Affamer une population bombardée sans arrêt, comme c'est le cas depuis quatre mois à Gaza, est déjà assez répugnant, et même les plus proches amis du bourreau israélien n'ont pu faire autrement que s'en émouvoir. Et même bruyamment, parfois.
hjki
Il faut croire hélas que ce n'était là que larmes de crocodile ; car on reste sans voix face au spectacle de ces âmes charitables décidant, d'un commun accord, de couper elles-mêmes les vivres non plus cette fois aux seuls Gazaouis, mais à tous les réfugiés de Palestine qui croupissent depuis des décennies dans les camps de la misère.

Pour tenter de justifier leur gel du financement de l'agence onusienne assistant ces malheureux (l'Unrwa), les principaux pays donateurs invoquent, comme on sait, la félonie d'une douzaine de ses employés soupçonnés d'implication dans l'opération Déluge d'al-Aqsa menée contre Israël par le Hamas.

Or même si cette accusation devait s'avérer fondée ; même si grâce aux dispositifs électroniques de reconnaissance faciale, les coupables présumés étaient très probablement identifiés dès les premiers jours de la guerre de Gaza ; même si Israël ne s'est décidé à pousser les hauts cris qu'au moment précis où il figurait au banc des accusés devant la Cour de justice internationale ; oui, même en tenant compte de tout ce qui précède, la riposte internationale est d'abord prématurée, puisque l'enquête ouverte par les Nations unies vient tout juste de commencer.

Mais surtout, elle est scandaleusement disproportionnée ; cette mesure a tout en effet d'une punition collective, reproche qui a été communément adressé à la furie meurtrière d'Israël. Honte, dès lors, à ces argentiers que l'on voit user du plus vil des moyens de coercition, celui de la faim annoncée, contre des masses de va-nu-pieds qui n'y étaient pour rien. Honte à ces États, et parmi eux bien d'orgueilleuses démocraties, qui, en privant les réfugiés de leurs pitoyables rations, pénalisent du même coup les pays d'accueil, lesquels en effet auront à en subir les inévitables et déstabilisatrices conséquences. On saluera bien bas en revanche des pays qui, comme la Norvège, l'Irlande et l'Espagne, ont refusé de s'associer à l'infamie.

Car il y va de bien davantage que de distributions de farine et de boîtes de sardine. Outre sa mission d'assistance humanitaire, l'Unrwa est la seule institution internationale habilitée à tenir un registre des victimes de la Nakba de 1948, dépossédées de leurs foyers, et de leurs descendants. C'est cette agence qui leur décerne le peu enviable statut de réfugié, en attendant une juste solution à leur cas. Plus d'agence, donc plus de réfugiés, plus de droit au retour, abracadabra, le tour est joué ! Voilà qui comblerait d'aise les ultra d'Israël, pour qui c'est le peuple palestinien tout entier, réfugié ou non, qui n'existe pas...

Première à dénier ses dollars à l'Unrwa, ce qui donnait le signal de la curée, l'Amérique se pique néanmoins de justice à la Salomon. Remarquables certes sont les sanctions qu'a édictées Joe Biden à l'encontre de colons israéliens coupables d'intolérables violences en Cisjordanie occupée. Leurs actes, est-il ainsi souligné dans le décret présidentiel, compromettent les objectifs de la politique étrangère US et représentent une menace pour la sécurité nationale des États-Unis. Sans toutefois viser les chantres de la colonisation siégeant au sein du gouvernement Netanyahu, ces mesures vont au-delà de simples restrictions de visa et revêtent un caractère financier : ce qui revient tout de même à mettre dans le même sac extrémistes juifs et activistes du Hezbollah.

Cette fort improbable promiscuité n'est guère fortuite cependant. Le jour même où il signait son fameux décret, Joe Biden s'en allait faire campagne dans l'État du Michigan où s'exprime avec le plus de poids la contestation des citoyens d'origine arabe. La crise de Gaza et ses corollaires sont déjà un des thèmes de l'élection présidentielle américaine. Mais est-ce vraiment assez pour donner quelque piquant au choix que se voit offrir cette fois l'électeur américain ?