain a cependant faits certaines déclarations et annoncé de futurs décisions clairement hostiles à l'establishment et aux compères actuellement en place à Washington. Immédiatement après sa victoire il a ainsi dicté les nouvelles règles du jeu aux médias en convoquant les « top managers » d'ABC, MSNBC, CBS, CNN et Fox News à son domicile. L'entrevue, rapportée notamment par Zero hedge, a consisté en un recadrage violent. Selon un participant le milliardaire aurait commencé l'entrevue en déclarant :
« Nous nous trouvons dans une pièce remplie de mensonges, ceux des médias trompeurs, malhonnêtes et qui se sont tous plantés. »
Il se serait ensuite adressé à chacun des représentants des différentes chaînes pour leur faire part de ses reproches. Il aurait notamment déclaré au président de CNN Jeff Zucker :
« Je déteste votre chaîne, tous les journalistes à CNN sont des menteurs, vous devriez avoir honte. » Un des participants à la réunion concluait ainsi : « comment cela ne pourrait-il pas influencer notre couverture ? »
Consécutivement à cette mise au point musclée, Trump a mis en place une communication visant à court-circuiter les médias mainstream en remplaçant les traditionnelles conférences de presse par un mode d'expression direct passant par les réseaux sociaux comme twitter, ce qui a pour effet de briser leur monopole traditionnel d'accès à l'information en faveur des médias indépendants sur lesquels le milliardaire s'est appuyé au cours de sa campagne. Alors que les grandes rédactions disposent d'accès privilégiés ou de bureaux à la Maison Blanche, ils sont obligés de faire le pied de grue devant la « Trump Tower » ou de surveiller le compte twitter du milliardaire comme simple « followers »...

Ce premier point permet ainsi de comprendre la complaisance avec laquelle la presse et les médias dominants relaient actuellement la campagne de la CIA prétendant que la Russie a aidé matériellement Donald Trump à remporter l'élection présidentielle.

La remise en cause du capitalisme de connivence dans l'industrie de la défense

Au cours de sa campagne présidentielle, Donald Trump a mis en cause le capitalisme de connivence en place dans le secteur de la défense, dont le budget englouti à lui seul près de 577 milliards de dollars en 2015, soit 4% du PIB. Trump a également fustigé la pratique des « revolving doors » qui voit nombre d'anciens hauts gradés du Pentagone passer au service des multinationales de l'armement une fois leur carrière terminée. Il a ainsi déclaré sur Fox News :
« Les gens qui passent ces contrats pour le gouvernement ne devraient jamais être autorisés à aller travailler ensuite pour les entreprises avec lesquelles ils ont traité ».
Selon le site spécialisé opex360 :
« Le dernier exemple en date est celui du général Mark Welsh, l'ancien chef d'état-major de l'US Air Force. Ce dernier vient d'être nommé au conseil d'administration de Northrop Grumman, l'industriel auquel il a attribué, avant de quitter le service, un contrat de 80 milliards de dollars pour le développement et l'achat de 100 bombardiers stratégiques B-21 Raider. »
A cette pratique de « capitalisme de connivence » dénoncée par le courant libertarien, il faut ajouter les liens qui unissent les néo-conservateurs, soutiens d'Hillary Clinton, au complexe militaire. L'épouse de Dick Cheney a par exemple fait partie du directoire de Lockeed Martin, Paul Wolfowitz a travaillé pour Nothrop Grumman...

Dans un tweet daté du 12 décembre, Donald Trump a par ailleurs fustigé le coût exorbitant du programme F-35 de Lockeed Martin, estimé à 159 millions de dollars par appareil alors que ces derniers souffrent encore de nombreux dysfonctionnements les rendant largement inaptes au service actif, le qualifiant de « hors de contrôle » et affirmant que « des milliards de dollars seront économisés sur les achats militaires (et autres) après le 20 janvier. »

Les accusations de la CIA démenties par le FBI et Wikileaks

La campagne actuelle initiée par la CIA contre Donald Trump résulte donc de la conjonction d'intérêts entre les néo-conservateurs et leurs cercles d'influence au sein de l'agence et du Pentagone, décidés à rester accrochés à leur rente de situation, mais aussi des médias dominants humiliés par le candidat républicain. Elle vise avant tout à donner consistance aux affirmations de l'équipe de campagne d'Hillary Clinton qui avait lancé cette campagne pendant l'été afin de faire contre-feux et de discréditer les « Podesta leaks ».

Le rapport de la CIA dénonçant l'ingérence des services secrets russes dans l'élection américaine et les désignant comme source des « Podesta leaks » a ainsi « fuité » de manière organisée dans les médias par l'intermédiaire du Washington Post, qui fut peut-être le journal le plus hostile à Trump durant la campagne et à la pointe de la campagne contre les « Fake news » sur les réseaux sociaux accusées là encore d'être une production des services secrets russes et d'avoir fait basculer l'élection. Les médias dominants se sont ainsi largement emparés de l'obsession anti-russe traditionnelle des néo-conservateurs et de la CIA, héritée de la guerre froide, qu'ils ont abondamment relayé.

Cependant, les affirmations de l'agence américaine ne reposent pour l'instant sur aucune preuve concrète, et le FBI a refusé de co-signer la déclaration communiquée au sénat.

Wikileaks, par l'intermédiaire de son porte-parole Julian Assange, avait déjà démenti ces accusations le 4 octobre dernier en affirmant : « Toutes les déclarations sur les liens qui auraient existé entre WikiLeaks et la Russie sont absurdes ».

Alors que la campagne orchestrée par la CIA ressemble fort à un recyclage de la rhétorique du staff de campagne d'Hillary Clinton et que l'agence ne semble pas en mesure d'avancer de preuves solides démontrant un piratage russe de la boite email de John Podesta, l'ancien ambassadeur britannique Craig Murray, qui est un proche de Julian Assange, a affirmé au Gardian connaître l'identité de la personne ayant fourni les « Podesta leak » à Wikileaks. Il s'agit selon lui d'une fuite provenant d'un insider de Washington et non d'un hack perpétré par une puissance étrangère, en l'occurrence la Russie.

Il faut noter que tous les leaks jusqu'à présent ont été le fait d'insiders ayant un accès direct aux données, ce furent par exemple le cas de Bradley Manning condamné à trente-cinq années d'emprisonnement aux états-unis, d'Edward Snowden actuellement réfugié en Russie, de l'ingénieur réseau Hervé Falciani à l'origine des « Swiss leaks » condamné à cinq ans de prisons en Suisse, ou encore d'Antoine Deltour et Raphaël Halet collaborateurs d'un cabinet d'audit à l'origine des « Lux leaks » et condamnés en juin 2016 à neuf et douze mois de prison avec sursis par la justice luxembourgeoise...

Comme le dit justement Craig Murray :
« Si ce que disait la CIA était vrai, et le rapport de la CIA fait référence à des personnes dont les liens avec la Russie sont connus, ils auraient déjà arrêté quelqu'un [...] L'Amérique n'a jamais hésité a arrêter des lanceurs d'alerte ni à extrader des hackers. Ils ne savent tout simplement pas qui est à l'origine des fuites.»

Guillaume Borel est un analyste politique. Il est l'auteur de l'ouvrage Le travail, histoire d'une idéologie - Éditions Utopia: 2015. Il s'intéresse à la géopolitique, aux questions de macro-économie, de propagande et de manipulations médiatiques.