Nous vivons tous entourés d'objets dont la société de consommation a contribué à faire exploser le nombre. L'exposition « Les Choses », au Louvre, nous propose d'interroger notre rapport aux objets à travers un parcours sur la nature morte, de l'Antiquité à nos jours.
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Genre considéré comme mineur, la nature morte n'avait pas fait l'objet d'une grande exposition parisienne depuis celle au musée de l'Orangerie en 1952. Jusqu'au 23 janvier 2023, 170 œuvres ont été rassemblées au Louvre pour l'exposition « Les Choses », à la fois chronologique et thématique. L'idée qui préside à la genèse de cette exposition est le dialogue entre le visiteur et les objets qui l'entourent au quotidien.

Avant même d'entrer dans le parcours, on est accueilli par la projection de la scène finale du film Zabriskie Point de Michelangelo Antonioni, sorti en 1970 : une vision de l'explosion d'une villa hyperluxueuse. Télévision, vêtements de prêt-à-porter, nourriture de restauration rapide... tous les objets qui incarnent la société de consommation sont pulvérisés dans le ciel bleu. Le ton est donné.
« Car les choses et l'être ont un grand dialogue », écrivait Victor Hugo dans Les Contemplations.
La nourriture au cœur des représentations

L'une des premières pièces de l'exposition est une stèle funéraire égyptienne qui date de 1970 avant notre ère. Un intendant zélé est représenté avec de nombreuses offrandes de nourriture à ses côtés, viandes, pain, bières... au bon serviteur est promise l'abondance matérielle dans l'au-delà. Dès le début de l'exposition, le memento mori est présent à tous les esprits, car des représentations de squelettes et de crânes côtoyant les plus grands mets rappellent au visiteur que la nourriture de ce monde n'empêche pas le pourrissement des corps et la mort. Ce sont les premières vanités... que l'on retrouvera quinze siècles plus tard dans les représentations de l'art chrétien de la Renaissance.

Des témoignages sur le quotidien de nos ancêtres
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Annonciation de l'atelier de Rogier van der Weyden
La peinture de la fin du Moyen Âge introduit des objets dans les scènes religieuses, comme cette Annonciation de l'atelier de Rogier van der Weyden qui se déroule dans une chambre à coucher caractéristique des demeures bourgeoises du milieu de XVe siècle : lit, mobilier, tentures, livre, vase, aiguière... tous les détails permettent au spectateur de l'époque de retrouver dans ce décor familier l'annonce de la naissance de Jésus. À partir du XVIe siècle, il n'y a plus besoin du prétexte religieux pour représenter les objets.

Plusieurs tableaux sont ainsi de précieux témoignage sur les habitudes quotidiennes de l'époque, comme la Fermière hollandaise de Pieter Aertsen entourée de tonneaux, fromages frais, de lait et d'œufs, symboles de renouveau et de printemps, ou encore Le Marché aux poissons de Joachim Beuckelaer, dans lequel le rouge des vêtements des marchands anversois renvoie à celui de la chair des poissons évidés. Ce qui retient l'attention est le travail des peintres dans la composition des toiles, l'harmonie des couleurs et des formes. Car rappelons que le terme français de nature morte est né assez tardivement, au XVIIe siècle, tandis qu'en anglais, on parlera de façon plus précise de vie immobile (still life).

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Le Marché aux poissons de Joachim Beuckelaer
Des natures mortes qui reflètent la vulnérabilité humaine

À partir du XVIIe siècle, les cabinets de curiosités se multiplient, ce qui permet de concentrer en un minimum de place le plus d'objets possible, issus des quatre coins du monde : éponges, coquillages et coraux sont peints en plan rapproché, ou intégrés à des scènes mythologiques comme cette toile de Francken représentant Ulysse reconnaissant Achille déguisé en femme parmi les filles de Lycomède.

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Ulysse reconnaissant Achille déguisé en femme parmi les filles de Lycomède.
Avis aux âmes sensibles, une salle est consacrée aux animaux morts ou écorchés, du célèbre Bœuf écorché de Rembrandt à la Tête de vache photographiée en 1984 par l'Américain Andres Serrano, qui nous regarde d'outre-tombe avec un œil en coin. Ce motif de l'animal mort évoque, dans une projection anthropocentrée, la condition humaine dans sa fragilité et sa vulnérabilité.