Commentaire : Nous avons du mal à imaginer que ce que nous pensons être notre personnalité, nos pensées, nos schémas mentaux, toutes ces choses immatérielles que l'on croirait parfaitement inviolables et qui font partie de la « richesse de notre paysage intérieur », puissent être en réalité oblitérées, détricotées, déconstruites, détruites, remplacées. Pour beaucoup, ces histoires de contrôle mental, ça fournit juste de bons scénarios hollywoodiens. Et représente du pain béni pour les médias toujours avides de stigmatisations conspirationnistes. Hélas pour ceux qui en font les frais, la fiction est bien en-dessous de la réalité, scientifique, elle : Heureusement pour nous, cette faiblesse apparente, cette malléabilité de l'esprit que l'on pourrait considérer comme une tare, ne sert pas uniquement d'exutoire aux tendances psychopathiques des « êtres humains » impliqués dans les abominables expériences mentionnées plus haut. Qui sait si cela ne nous donne pas la possibilité, par un travail spécifique, de pouvoir transcender nos propres instincts, notre égoïsme, nos conduites biologiques, certes tous indispensables et naturels mais qu'il convient de maîtriser et de dépasser, au final, pour le bien de tous ?

Dr. Colin Ross
© InconnuDr. Colin Ross
Mohsen Abdelmoumen : Votre livre «The CIA Doctors : Human Rights Violations by American Psychiatrists » est traumatisant et révèle les expériences criminelles de la CIA sur des sujets humains américains. Comment des médecins ont-ils pu participer à ces expériences ?

Dr. Colin Ross : Je crois que les médecins y ont participé pour diverses raisons : le patriotisme, la mentalité de la guerre froide, l'argent, le prestige parmi les collègues, le frisson d'être un «espion», la promotion académique par le biais de subventions et de documents, le sadisme, et la curiosité. Tout cela devait être accompagné de justifications et de déni.

Le projet MK-ULTRA de la CIA n'est-il pas une expérience contraire à votre déontologie, voire même criminelle ? Pourquoi aucun agent de la CIA n'a-t-il été sanctionné ?

Techniquement, les médecins n'étaient pas des agents de la CIA - ils étaient des actifs ou des contractuels. Les agents sont des employés à temps plein. Les expériences ont clairement violé le serment d'Hippocrate - donc elles devaient être gardées secrètes pour protéger la CIA et les médecins. Ils n'ont pas été punis parce que tout a été classé, puis quand les documents MKULTRA ont été déclassifiés dans les années 70, ils ont été protégés par le réseau des anciens et la corruption de la psychiatrie organisée.

Vous êtes un psychiatre, clinicien et chercheur de renommée mondiale avec un parcours remarquable. Selon vous, vos confrères qui ont participé à ces expériences sont-ils coupables et devraient-ils être jugés ?

Certains des contrats MKULTRA étaient assez insipides et appuyaient la recherche universitaire normale. Mais beaucoup ont clairement violé le serment d'Hippocrate, montrant une faute professionnelle et une mauvaise pratique délibérée qui motivaient un blâme professionnel et des poursuites pour faute professionnelle. Peu ou aucun des contractuels sont encore en vie, c'est donc maintenant un débat stérile.

L'ancien directeur de la CIA Richard Helms a fait disparaître de nombreux documents relatifs au projet MK-ULTRA. Ceux qui ont été déclassifiés et auxquels vous avez eu accès ont-ils été utiles à votre travail de recherche ?

Oui, les 15 000 pages de documents sur ARTICHOKE, BLUEBIRD, MKULTRA, MKSEARCH, MKNAOMI et d'autres projets ont été extrêmement utiles et sont la base de mon livre.

D'après vous, n'est-ce pas immoral et criminel de mettre la science au service de l'appareil militaire et de la CIA ?

Oui et non. Je ne pense pas que beaucoup de gens s'opposent à l'utilisation de la science pour concevoir de meilleurs tanks, avions, canons, équipement de protection, etc. De nombreuses avancées scientifiques financées par les militaires ont découlé dans la vie civile pour un grand bénéfice. Le problème n'est pas avec l'éthique de modifier l'esprit des gens pour la guerre - cela se fait dans l'entraînement de base de l'Armée - le problème est le conflit avec le serment d'Hippocrate une fois que les médecins s'impliquent. Les médecins créent délibérément un trouble mental à des fins militaires (trouble d'identité dissociative) lorsqu'ils créent des candidats mandchous (ndlr : personnes ayant subi un lavage de cerveau).

Pensez-vous que les expériences de la CIA que vous avez dénoncées se poursuivent encore aujourd'hui, notamment dans les sites noirs et les prisons secrètes de la CIA ?

Les photographies tombées dans le domaine public et les informations sur les « interrogatoires améliorés » à Guantanamo Bay et Abu Ghraib fournissent des preuves concluantes que des opérations de contrôle mental sont en cours. Le terme « interrogatoires améliorés » n'est qu'un euphémisme pour le lavage de cerveau ou le contrôle mental.

« Military Mind Control : A Story of Trauma and Recovery » est un livre choc. Pourquoi les militaires et les agences de renseignement ont-ils cet intérêt pour la psychiatrie ?

Pour autant que je puisse le voir, il y a deux objectifs fondamentaux : créer des espions qui sont résistants à l'interrogatoire s'ils sont capturés parce que leurs informations de mission sont cachées derrière des barrières d'amnésie créées artificiellement ; et à des fins de contre-espionnage pour détecter les candidats manchous dirigés par des agences de renseignement opposées.

Les États-Unis peuvent-ils donner des leçons de droits de l'homme et de démocratie à la planète entière alors que des citoyens américains ont servi de cobayes pour des expériences effroyables ?

C'est certainement un exemple d'hypocrisie et de déni.

La CIA n'est-elle pas incontrôlable et ne constitue-t-elle pas un État dans l'État ?

Il n'y a aucun moyen pour un civil de déterminer si la CIA est oui ou non hors de contrôle, ou pour savoir exactement ce qu'elle fait, parce que toutes les informations pertinentes sont classées. Les agences de renseignement sont structurées pour être « hors de contrôle » en un sens à cause du cloisonnement pour des raisons de sécurité.

Je m'intéresse beaucoup à vos travaux et j'ai remarqué que vous étiez sceptique voire critique envers vos confrères psychiatres, comme dans votre livre «The Great Psychiatry Scam». Pouvez-vous nous en expliquer les causes ?
Je suis sceptique et critique envers les psychiatres pour plusieurs raisons : déni de l'expérimentation contraire à l'éthique du passé, priorité exagérée de l'efficacité des médicaments psychiatriques tout en minimisant les effets secondaires, être achetés par les compagnies pharmaceutiques sans même s'en rendre compte, soutien du modèle génétique de la maladie de cerveau d'une manière qui est réellement démentie par les preuves dans la littérature psychiatrique, minimisation de l'importance du traumatisme psychologique dans les troubles mentaux, se laisser contrôler par les soins gérés aux États-Unis.
Si vos livres sont d'une importance capitale pour la science, vos documentaires sont aussi percutants. Pouvez-vous nous parler de leur impact ? « Multiple Personality: Reality and Illusion » a inspiré Hollywood. Ce documentaire est-il particulier dans votre parcours ?

Les vidéos éducatives et les documentaires que j'ai produits font partie de mes efforts pour éclairer les professionnels de la santé mentale et le grand public sur les troubles mentaux et les traumatismes. Je ne connais aucun exemple précis d'avoir « inspiré » Hollywood autrement qu'en étant interviewé pour une série de documentaires, la plupart d'entre eux traitant du contrôle de l'esprit ou des personnalités multiples.

Vous avez développé le Dissociative Disorders Interview Schedule (DDIS), un outil pour diagnostiquer les troubles dissociatifs. Que pouvez-vous nous dire à propos de cette réalisation académique ?

Le DDIS est inclus dans le Manuel de l'Association Psychiatrique Américaine des Mesures Psychiatriques comme une interview structurée valide et fiable. Il a été traduit dans un certain nombre de langues différentes et utilisé dans des dizaines d'études publiées. Le DDIS a contribué à la validation scientifique et à la compréhension des troubles dissociatifs.

Vos recherches sur les troubles de dissociation avancent-elles ?

Oui. J'ai des projets de recherche en cours, des articles dans la presse et des articles à l'étude pour des revues.

Votre livre « Portrait of Norman Wells » m'a fait penser à Jack London et ses aventures dans le Klondike. Est-ce votre vie dans l'arctique canadien qui vous a placé sur ce parcours impressionnant consacré à la recherche scientifique et à la quête de savoir ?

Je pense que mon expérience dans l'Arctique canadien a contribué à ce que j'aie un large éventail d'intérêts et que je sois un être humain plus équilibré. Mes domaines d'intérêt que j'ai publiés comprennent la psychiatrie, les champs d'énergie humaine, le cancer et la littérature créative, y compris la poésie.

Vous avez été président de la Société internationale pour l'étude des Traumatismes et de la Dissociation. Quel bilan faites-vous de votre passage dans cette organisation ?

J'ai reçu un certain nombre de prix de l'ISSTD (International Society for the Study of Trauma and Dissociation) et je suis généralement considéré comme un chef de file dans le domaine. Je suis présent à la conférence annuelle de l'ISSTD chaque année depuis sa création en 1984.

Vous êtes président du Colin Ross Institute à Dallas. Pouvez-vous nous parler des missions de cet institut ?

La mission est de fournir le traitement, la consultation, l'éducation et la formation sur le trauma psychologique et ses conséquences.