Traduction : SOTT

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Le mouvement #MeToo a été lancé il y a 6 mois. Depuis 6 mois, on nous abreuve de récits et de témoignages qui attirent l'attention sur l'apparente souffrance subie par les femmes aux mains des hommes. Aussi, le week-end dernier, lorsque le Sunday Mirror a révélé les abus choquants subis par des centaines de femmes et de jeunes filles à Telford (Angleterre), on aurait pu s'attendre à ce que ce scandale fournisse à #MeToo une nouvelle occasion de s'indigner. L'histoire de ces jeunes filles - dont certaines n'avaient pas plus de 11 ans - droguées, battues et violées par des gangs d'hommes majoritairement musulmans originaires d'Asie aurait pu apporter de l'eau au moulin des activistes de #Metoo. On aurait pu s'attendre à des manifestations de solidarité, à des rappels sur la nécessité de croire les victimes et à des offres de soutien financier.

Que nenni. On estime que plus d'un millier de jeunes filles ont été abusées à Telford sur une période de 40 ans. Après avoir subi un processus de « grooming », elles étaient droguées et violées. Les agresseurs se les repassaient comme des marchandises. Certaines sont tombées enceintes, se sont fait avorter et ont été violées à de multiples reprises. Trois femmes ont été assassinées et deux autres sont mortes tragiquement, en conséquence des sévices subis. Pourtant, les médias ont à peine couvert ces crimes révoltants. Apparemment, les filles de Telford ne méritent pas une couverture en première page du Guardian ou du Times.

Ces mêmes journaux qui ont couvert en détail, pendant des semaines, des histoires du genre : « Damien Green aurait (ou pas) touché le genou de Kate Maltby », ou « Michael Fallon a tenté d'embrasser Jane Merrick » n'ont pas fait montre du même niveau d'indignation en ce qui concerne les jeunes femmes de Telford.

L'absence de couverture médiatique sur le scandale des abus de Telford révèle l'hypocrisie au cœur du mouvement #MeToo. Des activistes très en vue affirment à l'envi qu'elles ne sont pas motivées par leur propre intérêt, mais par le désir d'aider les femmes qui ont eu moins de chance qu'elles. Jane Merrick [journaliste prétendant avoir été sexuellement harcelée par le ministre de la Défense britannique Michael Fallon - NdT] a tout balancé parce que, dit-elle : « Je savais qu'en me taisant, je trahirais non seulement la personne que j'avais été à 29 ans, mais aussi toutes les autres femmes qui avaient peut-être subi les mêmes comportements. Plus important encore, je ne protégerais pas les autres femmes à l'avenir. » Kate Maltby [ancienne militante du parti conversateur qui a accusé le vice-Premier ministre britannique Damian Green de harcèlement sexuel - NdT] a fait une déclaration similaire : « Il est vrai que je suis bien plus privilégiée que d'autres femmes. C'est la raison pour laquelle je leur devais de parler. Quand on voit des femmes blanches privilégiées déclarer : "#MeToo", on devrait se poser la question : qu'en est-il de toutes ces voix que nous n'entendons pas ? » Pourtant, Merrick et Maltby, toutes à leur abnégation et à leur solidarité féminine, n'ont pas dit un seul mot sur les viols des adolescentes de Telford.

Time's Up, initiative née dans le sillon de #MeToo, a lancé une collecte de fonds pour couvrir les frais de justice de victimes de harcèlement et d'agression sexuels qui cherchent à obtenir réparation. Le but était selon eux de « faire entendre la voix, d'émanciper et de donner de la force à des femmes issues de la classe ouvrière qui, par manque de stabilité financière, sont d'autant plus vulnérables à la violence et à l'exploitation fondées sur le genre ». Plus de 16,7 millions de dollars ont été recueillis en moins d'un mois. L'actrice britannique Emma Watson, l'une des donatrices les plus généreuses et les plus en vue, a publié sur les médias sociaux :« Le glas de l'abus de pouvoir a sonné. Je suis solidaire avec les femmes de tous les secteurs d'activité, pour dire #TIMESUP - finis les abus, le harcèlement et les agressions. Finies l'oppression et la marginalisation. » Seulement, il semble que certaines femmes méritent davantage la solidarité que d'autres ; que la voix de certaines femmes mérite davantage de se faire entendre.

Alors pourquoi n'y a-t-il pas eu de manifestations de sympathie ou d'indignation pour les filles de Telford ? Pourquoi les actrices ne se font-elles pas photographier en train de parader dans Telford dans leurs robes noires hors de prix ? Pourquoi ne voit-on pas plus de journalistes écourter leurs déjeuners d'affaire pour se rendre à Telford et donner la parole à ces filles ?

Les femmes de Telford ne sont peut-être pas les bonnes victimes. #MeToo préfère les victimes BCBG. Jane Merrick déjeunait dans un restaurant huppé de Westminster quand Fallon a tenté de l'embrasser. La riche famille de Kate Maltby, avec ses relations haut placées, n'a certainement pas freiné sa carrière. Les célébrités glamour qui ont fait la couverture du magazine Time et qui ont été applaudies pour avoir « brisé le silence » portaient des robes qui coûtaient plus cher que le salaire annuel moyen d'un résident de Telford.

Ou peut-être que les hommes asiatiques accusés de grooming, viol, trafic de drogue, meurtre et pédophilie ne sont tout simplement pas les « bons » types d'agresseurs. #MeToo préfère que les accusés soient des hommes blancs puissants, comme Harvey Weinstein ou des ministres conservateurs. Le fait que des abus ont pu être commis par des hommes musulmans met à mal la hiérarchie intersectionnelle soigneusement construite et la rhétorique sur le patriarcat. Les écrivains et les militants se préoccupent davantage du racisme et de l'islamophobie potentiels que des agressions sexuelles bien réelles.

Mauvais type de victimes ou mauvais type d'agresseurs, qu'importe : à Telford, la conspiration du silence a permis aux abus de continuer en toute impunité pendant des décennies. Selon un rapport commandé par l'administration de la ville, les travailleurs sociaux étaient au courant de ces violences sexuelles dès la fin des années 1990. En 2016, un lanceur d'alerte a été licencié de la police après avoir remis des preuves à un journal. Un autre lanceur d'alerte a été renvoyé de son poste dans un centre d'aide aux victimes d'abus sexuels (financé par les autorités locales).

Ainsi, les abus ont continué. Becky Watson n'avait que 13 ans lorsqu'elle est morte dans un accident de voiture décrit comme un « canular », après avoir été abusée pendant deux ans par des gangs d'hommes. Sa mère, qui a dénoncé les suspects à la police à de nombreuses reprises, affirme : « Les filles comme Becky ont été traitées comme des criminelles. » #MeToo nous demande de croire sans hésiter les histoires de genoux effleurés et de baisers volés. Mais lorsque des filles de la classe ouvrière dénoncent des abus à la police, elles sont ignorées.

Lucy Lowe a été repérée par son agresseur, Azhar Ali Mehmood (44 ans), en 1997. Elle n'avait que 14 ans quand elle est tombée enceinte de lui. Deux ans plus tard, alors âgée de 16 ans, Lucy a été tuée avec sa mère et sa sœur Sarah, âgée de 17 ans : Mehmood a mis le feu à leur maison. Il a été emprisonné pour meurtre mais n'a jamais été arrêté ni inculpé pour avoir eu des rapports sexuels avec une mineure. Une autre collégienne est tombée enceinte six fois en quatre ans, après avoir été repérée par ses agresseurs en 2004. Les dossiers de l'administration de Telford publiés par le Mirror montrent que les services sociaux, les enseignants, la police et les professionnels de la santé mentale savaient ce qui se passait, mais n'ont pratiquement rien fait.

Les célébrités et les journalistes qui parlent au nom du mouvement #MeToo nous demandent de croire les victimes et d'aider les autres femmes à se faire entendre. Mais tragiquement, en ce qui concerne les filles de la classe ouvrière d'Oxford, Rotherham, Newcastle et maintenant Telford, toutes les femmes ne sont pas égales. Le mouvement #MeToo fait montre d'un degré d'hypocrisie écœurant. Pire encore, il accapare le temps et les ressources qui devraient être consacrés aux véritables victimes d'abus. La semaine dernière, Melanie Onn, députée de Grimsby, a réclamé dans un débat au Parlement que le harcèlement de rue - sifflements, etc - soit qualifié d'acte misogyne et sanctionné comme crime haineux. Les militants tels que Onn préfèrent cibler le dragueur lambda plutôt que de faire face au problème plus épineux des gangs d'hommes musulmans qui s'en prennent aux filles de la classe ouvrière.

Joanna Williams est la rédactrice en chef de Spiked. Son dernier ouvrage, Women vs Feminism: Why We All Need Liberating from the Gender Wars, vient de paraître.