Piégés dans les phares, ils venaient s'écraser par centaines sur les pare-brise. Des flopées de moustiques décédant par brassées, aux grasses sauterelles qui laissaient un jus jaunâtre sur la vitre sur les lieux du crash, en passant par ces gros hannetons qui frappaient comme des grêlons la tôle de l'habitacle.

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© InconnuCes insectes qui frappaient les vitres des voitures
Mais oui, souvenez-vous : il y a quelques dizaines d'années encore, il suffisait d'une petite balade dans les champs pour que le véhicule rutilant de papa soit bon pour un grand nettoyage, constellé de cadavres de malheureuses bestioles en tout genre.

Et puis, petit à petit, les voitures sortaient de leurs excursions champêtres de plus en plus propres. D'abord, on n'y a pas beaucoup prêté attention, bien sûr : après tout, ce n'était que des insectes... et puis cela nous arrangeait bien d'avoir moins de cochonneries à récurer méticuleusement, à coup de polish et d'huile de coude.

Malheureusement, ce n'est pas une bonne nouvelle, mais alors, pas du tout. Qui aurait cru qu'un jour nous nous prendrions à regretter ces génocides massifs de diptères, lépidoptères et autres coléoptères ? Ce n'est pourtant pas par pur sadisme, ni par entomophobie primaire, ni même pour le simple plaisir de frotter notre éponge mousseuse sur la carrosserie de titine le dimanche après-midi.

C'est parce que cela pourrait bien annoncer, tout simplement, le déclin irrémédiable des insectes, causé par l'usage intensif des pesticides dans les campagnes. De moins en moins nombreuses dans les campagnes depuis quelques dizaines d'années, les petites bêtes semblent bien avoir subi une baisse démographique vertigineuse... et invisible.

Alors, certains diront bien qu'il n'y a pas là de quoi s'inquiéter : après tout, les véhicules ne sont-ils pas devenus de plus en plus aérodynamiques, avec le temps ? Peut-être que si l'on récolte moins d'insectes aujourd'hui, c'est tout simplement grâce aux évolutions des techniques des carrossiers automobiles.

On aimerait bien y croire... Mais les conducteurs de Kangoo ou de Fiat Multipla peuvent en témoigner, le profil plus ou moins effilé du véhicule n'y change rien.

Même résultat si vous conduisez une grosse jeep, un camion, ou même si vous conduisiez une voiture sportive dans les années 1980 : les pare-brise sont de plus en plus propres, les insectes occis sont moins nombreux, et ce n'est pas une question de prise au vent, ni de surface, d'ailleurs.

La raison semble donc évidente, et malheureusement, c'est extrêmement préoccupant : il y aurait, tout simplement, de moins en moins d'insectes dans les campagnes. Comme nous ne passons pas notre temps le nez collé au gazon à compter les petites bêtes, on a vite fait de ne pas remarquer cette baisse brutale et discrète, ce déclin inexorable du nombre d'invertébrés. Et pourtant, lorsqu'on y réfléchit, si l'on s'arrête un instant et que l'on compare notre expérience actuelle avec nos souvenirs d'antan, la différence est très nette.

Bien sûr, ces observations d'insectes écrasés, que tout un chacun peut constater de son côté, ne sont pas très scientifiques. Et il se trouve que, si la disparition des insectes se fait dans la plus grande discrétion, c'est parce que la science à bien du mal à quantifier exactement ce genre de choses... par manque de données.

En effet, la majorité des recensements existant sont ceux de naturalistes amateurs, collectionneurs de papillons et autres observateurs. Même si elles peuvent donner là aussi certaines indications et tendances, ces observations doivent être prises avec des pincettes car elles n'ont pas forcément la rigueur des analyses provenant des scientifiques professionnels.

Mais de nouvelles données concernant l'abondance des insectes sauvages, prises sur le long terme, sont en train de faire surface, indique la revue spécialisée Science dans un article publié il y a quelques jours.

Provenant de divers relevés effectués par un groupe d'entomologistes, depuis le début des années quatre-vingt et dans plus d'une centaine de réserves naturelles d'Europe de l'ouest, ces chiffres donnent le tournis. Utilisant un système de pièges qui leur permet de calculer la masse totale des insectes collectés, mois après mois, et à plusieurs dizaines d'années d'écart, le groupe Krefeld Entomological Society a relevé une baisse extrêmement forte de la quantité d'invertébrés attrapés.

Ainsi, entre l'année 1989 et 2013, la différence est très nette : dans un point situé au nord de l'Allemagne, la quantité d'insectes a chuté de 78% en à peine 24 ans !

Pour vérifier s'il ne s'agissait pas simplement d'une mauvaise année, les scientifiques ont refait un relevé l'année d'après, en 2014. Mais les chiffres étaient toujours aussi bas... Dans une douzaine d'autres sites, le déclin des masses d'invertébrés était tout aussi dramatique.
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© ENTOMOLOGISCHER VEREIN KREFELDKrefeld Entomological Society
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© G. GRULLÓN/SCIENCE / MITTEILUNGEN AUS DEM ENTOMOLOGISCHEN VEREIN KREFELD
Un tiers des abeilles mortes aux États-Unis en 2016

Plus effrayant encore : rien que l'année dernière, un tiers des colonies d'abeilles des États-Unis sont mortes... et encore, les apiculteurs étaient à la fête : normalement, ils perdent en moyenne 40% de leurs effectifs par an ! Alors que la monoculture et l'usage abondant des pesticides sont rois dans ce pays, pas moins de sept espèces d'abeilles ont été déclarées en danger potentiel d'extinction, en 2016. Certains réfléchissent même à concevoir des abeilles-drones pour assurer la pollinisation des plantes, pour les remplacer par de mini-engins volants automatisés dans l'hypothèse où ces insectes ne finissent par disparaître totalement.
Un vrai paysage de cauchemar, façonné par l'usage des pesticides, par le manque de fleurs à butiner et d'abris causé par le système des plantations à grande échelle, mais aussi par diverses maladies épidémiques et invasions de parasites, dont la propagation à grande vitesse pourrait être causée par la pollution et le dérèglement climatique.
Les insectes mellifères sont responsables de la pollinisation, et on estime que nous leur devons au moins un tiers de notre production d'aliments ( fruits, légumes, céréales ). Tous ces insectes, si petits, sont pourtant l'un des principaux piliers des cycles naturels.

Peut-être serait-il temps de se poser quelques questions existentielles sur notre manière de produire et de consommer ? Même si certains pesticides sont désormais interdits ou réglementés, les abus sont encore nombreux.

La France, par exemple, ne se gêne pas pour exporter vers les pays en développement des pesticides interdits sur son sol et en Europe...

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© InconnuUn bourdon sur une lavande