Un livre, publié le 5 août 2018, révèle l'existence d'un réseau de pédophilie impliquant plusieurs personnalités du régime de l'apartheid dans les années 1980. Mais la mort de l'un des coauteurs de l'enquête crée l'émoi et éveille des soupçons.
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© Gallo Images/Netwerk24/Lulama ZenzileL'ex policier et écrivain Mark Minnie
L'annonce de la mort de Mark Minnie, le 13 août, dans un supposé suicide aux circonstances troubles, a choqué le public sud-africain. Coauteur d'une enquête récemment rendue publique sur un réseau de pédophilie opérant sous le régime de l'apartheid, l'ancien policier craignait pour sa sécurité.

Publié huit jours plus tôt par Mark Minnie et la journaliste Chris Steyn, le livre The Lost Boys of Bird Island (Les garçons perdus de Bird Island, non traduit en français) révèle l'existence d'un réseau constitué dans les années 1980. Celui-ci kidnappait des enfants des rues, la plupart des jeunes garçons métis, dans la ville de Port Elizabeth et les emmenait par hélicoptère militaire sur l'île de Bird Island, où ils subissaient viols et sévices sexuels aux mains d'hommes plus agés.
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© News24
L'enquête menée par les deux auteurs implique plusieurs hauts dignitaires de l'ancien régime raciste sud-africain, dont l'ex-ministre de la Défense Magnus Malan, alors numéro deux du gouvernement.

L'affaire avait fait l'objet d'une enquête policière lorsque l'un des garçons avait été opéré en urgence après un viol avec une arme à feu. Mark Minnie, alors enquêteur dans la police sud-africaine, lui-même violé dans son enfance, avait recueilli le témoignage de la jeune victime, explique le journal Daily Maverick. Le dossier avait été fermé après une intervention directe du président Pieter Willem Botha en mars 1987. Des enquêtes journalistiques avaient également été étouffées.

Une boîte de Pandore

Les révélations de Steyn et Minnie ont secoué le public sud-africain, réveillant les spectres des atrocités commises sous l'apartheid. Avant sa mort, Mark Minnie avait expliqué à la journaliste Marianne Tham que cette affaire allait ouvrir une boîte de Pandore.

Maryna Lamprecht, éditrice à la maison d'édition Tafelberg Publishers qui a publié l'ouvrage de Minnie et Steyn, avait expliqué au site News24 que l'enquête exposait «l a dépravité du système de l'apartheid ». Lequel « déshumanisait les gens de toutes les manières possibles, allant jusqu'à exploiter des enfants vulnérables pour satisfaire les fantasmes de puissants hommes politiques ».

Selon le Daily Maverick, plusieurs autres victimes du réseau de pédophilie étaient entrées en contact avec les auteurs après la publication de leur enquête, et l'ancien policier préparait un second livre.

Un suicide aux circonstances troubles

La mort de Mark Minnie a immédiatement soulevé des soupçons : si la police écarte la piste criminelle et enquête sur un possible suicide, les proches de l'ancien policier ont expliqué qu'il avait reçu des menaces de mort après la publication de l'enquête.

Si ce décès attise les suspicions, c'est aussi parce qu'il fait écho à d'autres révélations parues dans The Lost Boys of Bird Island, à propos d'une série de suicides suspects dans la foulée de l'étouffement de l'affaire en 1987. Deux des personnalités impliquées dans le réseau de pédophilie s'étaient donné la mort dans des circonstances troubles, après les premières découvertes de Mark Minnie.

Selon le Daily Maverick, une enquête est en cours sur une unité spéciale qui aurait commis plusieurs meurtres camouflés en suicides avec l'aval du gouvernement de l'apartheid.

« Le dernier tabou »

Alors que l'enquête sur la mort de l'auteur de The Lost Boys of Bird Island se poursuit, les révélations de son livre n'ont pas fini d'animer les discussions en Afrique du Sud.

Cette affaire, décrite par la chercheuse Mia Swart comme « le dernier tabou », souligne, selon elle, « le besoin urgent de révéler toute la vérité sur le passé et de raviver le projet de poursuite des criminels de l'apartheid ». A la fin du régime ségrégationniste, très peu de hauts responsables de ce système ont été traduits en justice, explique-t-elle dans le journal Mail & Guardian. L'ex-ministre Magnus Malan est décédé il y a sept ans « entouré de partisans et d'amis, protégé des reproches et de toute prise de conscience de la douleur de ses innombrables victimes ».

« Beaucoup de sud-africains Blancs se disent fatigués d'être renvoyés à l'histoire de l'apartheid, mais cette lassitude est prématurée et lâche. ll est temps d'accuser, mais aussi de nous regarder nous-mêmes », estime-t-elle. « La vérité nous rendra libres », conclut-elle.