neige, Corniou, Tarn
Une famille vit recluse depuis dix jours dans un mas sur les hauteurs de l'Hérault à Corniou, à quelques kilomètres du Tarn. La neige les isole. Reportage.

Pour arriver chez les Colombo, il faut emprunter une petite route qui culmine à 1000 mètres d'altitude. La neige est là au-dessus de Courniou, 600 âmes. Elle glace. Comme la situation de la famille Colombo. Les plaques de verglas font patiner les rares voitures dans un décor de haute montagne ; la route devient impraticable.

C'est Maud Colombo, 22 ans, qui nous donne rendez-vous au niveau d'une croix - comme un symbole - à l'entrée de ce qui semble être un chemin. La maison familiale se trouve à 800 mètres de là ; encore trente minutes de marche dans une poudreuse de soixante centimètres. Maud, essoufflée, un bâton de ski à la main : « Normalement, il y a des buttes de chaque côté du passage, mais il y a tellement de neige que tout est plat. » Seuls les chiens ne s'enlisent pas.

Dix jours sans ravitaillement

Devant la bâtisse, une quinzaine de chiens aboient. Le camion, qui sert au transport des chevaux, est garé là, éventré, mécanique sortie. « Nous avons essayé coûte que coûte de faire passer le camion, mais nous nous sommes enlisés. Résultat ? Il y a de grosses réparations à faire. Heureusement, mon petit frère est mécanicien. » C'est ici dans ce contexte hostile que les quatre membres de la famille Colombo tentent de survivre depuis le 28 janvier, date de la dernière tempête de neige.

Un appel sur Facebook

Dans la journée du 28 janvier, Maud poste sur sa page Facebook un appel à l'aide après l'enneigement du chemin qui relie le hameau à la route. Cet appel reste sourd et la jeune fille décide, trois jours plus tard, d'éveiller la solidarité sur la toile avec une deuxième tentative. Le post Facebook contient une vingtaine de photos et un rapide descriptif de la situation. Ce cri numérique sera partagé plus de 650 fois et soulèvera l'indignation des internautes.

Autour d'une table, le père pose deux paquets de pâtes et une boîte de thon : après, il n'y aura plus rien à manger. La famille Colombo s'indigne. La mère, 51 ans, atteinte d'une sclérose en plaques, a le regard fatigué. Elle tient à expliquer en détail toutes les étapes ces pénibles circonstances. « Le 25 janvier, nous avons d'abord appelé la mairie de Labastide-Rouairoux (Tarn) qui nous a dit que le chemin n'appartient pas à la (dite) commune. » La famille décide alors de se renseigner à la mairie de Courniou (Hérault) qui affirme que « le service technique de la collectivité ne pourra pas intervenir du week-end ». L'inquiétude grandit et les réserves de nourriture s'amenuisent. Dès le lundi suivant, le 28 janvier, les appels au secours se succèdent en direction de la mairie de Courniou, de la gendarmerie, des pompiers. Sans réponse.

« Personne n'a le temps... On nous dit qu'on vit dans des ruines et que c'est un chemin privé », regrette la mère de famille. L'électricité manque, mais nous avons les bougies. Pour l'eau, nous buvons au robinet alors que les sources n'ont pas été analysées et nous n'avons presque plus de bois pour nous chauffer. » La fille, Maud, elle, exprime son inquiétude pour les animaux du mas. Sur ce terrain de 25 hectares, la famille Colombo cohabite avec une quinzaine de chiens, onze chats et plus de dix chevaux. « Nous n'avons plus de foin pour les chevaux. En hiver, ils ont besoin de manger. J'ai aussi très peur pour eux... ». Elle ajoute : « Vendredi dernier, la municipalité nous a envoyé deux sacs de croquettes pour les chiens, trois packs d'eau, un peu d'essence et six bottes de foin de 18 kg. À cette période de l'année, les chevaux mangent dix kilos par jour. »

« On a averti tout le monde »

Fabrice, le père de famille, a 55 ans et souffre de problèmes cardiaques et d'arthrose. Il pointe la maire de Corniou, Catherine Sonzogni, de non-assistance à personne en danger « elle a un devoir d'aider ses administrés... »
Catherine Sonzogni, élue maire de village de Courniou en 2014 exprime son désarroi et ne comprend pas la tournure médiatique de la situation. Pour elle, la « situation » n'est pas un cas isolé, d'autres habitants connaissent ces difficultés en hiver mais ils sont équipés pour déneiger leur accès. « Je vois qu'ils ne l'avaient pas envisagé... On a averti tout le monde. Ils n'ont pas non plus demandé à être relogés temporairement. »
Selon la maire, les Courniounais(e) s sont « très gentils » mais beaucoup d'entre eux « se posent des questions sur ces gens ». En effet, le passage au tribunal du père et de son fils aîné (lire ci-dessous) alimente les interrogations des villageois(e)s. La bataille glaciale de Courniou n'est pas terminée...

Une famille connue de la justice

La famille Colombo n'est pas inconnue au tribunal de Béziers. Le 12 septembre dernier le père, 55 ans, et le fils aîné, 32 ans, se retrouvent dans le box pour des faits de violences. Une sombre histoire de véhicule mal garé un mois auparavant a fait monter en pression les deux hommes. Le père a menacé son fils d'une barre de fer lequel a répliqué avec une arme à feu. « Je me souviens d'une famille en souffrance », note aujourd'hui notre journaliste présente le jour de l'audience. C'est peu dire. L'expertise psychiatrique demandée pour le fils révèle de très graves problèmes de violences à l'intérieur de la famille. Le jeune homme a raconté au médecin sa vie « marquée par la maltraitance paternelle habituelle », « les humiliations et les injures », « sa première trempe à 7 ans » dont il garde une cicatrice sur le crâne.

C'est un déchirement à l'audience. La famille Colombo, composée du père de la mère, d'une fille et de deux frères, est installée depuis peu sur les hauteurs de Courniou. Pas le temps de se remettre du déménagement (elle venait de quitter les Pyrénées-Orientales) que la famille se déchire. C'est la dispute de trop avec un coup de feu tiré en direction du père. Le tribunal le condamne à quinze mois de prison, dont neuf avec sursis, et le fils à vingt mois, dont huit avec sursis et mise à l'épreuve avec obligations de soins, de travail. Son maintien en détention a été ordonné, ainsi que l'interdiction de séjourner à Courniou pendant deux ans.