De récentes découvertes, réalisées lors des éruptions à proximité du volcan Fagradalsfjall en Islande l'année dernière, ont fait l'objet d'une étude parue cette semaine dans Nature. Les conclusions des scientifiques bouleversent en partie notre compréhension du fonctionnement des volcans.
volcan Fagradalsfjall en Islande, en 2021.
© Toby Elliott /UnsplashÉruption volcanique dans la région de Geldingadalur, près du volcan Fagradalsfjall en Islande, en 2021.
Prélever du magma en pleine éruption n'est pas une mince affaire : entre l'impossibilité de prévoir l'évènement, l'inaccessibilité du lieu, le risque de s'asphyxier avec les gaz toxiques et celui de se retrouver piégé par une coulée de lave, on pourrait même dire qu'il s'agit d'une mission impossible.

Et pourtant. En mars 2021, à partir de l'instant où une faille s'ouvre et entre en éruption à proximité du volcan Fagradalsfjall, dans la région de Geldingadalur située sur la péninsule de Reykjanes au sud-ouest de l'Islande, une série de 50 000 tremblements de terre - dont certains de magnitude 4 et au-delà - vont secouer le sol islandais pendant plusieurs semaines.

Matthew Jackson, Professeur en vulcanologie à l'université de Californie à Santa Barbara (UC Santa Barbara), Sæmundur Halldórsson de l'université d'Islande et leurs collègues se sont rendus immédiatement sur les lieux. Sans savoir que des circonstances inédites allaient se réunir et faciliter grandement leurs travaux.

Des conditions idéales pour étudier un volcan en éruption

En effet, grâce aux vents qui ont chassé les gaz nocifs issus des entrailles de la Terre, ainsi qu'à la lenteur de l'écoulement de la lave, ces scientifiques ont pu s'approcher suffisamment pour échantillonner le magma de façon continue, et ce, tout au long de l'éruption.

Trois questions taraudaient alors les chercheurs : à quelle profondeur du manteau terrestre le magma a-t-il pris naissance, à l'origine ? A quelle profondeur sous la surface était-il stocké juste avant l'éruption ? Et enfin, que se passait-il dans la chambre magmatique avant et pendant l'éruption ?

Publiée dans la prestigieuse revue Nature (14/9/2022), l'étude issue de l'analyse des échantillons recueillis en Islande révèle un processus bien plus dynamique que cela n'avait pu être supposé durant ces deux derniers siècles.

Plus de variabilité du magma en un seul mois qu'en 10 00 ans !

Selon l'hypothèse la mieux étayée avant la publication de cette nouvelle étude, il était d'usage de considérer « qu'une chambre magmatique se remplit lentement au fil du temps, et que le magma se mélange parfaitement » avant d'être « drainé (vers la surface) lors de l'éruption », explique Matthew Jackson, l'auteur principal de l'étude, cité dans un communiqué. De telle sorte que la composition chimique du magma ne varie pas - ou peu - entre le début et la fin de l'éruption.
« C'est ce que nous observons par exemple au mont Kilauea, à Hawaï », illustre le chercheur. « Les éruptions durent plusieurs années, avec des changements mineurs (du magma) au fil du temps ».
Une hypothèse pourtant incompatible avec la récente éruption dont furent témoins les auteurs de l'étude. « En Islande, les taux de changement des principaux indicateurs chimiques ont été multipliés par plus de 1000 », affirme le vulcanologue.
« En un mois, l'éruption du Fagradalsfjall a montré une plus grande variabilité de composition (du magma) que les éruptions du Kilauea en plusieurs décennies », compare le Pr Jackson. « La gamme totale des compositions chimiques (du magma) prélevé lors de cette éruption au cours du premier mois, couvre la totalité de la gamme pour l'ensemble des éruptions qui se sont produites dans le sud-ouest de l'Islande au cours des 10 000 dernières années », lâche-t-il.
Comment fonctionne un volcan ? Imaginez... une lampe à lave !

Mais pourquoi une telle variabilité chimique du magma, et surtout, que peut-on en conclure sur le fonctionnement d'un volcan ? Selon les auteurs de l'étude publiée dans Nature, ces mesures prouvent que le magma en provenance des profondeurs du manteau terrestre est venu s'écouler dans la chambre magmatique en « lots » successifs - et non comme une mixture déjà bien brassée.

Pour le comprendre, l'auteur principal évoque un objet design, très en vogue entre les années 60 et 70 : la « lampe à lave ». Qui ne s'est jamais laissé hypnotiser par ce globe de verre étiré en hauteur, rempli d'un liquide transparent et dans lequel évoluent des boules de cire fondue ?
« Imaginez une lampe à lave dans votre esprit », propose Matthew Jackson. « Vous avez une ampoule chaude au fond, qui chauffe une boule (de cire). Cette boule monte vers le haut, se refroidit, puis coule. Nous pouvons imaginer que le manteau terrestre - du sommet du noyau jusqu'au dessous des plaques tectoniques - fonctionne un peu comme une lampe à lave. »
Ainsi, lorsque la chaleur fait s'élever certaines régions du manteau terrestre, des panaches de roche fondue se forment et remontent vers la surface, s'accumulant ensuite dans des chambres magmatiques. Mais la comparaison avec le luminaire des années disco s'arrête là : lorsque la roche fondue se cristallise, du gaz s'échappe par la croûte terrestre, tant et si bien que la pression augmente, jusqu'à ce que le magma trouve finalement un moyen de s'échapper.

Une découverte applicable à tous les volcans sur Terre ?

Dans leur étude, les chercheurs ont pu décomposer l'éruption dans la zone du volcan Fagradalsfjall en plusieurs étapes. Lors des premières semaines, la lave qui s'écoulait à la surface provenait directement d'une chambre magmatique située à environ 16 km sous la surface, où le magma s'était appauvri en éléments chimiques.

Puis, en avril 2021, la composition du magma s'est trouvée enrichie en magnésium et en gaz carbonique, témoignant du fait que la chambre magmatique s'était « rechargée » avec de la roche fondue provenant d'un autre panache circulant à travers le manteau terrestre - à l'instar d'une autre boule de cire remontant dans une lampe.

Si ces changements rapides de la composition du magma « n'avaient jamais été observés auparavant en temps quasi réel » selon les auteurs, cela s'expliquerait par le fait qu'il est généralement difficile - voire impossible - de prélever des échantillons à un stade aussi précoce d'un cycle d'éruption, qui peut durer jusqu'à plusieurs siècles.

Et il faut dire que l'occasion ne se présente pas si souvent : sur la péninsule de Reykjanes où se trouvaient les chercheurs, la précédente éruption datait... d'il y a 800 ans !

Bien que les auteurs ne soient pas en mesure d'affirmer dans quelle mesure ce processus est représentatif du fonctionnement de l'ensemble des volcans sur notre planète, leur découverte apporte toutefois un éclairage nouveau sur des phénomènes qui demeuraient jusque-là impossibles à vérifier.

Preuve que la Terre a encore des secrets à livrer à l'humanité ? C'est en tout cas ce que pense le Pr Jackson :
« Désormais, lorsque j'irai échantillonner une ancienne coulée de lave, ou lorsque je lirai ou écrirai des articles à l'avenir, j'aurai toujours cela à l'esprit : Ce n'est peut-être pas l'histoire complète de l'éruption », sourit-il.