Précisons d'emblée combien la publication de ce Journal de guerre est précieuse. Elle l'est tout d'abord parce qu'elle fait connaître à un public plus large que celui des seuls spécialistes la figure du philosophe Valentin Feldman (1909-1942), qui appartient à cette denrée rare, dont parle l'historien Robert Paxton, à savoir les résistants de la première heure (1940-1941).
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Elle permet aussi de donner la parole à celui dont certains 1 ont parlé, mais qui fut, comme beaucoup d'autres, oublié au fil des années. Enfin, s'il fallait donner un dernier argument en faveur de l'intérêt que revêt le Journal de guerre de Valentin Feldman, ce serait, je crois, pour dire combien, en raison de la rareté des témoignages existant sur les mois qui vont de l'immédiate défaite au refus, puis du refus à l'action, son écrit est inestimable.

Ce à quoi son Journal pourrait être comparé, - parce que c'est le seul témoignage qui a été publié-, ce seraient les Carnets de la drôle de guerre de Jean-Paul Sartre, qui, rappelons-le, s'arrêtent en mars 1940. Or, à sa lecture, il apparaît que le journal de Feldman ressemble moins aux Carnets de Sartre qu'aux lettres écrites par Georges Bonnefoy 2 lorsqu'il était sur le front ou bien encore à la correspondance privée de Jean Gosset 3 - ancien normalien, agrégé de philosophie, rédacteur à Esprit jusqu'en 1939 - lorsqu'il est démobilisé.

Il y a entre les écrits de Jean Gosset et celui de Valentin Feldman beaucoup de similitudes : la même rage devant la défaite, le même désir de continuer à faire « quelque chose » sans trop savoir quoi, ni comment ; la même envie de fuir le réel, soit dans sa thèse pour le premier, soit dans la littérature pour le second, pour mieux se reprendre. Le 14 juillet 1940, Valentin Feldman écrit : « j'ai passé ma mauvaise humeur à graver sur un morceau de bois un non. » 4

Né en Russie en 1909, Valentin Feldman, qui perd son père durant la Première guerre mondiale, arrive en France à 13 ans avec sa mère. Après une scolarité au lycée Henry IV, il poursuit ses études de philosophie à la Sorbonne. Naturalisé français en 1931, il devient agrégé de philosophie en 1939. Engagé dans les batailles politiques de son temps (participation à la campagne électorale à Reims en vue de la victoire du Front populaire et organisation du soutien aux réfugiés républicains espagnols de la région de Fécamp), il adhère au parti communiste en 1937. Malgré des problèmes cardiaques qui le rendent inapte au service, il s'engage sur le front en septembre 1939. Son attitude lors des combats de mai-juin 1940 lui vaut l'attribution de la croix de guerre. À l'automne 1940, il devient agent de liaison :
« 18 novembre [1941]. Etre celui qui ne doute de rien. L'aventure n'est pas dans les livres. Etre celui qui nie l'aventure parce qu'il fait l'aventure. Et non pas dans le silence docile d'une nuit où, follement, librement, la conscience fuit son propre néant. »5
Arrêté en février 1942 à la place d'un autre résistant, il est fusillé au mont Valérien le 27 juillet et lance aux soldats allemands chargés de son exécution : « Imbéciles, c'est pour vous que je meurs ! ».
Notes :

1 Cf. notamment Olivier Schwartz, « Valentin Feldman, la connaissance et l'action », in « Visages de la Résistance » La liberté de l'esprit, n°16, Lyon, La Manufacture, 1987, pp. 101-105 ; Louis Parrot, L'intelligence en guerre, Paris, Le castor austral, 1990, p. 210 ; José Corti, Souvenirs désordonnés (...-1965), Paris, José Corti, collection « 10/18 », 1983, pp. 68-69.

2 Né en 1912 à Agen, Georges Bonnefoy est un camarade de promotion de Jean Gosset. Il devient son ami et partage son engagement à Esprit où il écrit quelques articles. Agrégé des lettres et pensionnaire à la fondation Thiers, il rédige sa thèse sur Alfred de Vigny. Affecté au front en septembre 1939, il est tué le 21 juin 1940 en refusant de se rendre à l'ennemi. Archives nationales, Série ABXIX,, 3038 dossier 9 : « journal » de guerre de Georges Bonnefoy, reconstitué par son père, Lucien Bonnefoy, à partir des lettres de son fils adressées à ses parents et à ses amis et des lettres de condoléances reçues lors de sa mort.

3 Sur Jean Gosset, cf. Fabienne Federini, Ecrire ou combattre : des intellectuels prennent les armes (1942-1944), Paris, La découverte, 2006.

4 Ibid., 180.

5 Valentin Feldman, Journal de guerre..., op. cit ., p. 321.
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