Le génocide est un processus qui se développe en dix étapes prévisibles mais pas inexorables. À chaque étape, des mesures préventives peuvent l'arrêter. Le processus n'est pas linéaire. Les étapes peuvent se dérouler simultanément. [En général et] de façon logique, les étapes ultérieures doivent être précédées par les étapes antérieures. Mais chaque étape [antérieure] continuent à fonctionner tout au long du processus [qui mènent aux étapes ultérieures - NdT].
Génocide
© Inconnu
Note du traducteur : Inventé en 1944 par Raphael Lemkin, un juif polonais, conseiller au secrétariat américain à la Guerre, pour désigner les crimes commis par les nazis sur les juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, le terme « génocide » a été adopté par la Convention ses Nations-Unies en 1948. Il est utilisé pour la première fois dans un cadre juridique par le tribunal militaire international de Nuremberg en 1945, au moment de la mise en accusation des responsables nazis, finalement condamnés pour crimes contre l'humanité. Dans le droit international, la Convention énumère une série de crimes, dont le meurtre, qui constituent le génocide à condition d'être commis « avec l'intention de détruire en tout ou en partie un groupe national, ethnique, racial ou religieux ».

Son étymologie est composé de la racine du grec ancien γένος, genos, la « race », le « clan », la « descendance », la « génération », la « naissance », et du latin cide, « tuer » ; γένος, genos est une racine grecque que l'on retrouve dans les termes « gène », « génétique », « génome », « eugénisme ». Après un détour par le latin genus, il donnera « généreux » ou encore « généalogie ».

Il peut être intéressant — dans un contexte de globalisation et de « guerre » de quelques-uns contre le plus grand nombre — d'élargir le concept d'un groupe puissant et d'un groupe plus faible tels qu'il est présenté ci-dessous, à ce qui pourrait constituer une « idéologie d'exclusion » à même de tenter de mettre en œuvre ce qui fut gravé en 1980 sur les Georgia Guidestones. À chaque lecteur de se faire sa propre opinion.
1 — Classification

Toutes les cultures possèdent des catégories permettant de distinguer les gens entre « nous et eux » selon l'appartenance ethnique, la race, la religion ou la nationalité : Allemand et Juif, Hutu et Tutsi. Les sociétés bipolaires qui ne possèdent pas de catégories variées, comme le Rwanda et le Burundi, sont les plus susceptibles de connaître un génocide.

La principale mesure préventive à ce stade précoce est de développer des institutions universalistes qui transcendent les divisions ethniques ou raciales, qui promeuvent activement la tolérance et la compréhension, et qui favorisent des classifications qui transcendent les divisions. L'Église catholique romaine aurait pu jouer ce rôle au Rwanda, si elle n'avait pas été déchirée par les mêmes clivages ethniques que la société rwandaise. La promotion d'une langue commune dans des pays comme la Tanzanie a également favorisé une identité nationale transcendante. Cette recherche d'un terrain d'entente est vitale pour la prévention précoce du génocide.

2 — Symbolisation

Nous attribuons aux classifications des noms ou d'autres symboles. Nous nommons les gens « Juifs » ou « Tsiganes », ou les distinguons par leurs couleurs ou leurs vêtements ; et nous appliquons les symboles aux membres des groupes. La classification et la symbolisation sont universellement humaines et n'entraînent pas nécessairement un génocide, sauf si elles conduisent à la déshumanisation. Lorsqu'ils sont associés à la haine, les symboles peuvent être imposés à des membres réticents de groupes parias : l'étoile jaune pour les Juifs sous le régime nazi, le foulard bleu pour les personnes de la zone orientale au Cambodge des Khmers rouges.

Pour lutter contre la symbolisation, les symboles de haine peuvent être légalement interdits (croix gammées en Allemagne), tout comme les discours de haine. Les marques de groupe, comme les vêtements de gang ou les cicatrices tribales, peuvent également être interdites. Le problème réside dans le fait que les limitations légales échoueront si elles ne sont pas soutenues par une application dans la culture populaire. Bien que les termes Hutu et Tutsi aient été interdits au Burundi jusque dans les années 1980, des mots-codes les ont remplacés. Cependant, si elle est largement soutenue, le refus de la symbolisation peut constituer un levier puissant, comme ce fut le cas en Bulgarie, où le gouvernement a refusé de fournir suffisamment de badges jaunes et où au moins 80 pour cent des Juifs ne les portaient pas, privant ainsi l'étoile jaune de sa signification en tant que symbole nazi désignant les Juifs.

3 — Discrimination

Un groupe dominant utilise la loi, la coutume et le pouvoir politique pour refuser leurs droits aux autres groupes. Le groupe dépourvu de pouvoir peut ne pas se voir accorder les pleins droits civils, le droit de vote, ou même la citoyenneté. Le groupe dominant est animé par une idéologie d'exclusion qui priverait de leurs droits les groupes plus faibles. Cette idéologie préconise la monopolisation ou l'expansion du pouvoir par le groupe dominant. Elle légitime la victimisation des groupes les moins puissants. Les partisans des idéologies d'exclusion sont souvent charismatiques, exprimant le ressentiment de leurs adeptes, attirant le soutien des masses. Les lois de Nuremberg de 1935 dans l'Allemagne nazie, qui ont dépouillé les Juifs de leur citoyenneté allemande et interdit leur emploi par le gouvernement et les universités, en sont des exemples. Le refus de la citoyenneté à la minorité musulmane Rohingya en Birmanie en est une illustration actuelle.

Prévenir la discrimination implique une pleine émancipation politique et des droits de citoyenneté pour tous les groupes d'une société. La discrimination fondée sur la nationalité, l'origine ethnique, la race ou la religion devrait être interdite. Si leurs droits sont violés, les individus devraient avoir le droit de poursuivre l'État, les entreprises et d'autres individus.

4 — Déshumanisation

Un groupe nie l'humanité de l'autre groupe. Ses membres sont assimilés à des animaux, de la vermine, des insectes ou des maladies. La déshumanisation inhibe l'habituelle répugnance de l'homme à l'égard du meurtre. À ce stade, la propagande haineuse dans la presse écrite et sur les radios est utilisée pour diaboliser le groupe victime. On apprend au groupe majoritaire à considérer l'autre groupe comme moins qu'humain, et même comme étranger à sa société. Ils sont endoctrinés à croire que « Nous sommes mieux sans eux ». Le groupe dépourvu de pouvoir peut devenir à ce point dépersonnalisé qu'on lui attribue des numéros plutôt que des noms, comme l'étaient [entre autres - NdT] les Juifs dans les camps de la mort. Ils sont assimilés à la saleté, l'impureté et l'immoralité. Les discours de haine répandent la propagande des discours officiels par le biais des radios et des organes de presse tout aussi officiels.

Pour lutter contre la déshumanisation, l'incitation au génocide ne devrait pas être confondue avec le droit de parole. Les sociétés génocidaires n'offrent aucune protection constitutionnelle pour les discours contradictoires et devraient être traitées différemment des démocraties. Les leaders locaux et internationaux devraient condamner l'usage de discours haineux et le décréter inacceptable d'un point de vue culturel. Les leaders qui prônent le génocide devraient être interdits de voyage à l'étranger et voir leurs finances étrangères gelées. Les stations de radio diffusant la haine devraient être bloquées ou fermées et la propagande haineuse devrait être interdite. Les crimes de haine et les atrocités devraient être rapidement punis.

5 — Organisation

Le génocide est toujours organisé, généralement par l'État, souvent en utilisant des milices pour faciliter le déni de toute responsabilité étatique. (Un exemple est le soutien et l'armement des Janjawids au Darfour par le gouvernement soudanais). Parfois, l'organisation est informelle (foules hindoues dirigées par des militants RSS locaux pendant la partition de l'Inde) ou décentralisée (groupes terroristes djihadistes.) Les unités spéciales de l'armée ou les milices sont souvent formées et armées. Des armes sont achetées par les États et les milices, souvent en violation des embargos sur les armes de l'ONU, pour faciliter les actes de génocide. Les États organisent une police secrète pour espionner, arrêter, torturer et assassiner les personnes soupçonnées d'être des opposants aux dirigeants politiques. Une formation spéciale est dispensée aux milices meurtrières et aux unités spéciales de l'armée chargées de tuer.

Pour lutter contre cette étape, l'appartenance aux milices génocidaires devrait être interdite. Leurs leaders devraient se voir refuser des visas pour voyager à l'étranger tout comme devraient être gelés les avoirs qu'ils peuvent y détenir. L'ONU devrait imposer des embargos sur les armes aux gouvernements et aux citoyens des pays impliqués dans des massacres génocidaires, et créer des commissions pour enquêter sur les violations, comme cela a été fait dans le Rwanda post-génocide, et utiliser les systèmes juridiques nationaux pour poursuivre ceux qui violent ces embargos.

6 — Polarisation

Les extrémistes font éclater les groupes. Les groupes haineux diffusent une propagande polarisante. Les motivations pour cibler un groupe spécifique sont accompagnées d'un endoctrinement médiatique. Les lois peuvent interdire les mariages mixtes ou l'interaction sociale. Le terrorisme extrémiste cible les modérés en les intimidant et en les réduisant au silence. Les modérés appartenant au groupe dominant sont les plus à même de mettre fin à un génocide, de même que les premiers à être arrêtés et tués. Les leaders des groupes ciblés sont les prochains à être arrêtés et assassinés. Le groupe dominant adopte des lois ou des décrets d'urgence qui lui confèrent un pouvoir total sur le groupe ciblé. Ces lois érodent les libertés et les droits civils fondamentaux. Les groupes ciblés sont désarmés et deviennent incapables de se défendre et le groupe dominant exerce sur eux un contrôle total.

Prévenir la polarisation pourrait nécessiter la protection et la sécurité de ces dirigeants modérés ou l'assistance des groupes de défense des droits de l'homme. Les avoirs des extrémistes pourraient être saisis et les visas pour les voyages à l'étranger pourraient leur être refusés. Les coups d'État des extrémistes devraient faire l'objet de sanctions internationales. Des objections vigoureuses au désarmement des groupes d'opposition devraient s'élever. Si nécessaire, ils devraient être armés pour se défendre.

7 — Préparation

Des plans sont élaborés pour des assassinats génocidaires. Les leaders des groupes nationaux ou des groupes d'extrémistes planifient la « solution finale » à la « question » juive, arménienne, tutsie ou autre groupe ciblé. Pour masquer leurs intentions, ils utilisent souvent des euphémismes comme par exemple en parlant de leurs objectifs comme d'un « nettoyage ethnique », d'une « purification » ou d'un « contre-terrorisme ». Ils construisent des armées, achètent des armes et forment leurs troupes et leurs milices. Ils endoctrinent la population en lui insufflant la peur du groupe victime. Les leaders prétendent souvent que « si nous ne les tuons pas, ils nous tueront », déguisant le génocide en légitime défense. Si un conflit armé ou une guerre civile est en cours, les actes de génocide sont déguisés en contre-insurrection. Il se produit alors une augmentation soudaine de la rhétorique enflammée et de la propagande haineuse dans le but de créer un sentiment de peur à l'égard de l'autre groupe. Les processus politiques tels que les accords de paix qui menacent la domination totale du groupe génocidaire, ou les élections à venir qui peuvent leur coûter leur emprise sur le pouvoir total, peuvent en fait déclencher un génocide.

Empêcher la préparation pourrait inclure des embargos sur les armes et des commissions pour les faire respecter, et devrait inclure des poursuites pour incitation et conspiration en vue de commettre un génocide, deux crimes visés à l'Article 3 de la Convention sur le génocide.

8 — Persécution

Les victimes sont identifiées et séparées en raison de leur identité ethnique ou religieuse. Des listes de mise à mort sont rédigées. Dans les génocides parrainés par l'État, les membres des groupes de victimes peuvent être contraints de porter des symboles d'identification. Leurs biens sont souvent expropriés. Parfois, ils sont même séparés dans des ghettos, déportés dans des camps de concentration ou confinés dans une région où la famine sévit et où ils sont affamés. Ils sont délibérément privés de ressources telles que l'eau ou la nourriture afin de les détruire lentement. Des programmes sont mis en œuvre pour empêcher la procréation par la stérilisation forcée ou les avortements. Les enfants sont enlevés de force à leurs parents. Les droits fondamentaux des victimes sont systématiquement bafoués par des exécutions extrajudiciaires, la torture et les déplacements forcés. Des massacres génocidaires commencent. Ce sont des actes de génocide car ils détruisent intentionnellement une partie du groupe. Les auteurs de ces actes surveillent si ces massacres suscitent une réaction internationale. Si ce n'est pas le cas, ils se rendent compte que la communauté internationale sera à nouveau spectateur et autorisera un autre génocide.

À ce stade, une urgence génocidaire devrait être déclarée. Si la volonté politique des grandes puissances, des alliances régionales, du Conseil de sécurité ou de l'Assemblée générale des Nations unies peut être mobilisée, il faut préparer une intervention internationale armée ou fournir une aide lourde au groupe victime pour qu'il se prépare à se défendre. L'aide humanitaire doit être organisée par les Nations unies et les groupes de secours privés pour faire face à l'inévitable vague de réfugiés à venir.

9 — Extermination

À ce stade, l'extermination commence, et devient rapidement le massacre de masse légalement appelé « génocide ». Il s'agit bien pour les tueurs d'une « extermination », car ils sont persuadés que leurs victimes ne sont pas totalement humaines. Lorsque cette extermination est parrainée par l'État, les forces armées travaillent souvent avec des milices pour perpétrer les massacres. Parfois, le génocide se traduit par des meurtres par vengeance de groupes les uns contre les autres, créant ainsi le cycle descendant du génocide bilatéral (comme au Burundi). Les actes de génocide montrent à quel point les victimes sont déshumanisées. Les cadavres sont déjà démembrés ; le viol est utilisé comme un outil de guerre pour modifier génétiquement et éradiquer l'autre groupe. La destruction des biens culturels et religieux est utilisée pour anéantir l'existence du groupe dans l'histoire. L'ère de la « guerre totale » a commencé pendant la Seconde Guerre mondiale. Les bombardements aériens ne différenciaient pas les civils des non-combattants. Les guerres civiles qui ont éclaté après la fin de la Guerre froide n'ont pas non plus différencié les civils et les combattants. Elles se traduisent par des crimes de guerre généralisés. Les viols collectifs de femmes et de filles sont devenus une caractéristique de tous les génocides modernes. Tous les hommes en âge de combattre sont dans certains génocides assassinés. Dans les génocides totaux, tous les membres du groupe ciblé sont exterminés.

À ce stade, seule une intervention armée rapide et massive peut mettre fin au génocide. De véritables zones de sécurité ou des couloirs humanitaires pour évacuer les réfugiés devraient être établis avec une protection internationale fortement armée. (Une zone « sûre » non sécurisée est pire que pas de zone du tout.) La Brigade multinationale d'intervention rapide des forces en attente pour les opérations des Nations unies, la Force d'intervention rapide européenne [EUROFOR - NdT] ou les forces régionales — devraient être autorisées par le Conseil de sécurité des Nations unies à agir si le génocide est de faible ampleur. Pour les interventions plus importantes, une force multilatérale autorisée par l'ONU devrait intervenir. Si le Conseil de sécurité de l'ONU est paralysé, les alliances régionales devraient de toute façon agir en vertu du chapitre VIII de la Charte de l'ONU, ou l'Assemblée générale de l'ONU devrait autoriser une action en vertu de la résolution 330 du 3 novembre 1950 intitulée « L'union pour le maintien de la paix », qui a été utilisée treize fois pour une telle intervention armée. Depuis 2005, la responsabilité internationale de protéger transcende les intérêts étroits des États nations individuels. Si les nations fortes ne fournissent pas de troupes pour intervenir directement, elles devraient fournir le transport aérien, l'équipement et les moyens financiers nécessaires à l'intervention des États régionaux.

10 - Déni

Le déni est l'étape finale qui s'inscrit dans la durée et qui suit toujours le génocide. Il constitue l'un des indicateurs les plus probants de [l'existence de] nouveaux massacres génocidaires. Les auteurs du génocide creusent les fosses communes, brûlent les corps, tentent de dissimuler les preuves et intimident les témoins. Ils nient avoir commis des crimes et rejettent souvent la responsabilité de ce qui s'est passé sur les victimes. Ils bloquent les enquêtes sur les crimes et continuent à gouverner jusqu'à ce qu'ils soient chassés du pouvoir par la force, puis s'enfuient en exil. Ils y restent en toute impunité, comme Pol Pot ou Idi Amin, à moins qu'ils ne soient capturés et qu'un tribunal ne soit créé pour les juger.

La meilleure réponse au déni est la punition par un tribunal international ou des tribunaux nationaux. Là, les preuves peuvent être entendues et les auteurs punis. Des tribunaux comme ceux de la Yougoslavie, du Rwanda ou de la Sierra Leone, le tribunal chargé de juger les Khmers rouges au Cambodge ou la Cour pénale internationale ne peuvent pas dissuader les pires tueurs génocidaires. Mais avec la volonté politique de les arrêter et de les poursuivre, certains peuvent être traduits en justice. Dans la mesure du possible, les procédures locales devraient permettre d'entendre les preuves contre les auteurs qui n'étaient pas eux-mêmes les principaux leaders et organisateurs d'un génocide, avec des opportunités de dédommagement et de conciliation. Les procès rwandais gacaca en sont un exemple. La justice devrait s'accompagner d'une éducation dans les écoles et les médias sur les faits d'un génocide, les souffrances qu'il a causées à ses victimes, les motivations de ses auteurs et la nécessité de rétablir les droits de ses victimes.
À propos de l'auteur

Le Dr Gregory H. Stanton est le fondateur et le président de Genocide Watch. Il fut aussi Professeur de recherche en études et prévention du génocide, à l'université George Mason d'analyse et de résolution des conflits, à l'université George Mason, Arlington, en Virginie — États-Unis
Source de l'article initialement publié en anglais en 2016 : Genocide Watch
Traduction : Sott.net