« Wir gehen de facto all in ! » (On y ira - de facto - tous !) Dans son interview donnée le 12 octobre dernier à l'hebdomadaire Die Zeit, l'actuel ministre de la Défense allemand Boris Pistorius sortait des punchlines qui n'appelaient guère au débat démocratique, mais sonnaient comme des Befehl à l'intention de tous les Allemands qui rechignent aujourd'hui à cautionner la guerre de l'OTAN contre la Russie.
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Pistorius, en bon capo de l'Empire, sortait le knout en affirmant que, face au tyran Vladimir Poutine, les Allemands iraient « de facto all in » (comprenez : par la tignasse de leurs cheveux).

Selon ses dires, la Bundeswehr doit donc constituer un corps d'armée (Heeresdivision) de 35 000 soldats d'ici à 2025, dans le cadre d'une stratégie de dissuasion et de défense de l'OTAN (Abschreckung- und Verteidigungsstrategie der NATO), et ces troupes seront placées sous le commandement supérieur des forces de combat de l'OTAN en Europe (Saceur) ».

Le ministre de la Défense de l'OTAN restait cependant évasif sur le lieu d'affectation final de ce corps d'armée 2025, évoquant un hypothétique « flanc est de l'OTAN ». À votre avis ? Inauguration de chrysanthèmes dans une base otanesque des pays baltes, ou aller simple pour voir Kramatorsk et mourir ?

Dans les jours qui suivirent cette interview, les hauts fonctionnaires de la Grande Muette allemande douchèrent d'eau froide ces projets de Heeresdivision 2025 et ces gonflements de muscles ministériels. Le Münchner Merkur rapporta que l'inspecteur des armées Alfons Mais aurait signifié à sa hiérarchie qu'en dépit de tous les efforts du monde (« trotz aller Bemühungen »), la Bundeswehr ne serait pas en mesure de constituer une telle division de 35 000 recrues avant 2027. Il déclarait (ce que Xavier Moreau explique lui-même depuis des mois) que l'Allemagne ne dispose pas à l'heure actuelle de chaines de production capables d'équiper et d'armer un tel contingent, et que les envois effectués jusqu'à présent vers Kiev ont laissé les entrepôts dans le rouge.

Trois mois plus tard, soit le 19 janvier 2024, le toujours Verteidigungsminister Boris Pistorius donnait alors une nouvelle interview, cette fois pour le quotidien Der Tagesspiegel, et déclarait, schizophrène : « Wir können nicht all in gehen, wie das manche fordern, sonst stünden wir selbst schutzlos da. » (Nous ne pouvons pas y aller all in, comme certains voudraient nous y pousser, car sinon nous nous retrouverions nous-mêmes, là, sans défense).

Dire tout et son contraire, se prendre les pieds dans ses effets d'annonce, avancer et faire machine arrière, les gouvernements européens nous ont habitués à ces coups de girouette. La raison en est simple : ces derniers sont des employés de l'Empire, et celui-ci n'agit pas de manière rationnelle. Le larbin Pistorius reçoit donc un jour des consignes (un script même) qui changent le lendemain, et changeront le surlendemain. Toute ressemblance avec un Olivier Véran à l'époque de la pandémie de Covid-19 serait purement fortuite.

Ces incohérences du ministère de la Défense allemand sont l'occasion de rappeler certains fondamentaux sur l'état actuel de la souveraineté de l'Allemagne en matière militaire.

Après 1945, nos voisins d'outre-Rhin se sont vus tout bonnement interdire de reconstituer une armée ou de seulement mettre en marche une tourneuse-fraiseuse chez Rheinmetall. Plus tard, alors que le général de Gaulle prenait soin de sortir la France du commandement intégré de l'Alliance nord-atlantique, le chancelier Konrad Adenauer, lui, était forcé (par, entre autres, 30 000 GI's toujours stationnés dans son pays) de laisser les clés de la Bundeswehr dans les mains de l'OTAN, donc de l'ami américain.

Pour mettre une couche de peinture sur cet humiliant maintien de la souveraineté nationale entre les mains d'une entité supranationale, il fut écrit dans la Constitution que le fonctionnement logistique de la Bundeswehr (comme par exemple la fixation de son budget) relèverait de la compétence du Bundestag. Aujourd'hui encore, l'OTAN laisse donc les députés allemands débattre du menu fretin, mais dès qu'il s'agit d'engager la Bundeswehr sur un théâtre d'opération extérieur, c'est l'ambassadeur US en poste à Berlin qui convoque les gradés allemands dans sa forteresse de la Pariser Platz et leur explique la marche à suivre.

L'ambassadeur des États-Unis d'Amérique à Berlin est donc de facto le ministre de la Défense de l'actuelle République fédérale allemande ; et l'actuel Boris Pistorius n'est de facto que son porte-parole. Mais en est-il différemment en France, détentrice de l'arme nucléaire ? Si celle-ci s'est vue épargner l'humiliation de voir, en 1945, des bases et troupes US demeurer sur son territoire, on constate que, depuis sa réintégration au sein du commandement intégré de l'OTAN sous Sarkozy, elle n'agit plus à l'international selon ses intérêts bien compris. Depuis cette réintégration, depuis ce fait de haute trahison validé par nos députés de l'Assemblée nationale en 2009, les ministres qui se succèdent au Quai d'Orsay ou rue Saint-Dominique n'ont pas plus de pouvoir décisionnel que Pistorius en Allemagne. Ils ne font que suivre les ordres du Pentagone et nous lire les scripts écrits par l'ambassade US à Paris. Les guerres en Yougoslavie, en Irak, en Libye, en Syrie ou ailleurs en attestent : nous sommes un pays occupé ; un pays en guerre, comme disait Mitterrand au crépuscule de sa vie.

Quoi qu'il en soit, la Deutsche Bundeswehr recrute, et mène depuis plusieurs semaines une campagne publicitaire d'envergure pour enrôler et constituer cette fameuse Heeresdivision 2025 de 35 000 recrues dont parle Pistorius dans Die Zeit. Aux arrêts de bus et de Strassenbahn [tramway, NDLR], on ne peut plus désormais manquer les affiches représentant des soldats en action dans leurs tenues de combat vert-gris. Sur ces affiches publicitaires, figure en petit le mot d'ordre principal de la Bundeswehr « Mach, was wirklich zählt » (Fais ce qui compte vraiment) ; mais les communicants gouvernementaux y ont fait figurer des slogans valant leur pesant de bretzels. Florilège :
« Wir suchen keine Götter in weiss, wir suchen Helden in grün. »
Nous ne cherchons pas de dieux en blanc, nous recherchons des héros en vert.

« Auch bei uns haben Frauen das letzte Wort : als Chefin. »
Chez nous aussi les femmes ont le dernier mot : en tant que cheffe.

Weltfrieden defekt ! Handwerker (M/W/D)* gesucht. » *Männlich/Weiblich/Diverse
Paix mondiale en panne ! Recherche réparateurs (Hommes/Femmes/Divers).
Avec ça, le soldat russe peut frémir ; cette Heeresdivision 2025 devrait lui rappeler le « XIX. Armeekorps » de Guderian. L'absurdité de ces slogans, c'est qu'ils sont écrits en langage bobo-féministo-progressiste, ils parlent donc à une caste sociale qui n'a pas vraiment pour habitude de former le gros de la troupe. Côté homme, peut-être que quelques identitaires lassés de Call of Duty ou de se regarder dans les glaces de leur salle de fitness se laisseront tenter par le grand frisson du live, ou que de jeunes Allemands d'origine turque, barbe bien taillée et licenciés dans les clubs de boxe de Neuköln seront tentés d'aller à Seversk montrer qu'ils en ont.


Dans les deux cas, on les imagine mal se faire mettre au garde-à-vous par une sergente.

Côté femmes : quelques garçonnes des ZEP se prenant pour Lara Croft pourraient faire le pas, mais elles ne votent pas pour Die Grünen. Quant aux « divers », également conviés à la fête par Pistorius, on ne sait pas lesquelles-d'entre-ils se laisseront tenter par la perspective d'un corps-à-corps en milieu urbain avec un commando tchétchène. En tout cas, on attend avec impatience le 14 juillet 2025 ; avec un peu de chance, Brigitte aura convaincu Manu de faire défiler sur les Champs-Élysées cette Heeresdivision 2025 inklusive. La Garde républicaine nous jouera un arrangement des Village People version fanfare, et la fête sera complète. Go east !

Mais Pistorius n'est pas au bout de ses bonnes idées. Dans sa dernière interview au Tagesspiegel, il explique que, pour pallier l'urgence de constituer sa Heeresdivision 2025 (enfin... 2027), il pourrait envisager d'ouvrir la conscription à des résidents en Allemagne non détenteurs d'un passeport allemand. Il ajoute :
« Wir wären nicht die ersten Streitkräfte in Europa, die das tun würden (...) Es gebe Menschen im Land, die in zweiter oder dritter Generation in Deutschland leben, aber noch nicht die deutsche Staatsangehörigkeit haben ».

(« Nous ne serions pas la première force de combat en Europe à faire cela [...]. Il y a dans notre pays des gens, de deuxième ou troisième génération, qui vivent en Allemagne, mais ne sont pas encore possesseurs de la nationalité allemande. »)
Par Wotan ! Si ça, ce n'est pas une « re-localisation » d'un autre cru que celle que les gauchistes prêtent à l'AfD après la fameuse affaire de Potsdam, où quelques responsables de l'AfD auraient discuté de « re-localisation » de résidents en Allemagne vers leur pays d'origine ! Grâce à sa Heeresdivision 2025, Pistorius, le social-démocrate du SPD, propose de re-localiser ces mêmes populations... sur le front-Est face à l'artillerie russe. Rendons ses lauriers droit-de-l'hommistes à cette gauche libérale-libertaire : elle ne manque pas de suite dans les idées...

Cerise sur le Great-Reaset-cake, Pistorius déroule jusqu'au bout l'agenda mondialiste dont il est le VRP, en concluant dans le Tagespiegel :
« Avec une limitation des budgets, nous ne pourrons sortir indemnes de ces crises (...) Il n'y a pas suffisamment de crédit à disposition, pour, d'une part, veiller à la sécurité du pays, et, d'autre part, combattre les suites de la pandémie et permettre l'investissement relatif à la formation et à la digitalisation. »

(« Mit einer Schuldenbremse kommen wir nicht schadlos durch diese Krisen (...) Es sei nicht genügend Geld vorhanden, um einerseits für die Sicherheit des Landes zu sorgen und andererseits die Folgen der Pandemie zu bewältigen und Investitionen in Bildung und Digitalisierung zu tätigen. »).
La messe de Davos est dite. Briser les chaînes de la dette avait dit Gottfried Feder ? Pas pour Boris Pistorius et sa république de Weimar ! Les paris sont ouverts pour savoir quelle grande banque d'investissement lui offrira un moelleux fauteuil quand son gouvernement social-traître se sera fait balayer aux prochaines élections.

Qu'importe, le principal, c'est la com'. Que cette communication change d'humeur au gré de la folie des cours de Wall Street, les élus SPD comme Boris Pistorius n'en poursuivront pas moins leurs grands effets d'annonce relatifs à la constitution d'un nouveau rideau de fer nécessaire à Washington. Il est impératif pour l'Empire de séparer durablement le génie industriel allemand et les sources d'énergie russes. Une nouvelle guerre froide, un nouveau glacis, et de gros sous seront alors en jeu. Des troupes stationnées durablement à l'Est impliqueront des contrats de maintenance bien juteux, dans lesquels le complexe militaro-industriel américain se prendra bien-sûr la plus grosse part du Strudel (à tout seigneur tout honneur !), mais dont le serf allemand espèrera saisir quelques bonnes miettes, devant ses frères de chaîne français ou italien. Alors viendra le moment d'une petite rétro-commission pour les Pistorius, Scholz et Baerbock, et pour leur active collaboration à la destruction de leur nation.

Conclusion de tout ce fatras ? Poutine, schnell !