Traduction copyleft de Pétrus Lombard pour Alter Info

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Le grand écrivain Kurt Vonnegut a intitulé son dernier bouquin A Man without a Country (Un homme sans pays). L'homme, c'est lui ; le pays, c'est la Zunie des Amériques. Vonnegut juge que son pays a foulé du pied ses lois et sa Constitution dans ce qu'il appelle « un coup d'État à la façon d'une mauvaise comédie de Keystone Cops [*] la plus sordide possible. » Il parlait de l'administration Bush. C'était le Vonnegut vivant encore à l'ère de l'après Bush, il ne se serait pas aperçu que son pays était de retour [? moi non plus, ndt].
[* Ndt : Les Flics de Keystone était une série de comédies du cinéma muet avec un groupe de policiers franchement incompétents.]

Comment a disparu notre pays ? Vonnegut propose que, parmi les facteurs qui ont contribué, il a été envahi - comme par les Martiens - par des gens ayant une maladie mentale singulièrement scrogneugneu. Les gens atteints de cette maladie étaient qualifiés de psychopathes (on dit aujourd'hui trouble de la personnalité antisociale). Cette expression s'applique à des gens intelligents, sympathiques et attachante, mais dénués de conscience. Ils ne sont pas guidés par une bonne ou mauvaise raison. Ils semblent insensibles aux sentiments d'autrui, même par les élans de détresse dus à leurs actions. Outrepasser la manière convenable de traiter les gens, violer les codes de déontologie, ne provoque pas chez eux de l'anxiété, de l'angoisse faisant que les autres gens modèrent leurs impulsions les plus cupides. Si la plupart des enfants se sentent anxieux quand ils chapardent le bocal à biscuits défendus, le psychopathe se sent très bien. Il est capable de dévorer les cookies, de briser le bocal pour éliminer les preuves, et de le foutre à la poubelle. Accusé, il est capable d'affirmer avec une sincérité apparente que le bocal à biscuits a disparu depuis au moins une semaine. Il ne souffre d'aucun remords, d'aucun sentiment de culpabilité, ni de honte. Il est libre de faire n'importe quoi, quel que soit le degré de malfaisance.

Les psychopathes peuvent être très difficiles à discerner. Comme l'a écrit en 1941 le docteur psychiatre Hervey Cleckley, dans son ouvrage classique, The Mask of Sanity, les psychopathes ne sont pas fou cliniquement. Ils ne sont affectés par aucune psychose, comme la schizophrénie. Ils sont habiles à paraître normaux. Ils peuvent jouer le rôle d'un cadre altruiste, scrupuleux, même s'ils ne semblent guère éprouver vraiment ce genre de sentiments. S'ils font du mal à quelqu'un, ils ne modifient pas leur comportement.

Selon Vonnegut, les sphères du monde des affaires et du gouvernement de Zunie sont devenues un milieu idéal pour les psychopathes. Cela a permis à un très grand nombre de psychopathes de s'élever très haut dans les compagnies, et ensuite dans le gouvernement. Il écrit,
« C'est qu'ils sont si résolus. Chaque foutu jour ils entreprendront quelque chose, et ils n'ont pas peur. Contrairement aux gens normaux, pour la simple raison qu'ils n'ont rien à foutre de ce qui arrivera ensuite, jamais ils ne sont envahis de doutes. Ils ne peuvent tout simplement pas. Faites ceci ! Faites cela ! Mobilisez les réserves ! Privatisez les écoles publiques ! Attaquez l'Irak ! Réduisez les soins de santé ! Écoutez le téléphone de tout le monde ! Réduisez les impôts des riches ! »
Dans un pays où une grande partie de la culture humaine se traduit par machine à fabriquer du fric, les psychopathes sont des dirigeants rêvés. Ils sont très concentrés. Ils sont axés sur les résultats. Ils sont souvent charmants et généralement très brillants et compétents. Ils peuvent licencier des milliers de gens, les priver de soins de santé ou pratiquer le waterboarding, et cela sans voir leur sommeil perturbé. Ils peuvent être sûr de soi d'une manière impressionnante. Les psychopathes ont la faculté d'être des chefs d'entreprises dynamiques, mais ils sont handicapés par leur manque de sentiments dans leurs rapports. Ils sont capables d'être des capitaines d'industrie parfaits, des sénateurs ou des chirurgiens, mais leur famille est souvent maltraitée et malheureuse. La plupart des psychothérapeutes voient les enfants, épouses ou époux de ces gens accomplis [*].
[* Ndt : Il apparaît aujourd'hui que la réalisation dans les hautes sphères maçonniques consiste à débarrasser l'homme des qualités humaines qui le maintiennent dans la bienveillance envers ses congénères. Il s'agit en fait d'une véritable contre-initiation visant à fabriquer des asnamouss, selon l'expression de Gurdjieff, qui qualifiait ainsi les génies du mal.]

Puisque le psychopathe est souvent très intelligent, il peut vraiment avoir la compétence de se faire passer pour un être humain normal en position de pouvoir. Ne se souciant guère du tort fait aux gens par ses actions, il peut s'élever à une grande hauteur dans les entreprises ayant affaire avec le pouvoir et l'argent. Il peut fabriquer des bombes ou diriger un hôpital. Quelle que soit l'entreprise, c'est du pareil pour lui. C'est juste du business.

Le système économique issu de la destruction des cultures locales d'Amérique a créé une excellente situation d'embauche pour psychopathes. Or, les opportunités qui s'offrent à eux sont désormais si vastes qu'il y a apparemment à présent une véritable pénurie de main-d'œuvre. C'est du moins la seule explication que je puisse trouver à l'avènement d'un cadre de dirigeants psychopathes qui ressemblent au type habituel en toutes façons, sauf une : ils ne sont tout simplement pas très intelligents. Il suffit de regarder les fondamentalistes pas si chrétiens que ça de droite, pour voir l'émergence d'une relève de psychopathes bizarres.

Dotée de ressources abondantes, la Zunie a toujours été une réserve plus que suffisante d'intellectuels psychopathes diplômés de première année pour alimenter les suites des entreprises et leur filiale, le Congrès. Pourquoi niveler à présent le niveau vers le bas, à l'exemple de la baisse des normes de recrutement de l'armée afin de faire face à une pénurie de chair à canon ?

Ce n'est guère un secret que les frères Koch et d'autres super crésus semblent avoir entrepris un ultime effort pour renforcer leur contrôle en convertissant une société vaguement démocratique en État essentiellement fasciste, d'extrême-droite, autoritaire et démagogique. Ce genre de régime est idéal pour le contrôle d'un peuple par les asnamouss fortunés. Mener cela à bien nécessite l'embauche de nombreux hommes politiques « entretenus » pour agiter et détourner les électeurs effrayés et en colère - et ignorants. De peur que le citoyen ne réalise qui a volé son argent et prenne d'assaut leur château avec des torches, les asnamouss rapaces ont besoin de politiciens qui réaliseront le travail de détourner la colère vers les enseignants, les syndicats, [les Arabes, l'Islam, les chômeurs, les terroristes] ou les pauvres. Je ne puis que conclure que les gens qui possèdent désormais le pays n'ont pu trouver aucun psychopathe de premier ordre pour mener à bien leur besogne. À moins que les plus intelligents aient été tous occupés. Ils ont donc dû se tourner vers des seconds couteaux, des gens dont il se pourrait bien qu'ils croient vraiment ce qu'ils disent de raconter.

Nous sommes un pays tombé au second rang, même dans la qualité de nos psychopathes.