Les relations deviennent tendues entre le gouvernement espagnol conservateur et la Catalogne, dont c'est aujourd'hui la fête nationale. Le pouvoir central veut empêcher la tenue du référendum d'auto-détermination organisé par les indépendantistes.

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© InconnuEst-ce que le Oui va gagner ?
Mariano Rajoy, du Parti Populaire (PP, libéral-conservateur), chef du gouvernement espagnol compte assigner en justice le président de la Catalogne pour avoir voulu organiser un référendum d'autodétermination ? Il est rarissime qu'un chef de gouvernement engage des poursuites contre les dirigeants d'une région, lorsque ces derniers se considèrent souverains au sein de ce qu'ils estiment être leur nation...

Région espagnole ou nation indépendante? C'est bien tout l'épineux problème agitant citoyens et partis politiques depuis la fin de l'Espagne franquiste en 1975. Au moment de rédiger la nouvelle Constitution espagnole en 1978, la Catalogne est déjà certaine de son identité, elle a existé en tant que principauté ou territoire autonome plusieurs fois au cours de son histoire. « Quand la Constitution a été écrite, c'était sous la supervision des Espagnols et les conservateurs qui avaient la main y avaient placé beaucoup d'éléments qui empêchaient les Catalans d'avoir une autonomie », explique à RT France Jordi Vilanova, consultant catalan en affaires et en politique, et producteur à Barcelona City FM radio. « Nous n'avions pas le droit d'utiliser le mot nation », ajoute-t-il.

Pourtant en mars 2006, le Parlement espagnol, sous le mandat du chef du gouvernement de centre-gauche de José Luis Rodriguez Zapatero, adopte un nouveau statut renforçant largement l'autonomie de la Catalogne. La réaction ne se fait pas attendre : le PP, à l'époque parti d'opposition, mené par Mariano Rajoy, le conteste d'emblée. « Il a mené une campagne de signatures contre ce nouveau statut », explique Jordi Vilanova. C'est le début d'un bras de fer entre ce conservateur, qui deviendra chef du gouvernement en 2011 et les indépendantistes catalans, galvanisés par leurs succès aux élections locales et le soutien d'une large partie de la population.

Si la Catalogne a obtenu des droits plus étendus en 2006, avalisés par le parlement catalan, les conservateurs, au niveau national, ont réussi à leur retirer des prérogatives via la Cour Constitutionnelle en 2010. « Une grande rébellion s'en est suivie. Le jour de la fête nationale de Catalogne, Diada, le 11 septembre, comme aujourd'hui, plus d'un million de personnes défilent contre ce qu'a décidé le tribunal constitutionnel», poursuit Jordi Villanova. En effet, en ce jour de célébration sont attendus en foule compacte des centaines de milliers d'indépendantistes dans les rues de Barcelone, agitant des drapeaux or striés de bandes rouge, la fameuse senyera, animés par l'espoir actuel d'auto-détermination.

« En Catalogne, on pense que le gouvernement espagnol conservateur a tout fait pour dire non à n'importe quelle proposition venant d'ici. Ce qui aurait pu être un succès à savoir une fédération est devenu un échec », assure-t-il.

Le gouvernement catalan fait cavalier seul pour organiser son propre référendum

11 ans après les premières passes d'armes, mêmes combattants : Rajoy est à la barre et les indépendantistes sont animés par la même volonté. Mais cette fois, les Catalans veulent aller plus loin. Et un indépendantiste convaincu, Carles Puidgemont, ancien maire de Gérone, est devenu président de la région catalane à la suite du retrait d'Artur Mas en janvier 2016. Sous son impulsion, le Parlement catalan a adopté le soir du 6 septembre une loi instaurant un régime juridique exceptionnel, afin de permettre la tenue d'un référendum d'autodétermination de la Catalogne le 1er octobre. Le vote sur cette loi s'est déroulé dans une ambiance électrique, sous les cris d'une Assemblée divisée, certains députés du Parti socialiste catalan ( PSC ), de Ciudadanos ( Centre ) et du Parti populaire ( PP ) ayant même quitté l'hémicycle. 72 députés sur 130 ont voté pour, tandis que 11 se sont abstenus.


Mais la Constitution permet au pouvoir central de tempérer ce nouveau pas vers l'indépendance. Sans surprise, le 7 septembre à Madrid, Mariano Rajoy a déclaré :
« La convocation d'un référendum d'autodétermination par les dirigeants de la Catalogne représentait un acte intolérable de désobéissance aux institutions démocratiques. »
En conséquence, une procédure est intentée auprès de la Cour constitutionnelle, pour qu'elle annule la loi votée par le Parlement Catalan autorisant la tenue du référendum.

Les maires de Catalogne sont aussi dans le collimateur du chef du gouvernement espagnol et le parquet général, par la voix du procureur général José Manuel Maza, a annoncé devant la presse : « Des poursuites pénales sont en préparation [contre les responsables du Parlement catalan et des dirigeants] ». Il a précisé que des ordres allaient être donnés pour que
« la police judiciaire saisisse les effets ou instruments destinés à préparer ou tenir le référendum illégal. »
Des mises en garde destinées aux maires catalans. Cela ne semble toutefois pas inquiéter un certain nombre de maires indépendantistes, qui signalent sur Twitter leur adhésion au référendum. « Environ 450 ont fait connaître leur intention d'assurer la logistique pour le vote du référendum », explique Jordi Vilanova, « si toutes les grandes villes s'y mettent, ce sera très dur pour le pouvoir central d'envoyer la gendarmerie. Je ne sais pas quelle impression cela donnerait au monde si la garde à cheval débarque dans les bureaux de vote ! »




Une Catalogne très motivée


Les tensions redoublent entre la riche région de 7,5 millions d'habitants dirigée depuis 2015 par des indépendantistes et le gouvernement conservateur de Mariano Rajoy. Les élections d'octobre régionales de 2015 en Catalogne ont laissé les coudées franches à la coalition indépendantiste « Junts pel Si » ( la coalition pour le oui ), qui a remporté 73 députés sur 135 au Parlement catalan, avec 47,8 % des suffrages exprimés. Sous leur impulsion, une partie des Catalans se démènent pour promouvoir l'indépendance au sein de la population. La Cup ( Candidature d'unité populaire, formation indépendantiste de gauche anticapitaliste, membre de « Junts pel Si » ), a lancé un site Internet pour la tenue du référendum et même créé une chanson faisant la promotion de l'autonomie.


Jordi Vilanova récuse de décrire ce mouvement indépendantiste comme nationaliste, même si certains militants de la cause catalane s'y rattachent. « Il s'agit davantage d'une identité, que nous cherchons à préserver, mais cela n'a rien d'ethnique. Nous estimons que notre langue catalane n'est pas assez préservée », explique-t-il.

La Catalogne, un des moteurs économiques de l'Espagne, est riche. Elle représente 20% du PIB du pays, 30% de ses exportations et 16% de sa population, et se targue d'une croissance de 2,7 % par an. Son PIB par habitant, de plus de 26 000 euros par an, n'a pas à rougir face à ceux des grandes puissances européennes. « Attention, la Catalogne est moins riche que Madrid ou le pays basque », précise Jordi Vilanova, « mais il ne s'agit pas de ne pas aider les régions plus pauvres : nous avons simplement un problème de réinvestissement de nos services publics que nous ne pouvons plus payer. Les impôts ponctionnés sur la Catalogne et redistribués aux régions sont amputés de 16% lorsqu'ils nous reviennent, ce qui est énorme. Transports, santé... ne sont plus assez financés ».

Le Trésor catalan ne prélève aujourd'hui que 5% des impôts en Catalogne, sur le total des impôts payés par les Catalans, versés à l'État espagnol. Carles Puigdemont, a depuis peu musclé la région, qui compte 800 employés contre 325 auparavant. La stratégie : s'assurer un Trésor public efficace pour prélever l'impôt dans une éventuelle Catalogne indépendante. « Aujourd'hui, nous mettons en place les structures nécessaires pour que la Catalogne soit prête à rendre possible la volonté que les Catalans exprimeront lors du référendum », a déclaré l'indépendantiste, lors d'une conférence de presse à Barcelone. Mais avant d'y penser, il faut déjà que le référendum ait les possibilités matérielles de se tenir, et que les Catalans votent effectivement pour l'indépendance. Une bataille de sondages locaux, qui se contredisent entre eux, ne permet pas actuellement d'annoncer une tendance franche.