Les petites fouines donneuses de leçon. Elles ont fait leur retour en force ces dernières années. C'est logique : elles font partie du paysage traditionnel américain, après tout. Bien qu'à notre époque, « théocratie totalitaire » soit une expression qu'on associe plus communément à l'Arabie saoudite ou à l'EI, elle peut s'appliquer à certaines des premières colonies qui s'établirent sur le territoire qui, au fil du temps, deviendrait les États-Unis. Et même si elles ont abandonné leur religion au fil des siècles, elles n'ont pas perdu leur penchant pour les postures moralisantes et l'autoritarisme coercitif. L'esprit des puritains de la Nouvelle-Angleterre n'est pas mort.
puritans sjws
Les puritains : « Vous ne pouvez pas dire cela, c'est blasphématoire ! » Les SJW : « Tu peux pas dire ça, c'est offensant ! » C'est toujours le même refrain…
Dans les années 1630, les puritains s'installèrent dans la baie du Massachusetts. Contrairement au mythe populaire, ces individus n'étaient pas des champions de la liberté de culte. Certes, ils fuyaient une forme d'oppression en Angleterre, mais ce qui les intéressait n'était pas tant la liberté de culte et de conscience en tant que telle que leur propre liberté - et au diable leurs congénères. En essence, les puritains voulaient être libérés de l'oppression afin d'exercer leur propre forme d'oppression contre le reste de humanité.

Certes, les puritains ne furent pas les seuls à contribuer à la culture américaine contemporaine. Comme le rappelle Colin Woodard dans son ouvrage American Nations, le Canada, les États-Unis et le nord du Mexique étaient principalement constitués de onze cultures aux racines distinctes auxquelles appartenaient les premiers colons. Dans chacune de ces régions bien définies, les mœurs de leur « pères fondateurs » respectifs perdurent encore aujourd'hui : on citera la culture espagnole mestizo (métisse) du nord du Mexique et des États du Sud (El Norte), les catholiques français féodalistes de la Nouvelle-France, les royalistes conservateurs et la néo-aristocratie de Virginie et des Carolines (Tidewater), les puritains utopistes de la Nouvelle-Angleterre (Yankeedom), les marchands corporatistes néerlandais de la Nouvelle-Amsterdam (future New York), la société esclavagiste barbadienne du Deep South (le Sud profond), les Quakers libertaires des Midlands, ou encore la culture guerrière et clanique des Appalaches, sans oublier les influences plus récentes (XIXe et XXe siècles) : la « Left coast » (Côte Ouest) influencée par la culture Yankee et constituée d'individualistes, d'activistes et d'entrepreneurs ; le « Far West » corporatiste et semi-indépendant ; et la « First nation » renaissante du nord du Canada, qui représente sans doute la culture la plus ancienne (et aujourd'hui la plus récente) d'Amérique du Nord. Toutes ces cultures ont beau avoir des frontières communes et les traverser parfois, elles sont nettement distinctes les une des autres. (Il faudrait aussi mentionner la culture polynésienne d'Hawaï et celle du sud de la Floride, teintée d'hispanisme caribéen).

Alors quand on parle des « Américains », il faut savoir de qui l'on parle exactement. En tant que Canadien, je pourrais trouver amusant de me moquer de mes voisins du Sud (sentiment réciproque, je suppose) mais culturellement, j'ai sans doute bien plus en commun avec mes camarades du Far West états-unien qu'avec la côte ouest canadienne, ou les Midlanders canadiens de l'Est. La carte ci-dessous montre les frontières approximatives de ces cultures souvent radicalement différentes :

american nations
Comment ces nations votent-elles ? Voici une carte des dernières élections présidentielles aux États-Unis, selon un découpage par nation (remarquez que nombre de comtés au sein de chaque nation ont voté contre leurs majorités respectives, comme vous pouvez le voir sur cette carte) :

american nations election map
Dans son ouvrage, Woodard aborde l'histoire de ces nations, leurs conflits et leur développement, des origines à aujourd'hui, et la façon dont les cultures respectives des premiers colons ont contribué aux mentalités modernes. Je pense que chaque nation possédait quelque chose de remarquable, même si d'autres caractéristiques sont venues ternir ou subjuguer ces traits plus vertueux. Comparez les penchants anarchistes et les niveaux souvent choquants de violence qui régnaient dans les Appalaches, avec l'importance qu'accordaient les Appalachiens à la souveraineté individuelle ; l'approche égalitariste des habitants de la Nouvelle-France qui prônaient le dialogue et entretenaient d'excellentes relations avec les Indiens, avec leur féodalisme ; l'indépendance et les valeurs axées sur le travail des habitants d'El Norte, avec leur œuvre de missionnaire, en apparence bien intentionnée, mais qui donna naissance à une colonie esclavagiste ; l'esprit d'innovation et les divers mouvements pacifistes et contestataires de la Left Coast, avec la face cachée sordide de la Silicon Valley et de ces mouvements libertaires ; la diversité et la liberté d'investissement régnant à la Nouvelle-Amsterdam, avec sa position centrale en tant que plateforme mondiale de la finance, des médias et de la mode, dont les fruits peuvent être aussi bénéfiques que néfastes.

La culture aristocratique de Tidewater est en train de disparaître - ce qui, selon moi, est une bonne chose. La société esclavagiste et le système de caste incroyablement cruel du Sud profond ont heureusement disparu eux aussi, mais pas leurs relents autoritaristes hérités du républicanisme classique de Rome et des cités-États (esclavagistes) grecques. Un point positif : la culture afro noire du Sud profond nous a donné le blues, le jazz et le rock 'n' roll ; en outre, les classes supérieures nourrissaient au moins des idéaux d'honneur personnel (même s'ils étaient réservés à une minorité privilégiée). Quant aux puritains, nous les verrons ci-dessous dans toute leur majesté décadente, mais au moins, ils se targuaient d'impliquer les citoyens dans le processus politique, et c'étaient d'ardents défenseurs de l'auto-gouvernance. Malheureusement, c'est à peu près tout ce que j'ai pu trouvé d'admirable chez eux.

Contrairement aux puritains, les Quakers des Midlands étaient de véritables défenseurs de la liberté de culte, et leur méfiance vis à vis d'un gouvernement tentaculaire et de l'interventionnisme étatique n'a pas disparu. Ils furent parmi les premiers Américains persécutés en raison de leur religion - par les aristocrates de Tidewater et les puritains Yankee. Dans son histoire libertaire de l'Amérique pré-révolutionnaire, Conceived in Liberty, Murray Rothbard nous en donne un exemple :
À son arrivée à Jamestown, en 1661, un Quaker anglais du nom de George Wilson fut jeté au cachot, fouetté et mis aux fers jusqu'à ce que mort s'en suive. Tandis qu'il agonisait, ce saint homme écrivit : « En dépit de toute leur cruauté, je dis en toute sincérité : "Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu'ils font." » Un an plus tôt, en 1660, l'Assemblée avait voté une loi rendant hors-la-loi « un type d'individus déraisonnables et turbulents connus sous le nom de Quakers... [qui] s'emploient... à détruire la religion, les lois, les communautés et tous les liens maintenant la cohésion sociale. » Apparemment, « la cohésion sociale » impliquait de jeter les gens au cachot et de les écarteler sur un chevalet...

... Les Quakers n'avaient pas de prêtres, refusaient de prêter serment, et refusaient catégoriquement de se battre ou de porter des armes. Ce qui les rendait très impopulaires partout où l'État était vénéré. Ils proclamaient qu'ils étaient « gouvernés par les lois de Dieu et par la lumière intérieure, et non par les lois des hommes ». Dans le Maryland, les Quakers étaient méthodiquement persécutés ; en l'espace d'une année, 40 furent flagellés publiquement. Finalement, les Quakers furent catalogués comme « rebelles et traîtres », et en 1659, le Maryland vota une loi ordonnant leur expulsion de la colonie. Cette loi décrétait que « tout vagabond ou fainéant connu sous le nom de Quaker qui entrerait à nouveau dans la province en serait expulsé à coups de fouets par la police. » (vol. I, p. 81, 108)
Les Quakers avaient pour habitude d'acheter des terres aux Indiens au lieu de les leur voler, pratique exceptionnellement rare dans les autres colonies. Comme les Français du Nord, ils entretenaient des liens amicaux avec les Indiens, « assurés par la disposition que toute demande de réparation soumise par un Indien serait examinée par un jury composé de 6 Blancs et de 6 Indiens. (p. 388) Voilà qui tranche avec la parodie de justice qui avait cours dans les autres colonies, où des tribus entières étaient collectivement tenues responsables des crimes d'un Indien.

Les puritains allèrent jusqu'à ordonner qu'on coupe une oreille à chaque Quaker, et après la mutilation, ils en arrivèrent au meurtre. Qu'y avait-il de si haïssable chez les Quakers ? Un leader puritain dénonça leur habitude de garder leur couvre-chef en sa présence et de l'appeler par son nom au lieu de son titre officiel, « affichant ainsi leur mépris pour l'autorité constituée », comme l'écrit Rothbard. (p. 232) « Les Quakers ne tardèrent pas à répondre que le seul honneur dû à tous les hommes est l'amour, et que la Bible n'a jamais ordonné aux gens de se décoiffer devant des magistrats. » Ils n'aimaient pas les taxes non plus, ni le gouvernement. Dans le West Jersey, à la fin des années 1600 :
... les colons décidèrent qu'ils n'avaient pas besoin de tribunaux. Les Quakers réglaient leurs différends à l'amiable, par le biais de médiateurs informels. Cette méthode simple, directe, pacifique, rapide, très efficace et purement bénévole pour régler les différends s'incarnait dans l'expression « justice de Jersey », en référence à Thomas Olive qui avait pour habitude d'arbitrer les différends en labourant ses champs. Ainsi, durant toute l'année 1680, il n'y eut que deux ou trois actions en justice dans toute la colonie. (p. 418)
Lorsqu'un nouveau sous-gouverneur fut envoyé dans la colonie en 1688, il « eut bien du mal à trouver les employés du gouvernement... [Il] trouva la salle du Conseil déserte, empoussiérée et remplie de papiers épars. Les rouages du gouvernement avaient quasiment cessé de tourner (Rothbard, p. 398). Les choses fonctionnaient très bien ainsi, et les Quakers s'en trouvaient fort aise, mais ça ne devait pas durer.

C'est là qu'entrent en scène les puritains, utopistes qui conjuguent les pires traits des communistes et ceux des Borgs de Star Trek. Voilà comment Woodard les décrit (p.5) : « Pendant plus de quatre siècles, les Yankees ont cherché à bâtir une société plus parfaite sur Terre via l'ingénierie sociale, l'implication relativement étendue des citoyens dans le processus politique, et l'assimilation agressive des étrangers. » Ils se considéraient comme le peuple élu de Dieu qui avait pour mission d'imposer ses mœurs et sa façon de vivre au reste de l'humanité, et ils continuent à voir le gouvernement comme le meilleur moyen d'imposer leurs codes de moralité et d'instaurer une société meilleure. C'est aux puritains que nous devons les germes de l'exceptionnalisme américain et de la Destinée manifeste.

À l'inverse des Quakers et des Français, le comportement des autres colons envers les Indiens était déplorable (à quelques exceptions près au niveau individuel - mais ces exceptions n'ont pas triomphé). Rothbard résume :
(1) En ce qui concerne les Indiens, la culpabilité était invariablement endossée par la communauté et non par l'individu, et les sanctions n'étaient jamais limitées au seul coupable ; (2) la sanction était disproportionnée par rapport au délit originel ; (3) aucune distinction minutieuse n'était établie entre les tribus indiennes, la culpabilité collective étant étendue au-delà de la tribu spécifiquement impliquée ; et (4) on recourait fréquemment aux attaques surprises pour massacrer hommes, femmes et enfants de la tribu. (pp. 217-218)
Même lorsque les colons se battaient entre eux, une pratique apparemment répandue consistait à garantir la sécurité au camp qui avait capitulé, pour ensuite les attaquer ou les massacrer une fois qu'ils avaient rendu les armes et se rendaient aux pourparlers. Les puritains en particulier attaquaient souvent des tribus neutres ou amicales tout en guerroyant contre tel ou tel autre groupe. En 1636, des Indiens de Block Island tuèrent un marchand, John OIdham, ce qui déclencha une guerre qui conduisit à l'extermination de la tribu des Pequots :
... immédiatement après la mort d'Oldham, un groupe de Blancs menés par John Gallop frappèrent et tirèrent sur la bande d'Indiens désarmés responsables du meurtre. Puis ils les noyèrent, en laissant seulement quatre en vie. Sur les quatre, deux se rendirent, dont un qui fut promptement jeté par-dessus bord par Gallop.

Mais ce châtiment expéditif infligé aux criminels fut bien sûr considéré comme insuffisant. Vane, le gouverneur de la baie du Massachusetts, s'empressa de fournir à l'implacable John Endecott une troupe armée chargée de massacrer les Indiens de Block Island. Or les Block Islanders n'avaient rien à voir avec les Pequots. Pourtant même Vane, qui était relativement libéral, conclut à priori que les Pequots devaient héberger certains des meurtriers, et il ordonna à Endecott d'inclure les Pequots dans les rigueurs du « châtiment » collectif. En particulier, Endecott reçut l'ordre de massacrer tous les hommes indiens de Block Island, qu'ils soient innocents ou coupables du crime, et de kidnapper toutes les femmes et tous les enfants - en bref, de dépeupler Block Island des indigènes indiens. Il reçut également l'ordre d'exiger d'eux 1 800 mètres de wampum (perles) et de saisir plusieurs enfants Pequot comme otages pour s'assurer du bon comportement des Indiens.
Lorsque les puritains laissaient des survivants, les femmes et les enfants étaient vendus en esclavage.

Les Américains peuvent aussi remercier les puritains pour la création des premières écoles publiques obligatoires. D'un côté, c'était positif : le taux d'alphabétisation était élevé chez les Yankees, et ils étaient « bien éduqués ». De l'autre, l'instruction publique était un véritable système d'endoctrinement visant à créer une classe dirigeante, une élite (notons que les écoles catholiques étaient prohibées). Rothbard écrit (pp. 167) :
Il ne servirait à rien d'avoir des écoles publiques pour endoctriner les masses, s'il n'y avait pas de masses à endoctriner. D'où une loi, essentielle au système, obligeant chaque enfant de la colonie à être scolarisé. En 1642 fut instaurée la première loi sur l'instruction obligatoire en Amérique, qui contrastait avec le système d'instruction volontaire prévalant alors en Angleterre et dans les colonies du Sud. Les parents ignorant la loi étaient condamnés à une amende, et lorsque les représentants du gouvernement jugeaient les parents ou les tuteurs inaptes à faire éduquer les enfants correctement, le gouvernement était habilité à les saisir et à les placer comme apprentis chez des tiers.
Cet endoctrinement s'appliquait à toutes les facettes de la vie puritaine. On devine aisément ce qu'en pense Rothbard. Je ne peux qu'être d'accord avec lui :
L'un des objectifs essentiels de la gouvernance puritaine était une stricte et rigoureuse imposition des bonnes mœurs selon l'austère conception puritaine. Mais puisque les actions des hommes au niveau individuel, lorsqu'ils ont la liberté d'exprimer leurs choix, sont déterminées par leurs convictions et leurs valeurs profondes, les codes moraux obligatoires ne servent qu'à fabriquer des hypocrites, et non à promouvoir une moralité authentique. La coercition oblige simplement les gens à modifier leurs comportements ; elle ne les persuade pas de changer leurs valeurs et leurs convictions profondes. Et puisque les personnes ayant des convictions morales sont naturellement vertueuses sans qu'on ait besoin de les y contraindre, le seul véritable impact d'un code moral imposé est d'engendrer des hypocrites dont les actes ne reflètent plus les convictions profondes. Toutefois, cette conséquence ne dérangeait pas les puritains. Le révérend John Cotton, influent pasteur puritain, alla jusqu'à arguer que les hypocrites qui se contentent de se conformer aux règles de l'Église sans conviction profonde pouvaient néanmoins être des membres utiles de la congrégation. Quant à fabriquer des hypocrites, Cotton déclara avec complaisance : « Quand bien même ce serait le cas, alors mieux vaut être hypocrite que mécréant. Les hypocrites donnent à Dieu une partie de son dû : l'homme extérieur ; mais les mécréants ne donnent à Dieu ni homme extérieur, ni homme intérieur. »
Ce qui suit n'est qu'une infime partie de leurs lois :
Un des prérequis de l'application efficace de tout code de conduite sera toujours un système performant d'espionnage constitué d'informateurs. Ce système de mouchardage mutuel mis en place dans le Massachusetts, de façon informelle mais néanmoins efficace, consistait à espionner ses voisins et ses amis, lesquels faisaient de même avec vous, chacun envoyant des comptes-rendus détaillés au pasteur sur tous les écarts observés chez ses concitoyens (comme le péché d'oisiveté). L'encerclement des « center villages » (bourgs ou villages ruraux) par les villes aidait au bon fonctionnement du réseau, et la base d'informations personnelles collectées par chaque pasteur ajoutait à son formidable pouvoir politique. En outre, la menace d'excommunication était redoublée par la menace du châtiment séculaire correspondant.

Certains habitants considéraient toutefois que ce mouchardage informel manquait de rigueur, et ils mirent en place un système d'espionnage officiel dont les représentants, les tithingmen, étaient chargés de surveiller les affaires privées de ses dix plus proches voisins.

Un des impératifs moraux puritains était la stricte observance du Sabbat : s'adonner à n'importe quel plaisir terrestre durant cette période constituait une grave offense envers l'Église et l'État. À la fin des années 1650, le Grand tribunal apprit avec consternation que certains individus (résidents comme extérieurs à la communauté) « s'obstinaient, sans aucun sens des convenances, à marcher dans les rues et dans les champs » le dimanche, et même à voyager de ville en ville et à boire dans les auberges. Ainsi le Grand tribunal vota-t-il dûment une loi prohibant le fait de jouer, de boire et de voyager de ville en ville » le dimanche. Lorsque les contrevenants étaient incapables de payer l'amende infligée, un agent de police devait les flageller, à raison de cinq coups de fouet maximum par amende de 10 shillings. Pour imposer ces régulations et prévenir les délits, les villes barraient leurs portes le dimanche, et personne n'avait le droit de sortir. Si deux ou plusieurs personnes se rencontraient par hasard dans la rue le dimanche, elles étaient rapidement dispersées par la police. La période du Sabbat n'était pas spécialement brève non plus : sur l'inspiration du révérend John Cotton, en Nouvelle-Angleterre, le Sabbat débutait rigoureusement le samedi au coucher du Soleil et se poursuivait jusqu'au dimanche soir, garantissant ainsi qu'aucun moment du week-end ne pouvait être consacré aux divertissements. En effet, même si le divertissement n'était pas prohibé durant la semaine, il était vu d'un très mauvais œil, la légèreté étant condamnée comme une chose « incompatible avec la gravité qui devait toujours être de mise chez un chrétien sérieux. »

Il était également prohibé d'embrasser sa femme en public le dimanche. Un capitaine de vaisseau, de retour chez lui un dimanche matin après un voyage de trois ans, eut l'indiscrétion d'embrasser sa femme sur le seuil de leur maison. On le mit au pilori pendant deux heures pour cette « atteinte à la pudeur et ce comportement déplacé le jour du Sabbat ».
Quelle horreur ! On imaginerait presque les puritains agripper leurs rosaires - enfin, si une telle exhibition de richesse impie avait été autorisée. Ne pas se rendre à l'église, s'y endormir, jouer à des jeux d'argent (par contre, les loteries du gouvernement étaient autorisées), porter de beaux vêtements et avoir les cheveux trop longs étaient passibles d'amende. « Étaient également prohibés les jeux d'adresse dans les établissements publics, comme le jeu de boules ou de palets, ces activités étant considérées comme une perte de temps par les gardiens moraux auto-proclamés du gouvernement. »
En fait, l'oisiveté n'était pas un simple péché, mais aussi une infraction punissable - à tout moment, pas seulement le dimanche. Si un gendarme découvrait que quiconque, seul ou en groupe, s'adonnait à des comportements aussi odieux que patiner sur la glace, nager ou s'en fumer une en cachette, il avait pour ordre de le signaler au magistrat. Le temps était apparemment un don de Dieu et, par conséquent, il devait toujours être consacré à Le servir. Tout péché commis contre « le temps divin » était un crime contre l'Église et l'État.
En quoi tout cela est-il important ? Eh bien, si vous grattez le vernis religieux, cette mentalité perdure encore aujourd'hui. Les puritains eux-mêmes auraient évidemment marqué leurs descendants culturels du sceau de l'hérésie et les auraient fustigés comme idolâtres débauchés, mais nos guerriers de la justice sociale portent fièrement le flambeau des inepties en odeur de sainteté. C'est comme si les pires traits du Yankeedom, de la Left Coast et de la Nouvelle-Amsterdam avaient fusionné pour créer un Rosemary's baby absolument effrayant.

Par exemple, le révolution sexuelle de la Left Coast a donné naissance à une culture prônant la promiscuité sexuelle, les relations faciles et frivoles où tout est permis. Mais alliez à cela la volonté des Yankee d'imposer ces valeurs-là à toute l'humanité, avec toute la force coercitive du gouvernement, et vous obtenez les délires schizophrènes que nous voyons aujourd'hui. D'un côté, tout est permis, et vous devez accepter que tout est permis sous peine de sanction. Mais de l'autre, on retrouve chez ces mêmes individus la tendance à vouloir réglementer la sexualité elle-même. La vie sexuelle des étudiants, par exemple, doit être étroitement contrôlée et réglementée : consentement verbal requis à chaque étape de l'intimité physique - sinon, c'est du viol. Cette culture promeut un idéal hypersexualisé tout en feignant l'indignation lorsque la conséquence naturelle est un comportement sexuel jugé malvenu. On ne peut prôner le « tout est permis » d'un côté, et faire du deux poids deux mesures de l'autre. Ce n'est pas ainsi que fonctionne la nature humaine.

Ensuite, vous avez le grand écart entre les discours du genre : « la prostitution est une profession féminine émancipatrice », et le fait d'interdire à des femmes de travailler comme ring girls même si ce métier leur plaît. Mais non, il est immoral que des femmes affichent leur beauté devant des hommes qui apprécient de les regarder, et nos « gardiens moraux auto-proclamés » sont heureux de légiférer pour priver ces femmes de leur emploi au nom de la sacro-sainte vertu.

Alliez au puritanisme Yankee le multiculturalisme de la Nouvelle-Amsterdam, et vous obtenez quelque chose de similaire : une discrimination positive paternaliste (qui dissimule son propre racisme : « les minorités sont en essence inférieures, donc elles doivent recevoir un traitement spécial afin d'être au niveau des Blancs »), une application rigide du dogme de la diversité (« tous ceux qui ne sont pas d'accord avec moi sont racistes »), et l'amplification législative de concepts tels que le « discours de haine ».

La conséquence ultime est, comme l'a fait observer Rothbard pour les puritains, la création d'une vaste horde d'hypocrites dont le comportement extérieur se conforme aux normes de cette étrange moralité, mais dont les convictions profondes ne concordent pas avec les actes. Un parfait exemple : les hommes féministes. Mais comme pour leurs ancêtres, l'hypocrisie qui en découle est un compromis valable aux yeux des puritains modernes. Mieux vaut se conformer à la moralité imposée, même si c'est par peur et coercition, qu'exprimer des opinions, idées et sentiments qui ne concordent pas avec le dogme établi. Ayez l'audace de le faire, et une ligue d'informateurs bien-pensants chargés d'écumer vos comptes sur les réseaux sociaux vous démasquera, vous traînera sur la place publique et vous couvrira symboliquement de goudron et de plumes.

Ces puritains modernes sont aussi dépourvus d'humour que leurs modèles du passé : ils nous privent du plaisir et de la joie que procurent habituellement les loisirs - les divertissements, les émissions télé ou les films, les matchs de football ou de boxe, les courses de voiture, etc. Même la politique et le monde universitaire - domaines non traditionnellement associés aux émotions telles que la joie ou la légèreté - ont été vidés de leur force vitale. (Trump est l'exception qui confirme la règle). À l'instar des premiers colons de la Nouvelle-Angleterre, les puritains modernes utilisent le système éducatif obligatoire pour endoctriner la jeunesse - de la maternelle à l'enseignement supérieur - de sorte qu'elle adopte leur moralité « tendance ». Et comme les mutilateurs, tortionnaires et meurtriers de jadis, ils voient la punition collective comme une vertu à prodiguer à tous les hommes lorsque ça les arrange : à tous les Blancs, à tous les hétérosexuels ou « cisgenres », ou encore à telle ou telle classe privilégiée à laquelle vous appartenez malgré vous.

Margaret Atwood avait tout faux : le cauchemar dystopien puritain n'aura sans doute pas grand-chose à voir avec le monde qu'elle dépeint dans La servante écarlate. Il est plus probable qu'il soit créé par un gang de fouineurs interventionnistes imposant leur idéologie « woke » aux masses. Nous y sommes presque.