Tandis que la France s'enfonce dans le ridicule d'une politisation de la médecine, ailleurs dans le monde des débats commencent sur les défis scientifiques de l'avenir. En Australie, les chercheurs s'interrogent sur les chances et les risques des innovations en neurosciences qu'ils sont en train de développer. La guérison ou la neutralisation de certaines maladies neurologiques est à l'horizon. Mais ces extraordinaires découvertes et développements technologiques pourraient être détournés par les entreprises et les gouvernements pour restreindre les droits individuels et manipuler les personnes.
Big Brother is Watching You
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« Le crâne est le dernier bastion de la vie privée. Le cerveau est la dernière partie privée de nous-mêmes. »
Celui qui prononce ces phrases définitives est le neurochirurgien australien Tom Oxley, qui est aussi PDG de Synchron, une entreprise de neurotechnologie née à Melbourne qui a testé avec succès des implants cérébraux permettant aux gens d'envoyer des courriels et des textes par la seule pensée.

En juillet de cette année, Synchron est devenue la première entreprise au monde, devant des concurrents comme Neuralink d'Elon Musk, à obtenir l'autorisation de la Food and Drug Administration (FDA), l'Agence américaine du médicament, pour mener des essais cliniques d'interfaces cerveau-ordinateur sur des humains aux États-Unis.

Synchron a déjà réussi à introduire des électrodes dans le cerveau de patients paralysés via leurs vaisseaux sanguins. Les électrodes enregistrent l'activité cérébrale et transmettent les données sans fil à un ordinateur, où elles sont interprétées et utilisées comme un ensemble de commandes, permettant aux patients d'envoyer des courriels et des textes.

C'est un nouvel essai technologique dans un champ scientifique en pleine expansion. La stimulation cérébrale en est une autre, qui délivre des impulsions électriques ciblées au cerveau et est utilisée pour traiter les troubles cognitifs. D'autres, comme les techniques d'imagerie, permettent de surveiller le cerveau en temps réel.
Synchron, neurotechnologie
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Le risque d'un détournement des technologies de guérison du cerveau par les entreprises et les gouvernement

Un collègue de Tom Oxley, David Grant, chercheur à l'université de Melbourne, déclare :
« Le potentiel des neurosciences pour améliorer nos vies est presque illimité. Cependant, le niveau d'intrusion qui serait nécessaire pour concrétiser ces avantages... est gigantesque. »
Les préoccupations de David Grant concernant la neurotechnologie ne portent pas sur le travail d'entreprises comme Synchron. Mais que se passerait-il, demande-t-il, si ces capacités passaient de la médecine à un monde commercial non réglementé ? Le professeur Adrian Carter, professeur à l'université Monash de Melbourne, rappelle que
« certaines des menaces attribuées aux neurotechnologies futures sont déjà présentes dans la façon dont les données sont utilisées par les entreprises technologiques au quotidien. L'intelligence artificielle et les algorithmes qui décryptent les mouvements des yeux et détectent les changements de couleur et de température de la peau [en sont des exemples]. Ils lisent les résultats de l'activité cérébrale « à des fins publicitaires. [Des données qui] sont utilisées avec des intérêts commerciaux depuis des années pour analyser, prédire et influencer les comportements. Des entreprises comme Google, Facebook et Amazon ont gagné des milliards [grâce à ce type de données]. »
On pourrait ajouter le risque de gouvernements s'emparant de ces technologies pour instaurer des systèmes de domination des individus.

A l'inverse, dans certains pays, les gouvernements prennent déjà des mesures pour protéger les personnes de cette éventualité.

En 2017, Marcello Lenca, bioéthicien européen, a proposé une nouvelle classe de droits : « les neurodroits », c'est-à-dire « la liberté de décider qui est autorisé à surveiller, lire ou modifier votre cerveau ». Le Chili vient d'adopter une loi pour protéger les neurodroits.

Mais pour David Grant, c'est insuffisant :
« il est naïf de penser que nous pouvons régler ce problème en adoptant une loi. »
En effet, les casques utilisés en Chine ou en Australie génèrent des données à partir de l'activité cérébrale des utilisateurs, et
« il est difficile de savoir où et comment ces données sont stockées, et encore plus difficile de les contrôler. »
Adrian Carter estime que
« La lecture des pensées ? Cela n'arrivera pas, du moins pas de la manière dont beaucoup l'imaginent. Le cerveau est tout simplement trop complexe. Prenez les interfaces cerveau-ordinateur : oui, les gens peuvent contrôler un appareil en utilisant leurs pensées, mais ils doivent s'entraîner pour que la technologie reconnaisse des schémas spécifiques d'activité cérébrale avant de fonctionner. Il ne suffit pas de penser "ouvre la porte" pour que cela se produise. »
Source de l'article publié le 9 novembre 2021: Le Courrier des Stratèges